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Retour sur le rapatriement des dépouilles d’Algériens décédés à l’étranger

Retour sur le rapatriement des dépouilles d’Algériens décédés à l’étranger

TRIBUNE. Il y a quelques jours, la presse nationale s’est fait l’écho de la publication au Journal Officiel d’un décret signé par le Premier Ministre portant sur les modalités de fonctionnement du « Fonds de solidarité pour les ressortissants algériens décédés à l’étranger ».  

Contrairement à ce que certains ont pu croire, il ne s’agit là ni d’une nouveauté ni d’une prise en charge généralisée à tout décès survenu à l’étranger, bien au contraire !

Afin de clarifier ce sujet particulièrement sensible pour notre communauté installée à l’étranger, il nous semble utile de rappeler quelques éléments historiques et législatifs relatifs à la mise en place de ce fonds de solidarité, afin que l’information de tous soit la plus complète possible, avant de projeter quelques pistes d’évolutions possibles pour tenir compte des mutations intervenues au sein de notre diaspora.

1/ C’est en 2014, dans le cadre de la Loi de finances 2015 (art 126), que la destination du fonds de solidarité nationale existant a été étendue à la prise en charge du « transfert vers l’Algérie des dépouilles des ressortissants algériens décédés à l’étranger ». Malheureusement, aucun texte d’application n’est venu par la suite expliciter les conditions de cette mise en œuvre.

2/ Ce n’est qu’en 2015, dans le cadre de la Loi de finances 2016 (art 92), qu’un fonds spécial de solidarité pour les ressortissants algériens décédés à l’étranger est institué, le « Fonds de solidarité pour la communauté algérienne ». Ce fonds spécial devait être alimenté par un « droit versé par tout ressortissant algérien établi à l’étranger de manière régulière, pour la délivrance d’une carte consulaire ou son renouvellement ».

De fait, le fonds dont il est question aujourd’hui existe en réalité depuis 2016. Il ouvrait des droits à tout citoyen algérien établi de manière régulière (ce qui excluait de fait les haraga) et décédé à l’étranger, sans aucune condition de ressources. Ce fonds devait être financé de manière solidaire par la diaspora elle-même dans le cadre d’un droit versé lors de l’établissement ou le renouvellement de la carte consulaire. Mais là aussi, aucun texte d’application n’a été publié.

3/ Fin 2016, soit à peine une année après sa mise en place, un revirement est effectué par le gouvernement Sellal qui va, dans le cadre de la Loi de finances 2017 (art 129), modifier la destination du fonds et son mode de financement.

Le fonds de solidarité va d’abord changer d’intitulé et devenir « Fonds de solidarité pour les ressortissants algériens nécessiteux décédés à l’étranger », ce qui va permettre au gouvernement de restreindre son accès aux seuls algériens nécessiteux décédés à l’étranger. Dans le même mouvement, le gouvernement change également les modalités de financement du fonds puisqu’il sera financé par des « recettes issues de la délivrance d’actes consulaires et de visas ». Il n’est donc plus question de droits à payer l’occasion de l’établissement ou du renouvellement de la carte consulaire pour financer ce fonds.

En revanche, et contrairement aux deux fois précédentes, en juillet 2017, le Premier Ministre d’alors, un certain Abdelmadjid Tebboune, signe le décret d’application correspondant. C’est d’ailleurs ce même décret que vient d’abroger l’actuel Premier Ministre, A Abderrahmane, en application de la Loi de finances 2021. 

4/ En juin 2020, dans le cadre de la Loi de finances complémentaire 2020 (art 71), et donc après l’arrivée de Abdelmadjid Tebboune à El Mouradia, et conformément à son engagement pris (en toute connaissance de cause donc) lors de son discours d’investiture, pour que l’Etat prenne en charge les frais liés au rapatriement des corps de tous nos concitoyens décédés à l’étranger sans aucune autre condition, le fonds spécial change de nouveau de dénomination et devient « Fonds de solidarité pour les ressortissants algériens décédés à l’étranger » avec pour objectif de financer « la prise en charge des frais de rapatriement des corps de ressortissants algériens décédés à l’étranger ». La notion de « nécessiteux » disparait pour laisser place à une prise en charge sans condition de ressources.

5/ A peine six mois après, en décembre 2020, un revirement important, annonçant le renoncement du gouvernement à l’engagement présidentiel, est effectué dans le cadre de la Loi de finances 2021(art 165). L’accès au bénéfice du fonds spécial est rendu plus restrictif qu’il ne l’était avant juin 2020, puisqu’il est désormais destiné à la « prise en charge des frais de rapatriement des corps des (seuls) ressortissants algériens nécessiteux décédés à l’étranger ou dont les familles justifient l’insuffisance de moyens de financement permettant la prise en charge de rapatriement ». Non seulement, on revient à avant juin 2020, mais en plus, on restreint davantage l’accès au fonds spécial en étendant l’appréciation de la notion de « nécessiteux » à l’examen des ressources de la famille du défunt.

Autant dire, et contrairement à ce que certains ont pu laisser entendre, qu’en matière de prise en charge des dépouilles de nos ressortissants décédés à l’étranger, non seulement le récent décret du Premier Ministre n’institue rien de plus que ce qui existait déjà, puisque ce fonds spécial existe depuis plus de six ans, mais qu’au contraire, ce décret, pris en application de la loi de finances 2021 (soit un an après sa publication !) restreint davantage l’accès au bénéfice de ce fonds spécial, et cela en contradiction avec l’engagement présidentiel évoqué ci-dessus.

Aujourd’hui, les nouvelles réalités, établies depuis plusieurs décennies à travers des générations de nos concitoyens à l’étranger, doivent nous amener à une appréhension renouvelée de la problématique des décès de nos ressortissants établi à l’étranger et par voie de conséquence à une adaptation de la destination de ce fonds spécial de solidarité.

La diaspora algérienne est composée de plusieurs générations dont une partie des plus anciennes, et malgré son attachement au pays d’origine, demeure néanmoins dans les pays d’accueil malgré l’âge avancé et parfois l’isolement.

Cela pose fatalement de nouveaux défis, en particulier dans les pays à forte concentration de notre communauté, et au rang desquels il y a naturellement la France.

Au nombre de ces défis, il y a la question de la bonne prise en charge en structures d’accueil adaptées à nos ressortissants chibani isolés, mais aussi celle de l’offre suffisante et généralisée de carrés musulmans dans les cimetières des pays de résidence, et de leurs entretiens, ainsi que la question de la prise en charge des frais des concessions funéraires. 

En effet, il n’est pas rare que nos chibani, isolés et souvent aux ressources modestes, pour ne pas dire dérisoires, se retrouvent livrés à eux-mêmes et à survivre dans des conditions de précarité inacceptables. Si certaines associations, en France en particulier, font un travail exemplaire pour soulager quelque peu ce dénouement et briser cet isolement, l’Etat algérien peut encourager et promouvoir ces actions associatives mais surtout être à l’initiative avec des mesures incitatives à l’investissement dans des structures d’accueil adaptées, afin de garantir des conditions de vie dignes et en adéquation avec nos traditions de solidarité.

Dans ce cadre, la destination du fonds spécial de solidarité pourrait être revue pour accompagner une action de soutien à la création de ce type de structures d’accueil, et dont l’aide tirée du fonds spécial pourrait permettre à nos chibani d’y accéder plus facilement. A défaut, le fonds spécial pourrait directement servir à la prise en charge totale ou partielle de nos chibani dans des structures existantes.

De la même manière, et pour tenir compte des mutations des comportements de notre diaspora, accélérées de fait par la crise sanitaire de la COVID-19, et qui font que de plus en plus un nombre important de nos concitoyens est enterré à l’étranger, en proximité de la famille issue des générations suivantes, l’Etat algérien, peut, à travers le réseau diplomatique et consulaire, mais aussi associatif, œuvrer fortement à ce que les communes de forte présence de nos concitoyens soient incitées à prévoir des carrés musulmans (1) dans les cimetières de leur ressort.

Il s’agit aussi d’épargner à nos compatriotes, particulièrement dans ces moments de perte d’un être cher, l’angoisse de trouver, facilement et à proximité, une place dans un cimetière disposant d’un carré musulman.

Une telle action peut également être utilement portée, comme objectif incontournable, par les élus de nos propres APC dans le cadre des jumelages existants (2) ou à venir avec les communes où résident nos concitoyens en nombre important.

L’entretien de ces carrés musulmans pouvant entrer dans le cadre de cette démarche et au besoin  être pris en charge dans le cadre de ce fonds spécial réorienté. Car là aussi, il n’est pas rare de voir des sépultures abandonnées faute de proches pouvant effectuer cet entretien.

Enfin, il nous semble également que ce fonds spécial pourrait utilement servir à la prise en charge des frais de concession pour garantir la pérennité des sépultures conformément à nos préceptes et usages, ou à tout le moins les frais des premières années, comme le font nos voisins tunisiens dont le fonds spécial prend en charge les frais de concession des cinq premières années. L’objectif étant d’éviter que les sépultures abandonnées et dont la concession a expiré ne soient traitées de manière non conforme à nos rites.

Bien évidemment, l’ensemble de ces potentielles adaptations ne devraient pas remettre en cause le besoin de rapatrier les dépouilles de nos ressortissants, selon leurs dernières volontés ou celles de leurs proches, avec une prise en charge assurée par l’Etat à travers ce fonds spécial, éventuellement supportée en tout ou partie par les frais d’actes consulaires, et sans aucune condition de ressources ou de régularité du séjour à l’étranger, de sorte à ne laisser aucun de nos compatriotes sur le bord du chemin.

*Zoheir Rouis est Vice-président de Jil Jadid et Président de Jil Jadid Monde

(1) En France, seuls 300 carrés musulmans existent à date pour 36 000 communes (source : CFCM)

(2) Le nombre de villes jumelées reste assez modeste. Une quinzaine à ce jour avec la France.

Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

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