Abdelmadjid Tebboune a tracé, dans une lettre de mission adressée mercredi à Ahmed Laraba, président du Comité d’experts chargé de formuler des propositions pour une révision constitutionnelle, les principaux axes de propositions et recommandations autour desquels le Comité doit mener sa réflexion, en soulignant que les conclusions des travaux, traduites dans un rapport et un projet de loi constitutionnelle, devront lui parvenir dans un délai de deux mois à compter de ce jour.
Voici le texte intégral de la lettre diffusée via l’agence officielle :
“M. Ahmed Laraba,
Comme vous le savez, j’ai placé à la tête des priorités de mon mandat à la présidence de la République, l’amendement de la Constitution, pierre angulaire pour l’édification d’une nouvelle République afin de réaliser les revendications de notre peuple exprimées par le mouvement populaire.
A cet égard, une révision profonde de la constitution est souhaitable et nécessaire.
Elle est souhaitable, car elle permettra la consécration de la volonté souveraine et des aspirations légitimes de notre peuple à travers l’organisation d’un référendum sur lequel je me suis engagé pour l’adoption de la nouvelle constitution.
Elle est nécessaire car seule une révision profonde de la Constitution est à même de permettre la rénovation des modes de gouvernance à tous les niveaux de responsabilité et particulièrement au niveau des plus hautes institutions de la République.
Dans ce cadre, je me suis engagé clairement pour mettre en place une nouvelle constitution qui prémunira le pays contre toute forme d’autocratie, garantira la séparation des Pouvoirs, assurera leur équilibre, confortera la moralisation de la vie publique et protégera les droits et libertés du citoyen.
Pour ce faire, j’ai décidé de mettre en place un Comité d’experts chargé de formuler des propositions et recommandations ayant pour objet de conforter l’ordre démocratique fondé sur le pluralisme politique et l’alternance au pouvoir, d’assurer une réelle séparation et un meilleur équilibre des pouvoirs en introduisant davantage de cohérence dans le fonctionnement du pouvoir exécutif et en réhabilitant le Parlement notamment dans sa fonction de contrôle de l’action du gouvernement, d’améliorer les garanties de l’indépendance des magistrats, de renforcer et de garantir l’exercice effectif des droits des citoyens et de réhabiliter les institutions de contrôle et de consultation.
Je voudrais d’abord vous remercier d’avoir bien voulu accepter d’animer les travaux de ce Comité composé de compétences nationales affirmées. Que ces personnalités qui vous accompagnent au sein de ce Comité, trouvent ici l’expression de mes vifs remerciements.
Conformément à mes engagements susmentionnés, je vous invite à mener votre réflexion et à me faire vos propositions et recommandations autour des axes
suivants :
1. Le premier axe concerne le renforcement des droits et libertés des citoyens.
-La réflexion doit porter sur l’élargissement et l’enrichissement des espaces de liberté du citoyen à la fois par la consécration de nouvelles libertés individuelles et collectives, le cas échéant, et la consolidation des droits constitutionnels garantis. Il s’agira de donner un contenu et un sens aux droits et libertés consacrés et de protéger particulièrement la liberté de manifestation pacifique et la liberté d’expression et de la presse écrite, audiovisuelle, et sur les réseaux d’information qui doivent s’exercer librement sans porter atteinte à la dignité, aux libertés et aux droits d’autrui.
2. Le deuxième axe traitera de la moralisation de la vie publique et de la lutte contre la corruption.
– Le comité devra examiner et proposer des mécanismes propres à éviter les conflits d’intérêts entre l’exercice des responsabilités publiques et la gestion des affaires de sorte à soustraire à l’influence de l’argent la gestion des affaires publiques. La réflexion doit porter également sur les moyens de renforcer davantage les mécanismes de prévention et de lutte contre la corruption, y compris l’implication de la société civile dans cette oeuvre de salubrité publique.
La réflexion devra s’étendre aussi à la réhabilitation et au renforcement des institutions de contrôle de manière à conférer à leur action plus d’effectivité dans la protection du patrimoine et des deniers publics.
3. Le troisième axe portera sur la consolidation de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs.-
Il s’agira particulièrement de promouvoir l’action politique dans sa principale fonction d’impulsion et d’animation de la vie publique dans le respect des règles démocratiques fondées sur les principes d’alternance au pouvoir et de promotion du pluralisme politique.
A ce titre, il conviendra spécifiquement d’assurer un fonctionnement harmonieux des pouvoirs par la redistribution des pouvoirs au sein de l’exécutif et la mise en place de contre-pouvoirs efficaces destinés à
éviter toute dérive autocratique. Dans ce cadre, il importe particulièrement de rendre immuable et intangible la limitation du mandat présidentiel à un seul mandat, renouvelable une fois. Ne faut-il pas également réhabiliter le rôle des partis politiques en tant qu’acteurs incontournables dans l’animation de la vie politique de la Nation?
4. Le quatrième axe portera sur le renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement.
– Il s’agira à ce niveau de mettre en place des mécanismes efficaces permettant au parlement d’exercer pleinement ses missions dans le contrôle et l’évaluation de l’action du Gouvernement à travers particulièrement :
(i) le renforcement du pouvoir des élus, notamment l’opposition parlementaire, dans la fixation de l’ordre du jour des séances des deux chambres du Parlement,
(ii) la consécration d’une séance par mois au moins au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques en présence du Premier ministre ou du Chef du gouvernement, selon la formule retenue et enfin,
(iii) la possibilité pour les élus de constituer des commissions d’enquête parlementaires sur des faits faisant l’objet d’informations judiciaires.
Dans le sillage de ces mesures, il y a lieu également de revoir la configuration de la composante du Conseil de la nation y compris le mécanisme de désignation du tiers présidentiel afin de privilégier les compétences scientifiques tout en veillant à la représentation nationale.
Il s’agira, enfin, d’évaluer objectivement la possibilité d’élargir le pouvoir d’amendement des lois du Conseil de la nation.
5. Le cinquième axe concernera la consolidation de l’indépendance du pouvoir judiciaire. La justice est l’un des fondements de l’État de droit. Elle doit s’exercer en toute indépendance dans le respect de la loi, hors de toute pression ou influence. Cet objectif ne peut être pleinement atteint sans une réelle protection du magistrat.
Certes, au plan formel, la Constitution en vigueur a consacré cette indépendance sans prévoir toutefois des mécanismes opérationnels à même de rendre effective cette indépendance qui passe nécessairement par :
– le respect du principe de l’inamovibilité du magistrat du siège déjà consacrée par la Constitution mais restreinte considérablement par la loi et inappliquée dans la pratique.
– la reconfiguration de la composante du Conseil supérieur de la magistrature pour le soustraire à l’influence directe de l’Exécutif et sa réhabilitation dans son rôle de gestion du corps de la magistrature (nomination à toutes les fonctions judiciaires et gestion de la carrière).
6. Le sixième axe concernera la consolidation de l’égalité des citoyens devant la loi. Il s’agira essentiellement de revoir la portée de l’immunité parlementaire en la circonscrivant à la sphère de l’activité parlementaire au sens strict du terme qui exclut tous les actes qui n’ont pas un rapport direct avec le mandat parlementaire.
Dans le prolongement de cette réflexion, la communauté nationale établie à l’étranger doit recouvrer sa pleine citoyenneté pour bénéficier des mêmes droits et être soumise aux mêmes devoirs que les citoyens résidants sur le territoire national. Aussi importera-t-il de revoir les dispositions constitutionnelles qui limitent l’accès des résidants nationaux à l’étranger à certaines Hautes responsabilités de l’État et aux fonctions politiques.
7. Le septième axe concernera la consécration constitutionnelle des mécanismes d’organisation des élections. Il s’agira d’abord de donner un ancrage constitutionnel à l’Autorité nationale indépendante des élections et de procéder, ensuite, à la suppression de la Haute instance indépendante de surveillance des élections dont la mission est devenue sans objet du fait que l’organisation des élections relève désormais d’une autorité indépendante, émanation exclusive de la société civile.
Tels sont, à titre indicatif, les grands axes de réflexion auxquels devra s’attacher votre Comité. Il lui sera naturellement possible, s’il l’estime nécessaire, d’élargir son champ de réflexion à d’autres sujets relatifs au fonctionnement de nos institutions et de notre vie politique et de formuler toute proposition utile allant dans le sens de l’approfondissement de l’État de droit dans le respect de la cohérence d’ensemble du dispositif constitutionnel de manière à répondre adéquatement aux préoccupations citoyennes exprimées notamment par le mouvement populaire.
Les conclusions de vos travaux, traduites dans un rapport et un projet de loi constitutionnelle, devront me parvenir dans un délai de deux (02) mois à compter de ce jour, assorties, dans la mesure du possible, du ou des projets de textes nécessaires à leur mise en oevre.
La tâche qui vous est confiée est, à n’en pas douter, immense mais elle est exaltante. Vous avez le privilège de contribuer à la refondation de nos institutions et aux modes de gouvernance. Je sais que vous allez vous en acquitter avec conscience, rigueur et un sens élevé de responsabilité.
C’est là une opportunité qui vous est offerte pour traduire concrètement les aspirations de notre peuple à l’édification d’un État de droit fondé sur des principes intangibles et communément partagés, en un mot à l’édification du socle de l’Algérie nouvelle ».