Comme chaque mardi, toute l’Algérie attend ce que dira le chef d’état-major de l’ANP. Ahmed Gaïd-Salah est en visite dans la cinquième région militaire et devrait de nouveau s’exprimer sur la situation politique.
Quatre jours après les marches du dixième vendredi qui ont vu les Algériens, en plus de réitérer leur attachement à une vraie transition, émettre des critiques plus directes à l’adresse du chef de l’armée dont l’insistance sur une solution constitutionnelle est de plus en plus perçue comme le principal facteur de blocage.
Depuis le 26 mars, lorsqu’il a ouvertement appelé à l’application de l’article 102 de la Constitution, Ahmed Gaïd-Salah s’est imposé comme un personnage clé de la scène politique, la voix du pouvoir réel et l’interlocuteur de la rue.
C’est sa sommation qui a accéléré le départ de Bouteflika après vingt ans de règne et, aux yeux des manifestants, c’est son obstination à ne pas déborder « le cadre constitutionnel » qui retarde la sortie de crise, même s’il a fini par montrer une disposition à écouter d’autres initiatives.
Il reste justement sur deux discours prononcés le même jour mais aux antipodes l’un de l’autre. Mardi 23 avril à Blida, le général de corps d’armée avait fustigé ceux qui s’acharnent à « maintenir les positions préétablies » et signifié que l’armée ne saurait tolérer ceux qui chahutent les visites ministérielles sur le terrain, avant de se rétracter pour se dire prêt à « (approuver) toute proposition constructive et initiative utile allant dans le sens du dénouement de la crise et menant le pays vers la paix ».
Il est sans doute temps pour le pouvoir de faire des choix décisifs. À un peu plus de deux mois de la date fixée pour l’élection présidentielle, il est plus qu’évident que les conditions ne sont pas réunies, et ne le seront pas en un laps de temps aussi court, pour un scrutin serein, encore moins honnête.
Pour mettre à exécution leur feuille de route, unilatérale faut-il le dire, les tenants du pouvoir avaient misé sur l’essoufflement du mouvement populaire sous l’effet de l’épuisement et des manœuvres mêlant menaces de répression et tentatives de division.
Au fil des vendredis, l’illusion s’est évaporée. Non seulement la mobilisation ne faiblit pas et les revendications réitérées comme au premier jour, mais le peuple a adopté d’autres formes de contestation contre lesquelles la machine répressive ne sera d’aucune utilité.
Autrement dit, quand bien même les manifestations draineront moins de monde, voire s’estomperont carrément, cela ne signifiera pas la fin de la contestation. Les ministres, walis et autres responsables ne pourront pas mettre les pieds sur le terrain sans créer l’émeute, aucun candidat sérieux ne sera en lice pour le scrutin du 4 juillet, les maires et magistrats persisteront dans leur refus d’organiser ou superviser l’élection, les meetings électoraux n’auront pas lieu et, surtout, les citoyens n’iront pas voter.
La crise et sa solution ne sont pas qu’une question de statistiques. Le pouvoir ne peut pas miser sur l’essoufflement du mouvement populaire pour se maintenir et imposer sa solution au peuple. L’Algérie a besoin d’un président légitime pour mener les réformes politiques et économiques, indispensables pour sortir le pays de la crise. Dans ce contexte, miser sur l’essoufflement peut s’avérer dangereux pour le pays. Au mieux, le pouvoir va reporter l’échéance d’une autre révolte. Au pire, il peut par son entêtement, plonger le pays dans le chaos. Les Algériens veulent une véritable transition démocratique et la fin d’un système prédateur basé sur la cooptation, et le pouvoir n’a d’autres choix que de satisfaire cette revendication.
Un signe peut-être que le pouvoir s’est rendu à l’évidence, le chef de l’État par intérim continue ses consultations avec certaines personnalités et dans les communiqués de la présidence, il n’est plus fait état de la préparation de la prochaine présidentielle, mais juste de « l’examen de la situation du pays et la dynamisation des mécanismes de ces institutions constitutionnelles ».
Le plan de sortie de crise du pouvoir semble définitivement tombé à l’eau, mais on ne le saura avec certitude qu’après que celui qui s’est imposé comme l’interlocuteur du peuple se sera exprimé.