Rhodnie Désir a pris l’avion de Montréal en direction d’Alger pour participer au Festival international de danse contemporaine qui se déroule du 9 au 13 mars à l’Opéra d’Ouled Fayet dans l’ouest d’Alger.
Rhodnie Désir, 40 ans, est une chorégraphe canadienne originaire de Haïti. Elle a créé une quinzaine d’œuvres chorégraphiques qui s’ancrent dans les langages rythmiques africains et afro-descendants en prenant sa source de Haïti, sa terre d’origine. Dans cet entretien, Rhodnie Désir, nous parle de sa passion pour son métier et de sa connexion avec les êtres humains.
Vous êtes née au Canada mais vos origines sont haïtiennes. Comment êtes-vous arrivée à la danse ?
Rhodnie Désir : Mes parents ont fui Haïti à cause du régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier. Je suis née, il y a 40 ans à Montréal. Ma mère était fille de pasteur.
Elle rêvait de faire de la danse mais cela lui a été interdit. Se mettre en collant et danser devant un public étaient une hérésie surtout pour une fille de pasteur.
Elle a gardé cette frustration au fond d’elle-même et s’est fait la promesse que si elle avait des filles un jour, elle les encouragerait à faire un métier artistique.
Ma sœur et moi avons suivi le chemin des arts. Ma mère m’a inscrite dès l’âge de 3 ans au ballet classique. J’ai par la suite fait beaucoup de danse contemporaine, parallèlement à mon cursus scolaire.
Il y a 10 ans, vous avez créé une œuvre chorégraphique: le Bow’t Trail, sur le thème de la migration et de la déportation et vous avez eu du mal à montrer ce spectacle, en dehors de Montréal. Parlez-nous de cette œuvre ?
Rhodnie Désir : Oui cette œuvre a été composée en 2013 sur le sujet des personnes déplacées. Elle posait la question suivante : quel est le lien entre quelqu’un qui choisit de quitter sa terre natale et celui qui est forcé de le faire pour des raisons de survie ?
Cette œuvre m’avait été inspirée par l’histoire de mes parents contraints à l’exil pour échapper au génocide de Duvalier. Malgré mes multiples démarches, je n’ai pas réussi à présenter ce travail au Québec.
J’ai été confrontée au racisme. Toutes les portes se fermaient devant moi à cause de ma couleur de peau. Voir une femme noire sur scène parler de déportation n’intéressait personne.
Vos œuvres portent la signature ‘Chorégraphie documentaire’. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit exactement ?
Rhodnie Désir : Pendant 10 ans, je me suis déplacée dans des pays des Caraïbes, des Amériques et d’Afrique centrale – Mexique, Brésil, Haïti, Martinique, Guinée… afin de créer mes œuvres.
Je suis une chorégraphe qui sonde l’ancestralité afro-contemporaine et afro-descendante. Mon travail porte la signature de « chorégraphe documentaire ». Concrètement, je m’ancre dans la tradition orale pour créer chacune de mes œuvres.
Dans chaque pays où je vais, je rencontre beaucoup de personnes qui me livrent leurs histoires personnelles.
J’ai une fascination pour les autres. Ces témoignages constituent l’humus de mes chorégraphies. Mon corps devient alors ce canal de transmission entre le présent, le passé et le futur.
Chaque fois, je passe un mois sur place. Je me nourris des gens et de leurs témoignages.
Leurs histoires personnelles deviennent un peu les miennes et résonnent encore en moi longtemps après la fin de mon voyage.
Chacune de ses œuvres, appelées Bow’Trail, ne quitte jamais son pays d’origine. Elle est créée et présentée au public sur place.
C’est comme un journaliste qui collecte des informations pour son article. À la différence que, dans votre cas, le support ou le médium est votre corps…
Rhodnie Désir : Oui mes entretiens ne sont pas retranscrits de façon littérale mais par la gestuelle et le chant. Mes chorégraphies naissent de cet élan d’énergie, de cette connexion aux autres !
Certains disent que ma démarche est journalistique, d’autres la qualifient d’anthropologique et certains pensent que je suis archéologue de geste. Pour moi toutes ces définitions sont justes. J’y ajoute juste une part de spiritualité.
Avez-vous d’autres projets ?
Rhodnie Désir : En tant qu’artiste associée de la Place des arts, l’une des plus grandes institutions d’art au Canada, j’ai beaucoup de projets en cours.
Actuellement, je travaille sur une œuvre chorégraphique avec l’orchestre Métropolitain à Montréal.
Je viens de mettre la touche finale à une œuvre chorégraphique ayant pour thème l’accélération des changements climatiques et je prépare une œuvre chorégraphique avec ma formation RD Création.
Avez-vous eu le temps de visiter Alger ?
Rhodnie Désir : Je viens juste d’arriver mais j’ai eu quand même le temps de visiter la Casbah d’Alger qui m’a fascinée par son côté historique, patrimonial et ancestral.
Je n’ai jamais aimé les endroits touristiques artificiels. L’authenticité de la Casbah et des gens qui y vivent m’a vraiment émue. Je me suis dit ‘Il faudrait revenir un jour’.