Société

Rifka, Soolking, Zed K : ces nouvelles idoles des jeunes algériens

Elles sont célèbres sur Youtube, Snapchat, Instagram ou Facebook. Elles vivent en dehors du système médiatique traditionnel. Devenues des stars sur les réseaux sociaux, elles snobent les télés, les radios, les sites électroniques d’information et les journaux.

Le web, c’est leur univers unique, leur paradis. Les nouvelles idoles des jeunes ont créé un monde parallèle où elles évoluent à l’aise, loin des anathèmes, des quolibets, de la retenue sociale et des « donneurs de leçons ».

Elles publient leurs clips, leurs podcasts, leurs numéros comiques, leurs coups de gueule en toute liberté sans demander d’autorisation ou d’agrément ! Ce week-end, à l’Office Riad El Feth à Alger, Rifka, 21 ans, a fait sensation en déplaçant presque 10.000 personnes rien que pour fêter son anniversaire. Du jamais vu !

Rifka, la star du Snapchat

Rifka ou Farouk Boudjemline a su utiliser le réseau Snapchat à son profit pour exposer son talent de comédien, « H24 », comme il le dit lui-même, en s’inspirant du Franco-Marocain Djamal Debbouz et de l’Algérien Salah Ougrout (Souilah ou Achour El Acher).

« Et, en spontané », précise-t-il. Cet étudiant en finances, natif de Staouéli, à l’ouest d’Alger, a su gagner le cœur de milliers de fans. Ses vidéos dépassent les 100.000 vues en 24 heures (la durée de présence des vidéos sur Snapchat est limitée par rapport à Youtube).

D.R – La foule à Riad El Feth pour Rifka


Autour de lui, Rifka a créé aussi une communauté au point d’organiser des voyages entre copains, entre abonnés et entre « Lézzom » (les hommes). Rifka est suivi en Tunisie, où il se rend régulièrement, au Maroc, en France, au Canada et ailleurs. C’est un snapchateur vedette qui veut, un jour, monter les marches du Festival de Cannes comme comédien. Le rêve est permis.

Soolking, le nouveau prince du Rap

« Dalida » le dernier clip du rappeur algérien Soolking a obtenu plus de 21,9 millions de vues sur Youtube après dix jours seulement de mise en ligne. Le clip est disponible sur toutes les plateformes digitales, passage obligé de promotion commerciale.

Sur le site musical Deezer (écoute en streaming), Soolking bouscule des stars tels que Drake, Calvin Harris ou Dynoro. Sur sa page officielle Youtube, Soolking a déjà 790.000 abonnés. Établi en France, Soolking chante en français et parfois en arabe.

« Je me souviens qu’ils me tournaient le dos parce que j’étais pauvre comme papa. On rajoute de l’argent à ceux qui en ont et on l’enlève à ceux qui n’en ont pas », dénonce-t-il dans « Dalida » en reprenant le refrain « Paroles, paroles » de la célèbre chanson de Dalida (interprétée avec l’acteur Alain Delon).

« Notre histoire, on l’écrira nous-mêmes (…) Le monde, on va le prendre, puis salam », défie-t-il.  Et l’histoire de son succès, Soolking, Abderraouf Derradji de son vrai nom, l’écrit à sa manière, avec détermination. « Donc, j’ai quitté mon village, rêvé d’une vie juste moins minable », chante-t-il en se mettant dans la peau d’un mime mélancolique parmi les forains.

Amour et guérilla

Soolking, qui puise autant dans le Rai que dans le Hip-Hop et qui est très écouté au Maghreb, travaille déjà sur son premier album. Il sera aux côtés de Cheb Khaled après avoir chanté avec Algerino (pour le titre « Adios »), Médine et Soprano.

D.R – Soolking avec Cheb Khaled


« Je chante l’amour au milieu de cette guérilla parce que je t’aimerai pour toujours mon Algeria », interprète Soolking dans un autre tube. MC Sool, devenu Soolking, a débuté sa carrière avec Africa Jungle en Algérie (deux albums) avant de s’installer en France en 2014.

Soolking a critiqué dans une vidéo les rappeurs algériens qui « klach » (critique) le gouvernement. « Ils font cela pour avoir la street credibility et pour faire le buzz. Je les connais tous », dit-il. Il préfère pousser les jeunes à réaliser leurs rêves dans ses chansons plutôt que de refaire du Lotfi Double Kanon, autre rappeur connu par ses critiques du pouvoir.

Phobia Isaac et Didin Klash, les outsiders du Rap

Dans la planète Rap, les attaques et les tirs entre les pattes donnent de l’audience y compris entre les stars. Phobia Isaac, autre valeur sûre du Rap, a critiqué par exemple Soolking.

Phobia Issac a fait parler de lui durant l’été dernier  avec le nouveau clip « Bouma » qui enregistre déjà 4,6 millions de vues sur Youtube. Dans la chanson, l’interprète promet de « faire de l’oseille pour perturber les jaloux ».

Dans « Hayem », Phobia Isaac aborde le thème douloureux des harragas en montrant une mère qui « brûle la mer » à la place de son fils. Le mal vivre, la pauvreté, l’absence de perspectives, l’ingratitude, le manque de chance, la jalousie et les fausses amitiés sont évoqués dans les chansons de Phobia Isaac. D’où son audience auprès des jeunes.


Il en est de même pour Didine Klach ou Didine Canon 16 qui dans le clip « Aicha la vie », s’attaque aux croqueuses de diamant. Le Clip, qui enregistre plus de 13 millions de vues, a été tourné à Dubaï (une nouvelle tendance). Didine Klach compte déjà plus de 300.000 abonnés sur sa page officielle sur Youtube. « Le Rap algérien, culture de la rue », assume Didine Klach (qui a dessiné un tatoo d’un pistolet-mitrailleur sur le cou) dans « La loi », clip mis en ligne fin août 2018, surchargé d’agressivité verbale.

Kami Phénomène s’accroche, Zed K confirme

Autre nouvelle idole des jeunes, Kami Phénomène. Contrairement aux autres rappeurs, Kami Phénomène se distingue avec de la violence verbale et visuelle.

Il a notamment « klaché » (attaqué) un autre chanteur, Aissa, en l’insultant lui et sa famille. Dans « Gangster », son dernier clip, qui a enregistré plus d’un million de vues, il assume « la mentalité gangster ».

« Cette vie te pousse à multiplier les péchés. Même les gens ne pardonnent pas à ceux qui n’ont pas fait de mal », chante-t-il. La critique se veut au vitriol d’une certaine hypocrisie sociale.

Dans le même registre, Zed K avance à grands pas avec son propre style. Il dénonce, à sa manière, le matérialisme et l’influence de l’argent sur le comportement des gens.

Dans « DMT », son dernier clip, vu par plus de 7, 9 millions de fois sur Youtube, il évoque le « money manque » et « le din mok » (insulte enrobée). « Ou tu fais l’argent, ou tu sautes du Monument (à Riad El Feth pour se suicider). Quand tu deviens riche, même tes ennemis te trouveront des excuses », clame-t-il. Il critique ceux qui veulent faire du Rap.

Le Rap algérien, politiquement peu contestataire et socialement révolté, est un territoire impitoyable où la jalousie bouscule l’égocentrisme.

« La deuxième République » du Rap

Ce Rap attire de l’audience sur les réseaux sociaux surtout de la part des adolescents n’ayant pas connu la grande vague du Rap douloureux des années 1990, les années de violence, comme celui de MBS (Le Micro brise le silence), de Lotfi Double Kanon, des Hamma Boys ou de Intik.

Un Rap-Hip-hop qui a défié la peur, la bien pensance, le socialement correct et une certaine tradition culturelle. L’essoufflement du Raï et le rétrécissement de la vague Diwan, à la fin des années 1990, ont ouvert la voix à « la deuxième République » du Rap algérien, devenu un marqueur d’époque pour les jeunes, certains en quête de repères.

MC Majhoul, Djameleddine El Bey, a relancé la machine en 2013 avec « Couloir noir » en éditant un album dans un marché musical encore hésitant. Ce nouveau Rap, puissant par les paroles et faible par la mélodie, vit plus dans la sphère virtuelle que dans le réel dans la mesure où les stars se produisent rarement sur scène, à part certains concerts privés dans les grandes villes.

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