Pour Saïd Sadi, vieux militant de la démocratie, ce qui se passe ces jours-ci en Algérie relève du « miracle ». « Ce que je retiens personnellement ce n’est pas le fait qu’il y ait une réaction de la population, c’est la manière avec laquelle elle s’est exprimée. D’une part, c’est dans l’ensemble du pays. D’autre part, elle embrasse l’ensemble des catégories. Ce ne sont pas des manifestations, je crois qu’on assiste à une nation qui est en train de renaître », tranche l’ancien président du RCD, invité ce mardi matin de TSA Direct.
« Cette jeunesse qui était livrée à l’aventure, conditionnée par les programmes scolaires, qui a souvent été victime de la manipulation des mosquées, qui a été conditionnée par la télévision, qui était privée de vie culturelle a fini par émerger. (…) Ce qui est important c’est le fait que cela s’est traduit d’une manière aussi civilisée, aussi calme, aussi intelligente, alors que les frustrations et les injustices qui ont été commises auraient pu tenter les gens de se défausser par des réactions intempestives. Et bien non, le miracle c’est celui-là. Je crois qu’on peut prononcer le mot miracle », se félicite-t-il.
D’où cela est-il venu ? « Je pense qu’il faudra du temps pour le comprendre », répond-il, estimant que le cinquième mandat n’est qu’un « accélérateur, une provocation de trop ».
« Le cinquième mandat est dépassé »
A propos de cinquième mandat, le fondateur du RCD pense qu’il est « dépassé ». « Le cinquième mandat est dépassé, c’est la suite des événements qu’il faut voir maintenant. Parce que ce n’est pas seulement la faillite d’un homme, même si sa responsabilité est grande, c’est la faillite d’un système politique. Il faut tout remettre à plat », suggère-t-il.
« Il faut prendre le temps de laisser les choses se décanter. Il ne faut pas se précipiter vers la compétition électorale. Les ambitions sont légitimes, mais ce serait obscène de se mettre au-devant aujourd’hui pour postuler à quelque responsabilité que ce soit », conseille-t-il à la classe politique.
« J’espère simplement que l’ensemble des acteurs politiques entendent et comprennent le caractère exceptionnel de cette insurrection citoyenne à laquelle il faudra donner du sens et des perspectives », dit-il.
« Nous devons être modestes, disponibles pour essayer d’accompagner ce mouvement. La spontanéité n’est pas antinomique de l’organisation, il faut que la spontanéité continue, c’est la vie qui est en train de revenir en Algérie, mais cela n’empêche que les gens s’organisent dans les quartiers, les universités et cela n’empêche pas la classe politique de jouer son rôle pour ouvrir des perspectives », estime Saïd Sadi, qui se dit disponible à apporter sa contribution, mais pas à jouer un rôle « organique ».
« La responsabilité organique, je n’en veux pas. C’est une autre génération. Il est anormal du point de vue démocratique que la représentation politique ne soit pas fidèle à la sociologie de la nation composée à 70% de jeunes. La génération de la guerre de Libération a mis trop de temps pour passer le témoin, mais la mienne doit passer le témoin aussi », dit-il.
« Gérer la transition »
Pour la période de transition, Sadi pense qu’elle peut être gérée par des personnalités qui ont gardé un minimum de crédibilité. « On ne peut pas laisser la vacance de la représentation symbolique de l’Etat, l’idée c’est de prendre un certain nombre de personnalités qui ont gardé un minimum de crédibilité pour représenter la nation le temps de cette phase de transition, je dis ce que j’entends. Mais en gros, il y a un compromis qui est en train de se dégager autour de tout ça », dit-il, tout en précisant que la transition ne doit pas s’éterniser.
« Il ne faut pas qu’on s’enlise dans le provisoire, mais on ne peut pas non plus ne pas apurer le fichier électoral. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas de mettre une personne à la place d’une autre. (…) La volonté c’est de ne pas s’abîmer dans une élection qui n’a pas de sens », tranche-t-il.
L’élection pourra-t-elle reportée ? Sadi répond : « Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête de ceux qui détiennent le pouvoir effectif, mais je crois que l’élection sera reportée de fait. Aller vers cette élection est physiquement impossible. Je pense que les citoyens ne les laisseront pas se dérouler, sauf à les organiser clandestinement ».
Le chef de l’Etat a proposé d’aller vers une conférence nationale après la présidentielle. Pour Saïd Sadi, c’est un non-sens, « le monde à l’envers ». « Quand on dit on fait une élection pour aller vers une période de transition, c’est le monde à l’envers. La réforme on la fait avant (…) Pour que la politique avance, il faut la crédibilité et la confiance. Il n’y a ni l’une ni l’autre. La vie du chef de l’Etat se confond avec tous les coups fourrés de l’Algérie. Il a réussi tous ces putschs, mais cette fois je ne pense pas qu’il va réussir parce qu’on ne peut pas réussir un coup d’Etat contre le peuple. Il n’y a pas de confiance parce que chacun d’entre nous a vu que sitôt affirmée, une promesse est immédiatement reniée. Je peux témoigner de ce que j’ai personnellement vécu avec lui. On ne peut pas faire confiance à un homme qui renie ses engagements », estime-t-il.
« Et puis, ajoute Sadi, certaines de ses promesses sont déjà démenties avec la privation de publicité de certains journaux qui ont couvert les marches. Avant même d’engager la phase de transition les pressions commencent. Il y a un moment où le doute finit par déterminer la relation qui lie le citoyen au dirigeant. Et ce doute est absolument indissoluble aujourd’hui ».
« On ne demande pas à l’armée de trancher, on lui demande de ne pas s’opposer »
L’ancien président du RCD parle aussi du rôle attendu de l’armée. « J’espère que l’ANP saura échapper aux engagements dans lesquels certains hommes ambitieux et pas toujours responsables l’ont entraînée au lendemain de l’indépendance contre le GPRA. Ce sont les répliques du coup d’Etat de 1962 qui sont en train de se décliner de diverses manières. Il me semble que l’ANP a une opportunité historique elle aussi pour être en symbiose avec la population et être en résonnance avec la glorieuse ALN. C’est là qu’elle sera la digne héritière de l’ALN », dit-il avant de livrer sa lecture des propos du chef d’état-major, tenus lundi à Cherchell.
« Pour revenir au discours dont vous parlez, j’ai lu l’ambiguïté et les hésitations des observateurs qui ont trouvé une chose et son contraire. Je partage aussi cette ambiguïté. Il y a la tentation de revenir aux menaces des années 1990 et il y a aussi la volonté de ne pas parler du tout de l’élection. Il me semble que ça reflète l’état des rapports de force qui sont en train de prévaloir au sommet de l’Etat. Les clans s’observent, personne ne se sentant en mesure de s’imposer à l’autre, essayent de gagner du temps. Mais je pense que ce statu quo au sommet de l’Etat est en contradiction totale avec la dynamique et la trame de fond qui existe dans la société algérienne qui est en train de renaître. »
« On ne demande pas à l’armée de trancher, on lui demande de ne pas s’opposer à un mouvement qui n’est pas politique mais qui est du registre de l’historique », conclut Saïd Sadi.