Le Front Polisario a repris les armes et annoncé son retrait de l’accord de cessez-le-feu de 1991 suite à l’agression de l’armée marocaine sur des manifestants sahraouis au niveau de Guerguarat, point de passage entre le Sahara occidental et la Mauritanie, vendredi 13 novembre.
Les Sahraouis menacent de porter la guerre dans les territoires occupés et, à ce stade, nul ne peut prédire la suite des événements. Mais le Front Polisario enregistre déjà comme une éclatante victoire, celle d’avoir réussi à braquer de nouveau les projecteurs sur un conflit dont le règlement ne semblait plus, depuis quelques années, faire partie des priorités de la communauté internationale.
« Le processus politique a montré ses limites »
« Quand il y a une impasse diplomatique, et c’est le cas pour le conflit au Sahara occidental, il faut que la situation sur le terrain crée une nouvelle dynamique. C’est l’objectif des Sahraouis », analyse un ancien diplomate pour TSA, sous couvert de l’anonymat.
« L’intervention militaire marocaine a donné un argument au Front Polisario pour dénoncer le cessez-le-feu. Ce qui s’est passé n’est pas un feu de paille. Les Sahraouis cherchent à inverser le rapport de force dans la région. Le processus politique a montré ses limites », explique la même source.
Lassé par des années de statuquo favorable au Maroc, le Front Polisario saisit l’occasion offerte par Rabat pour remettre les projecteurs sur le conflit au Sahara occidental que la communauté internationale a relégué au second plan de ses préoccupations, en débit des souffrances endurées par le peuple sahraoui dans les camps de réfugiés.
« Le cessez-le-feu a créé une situation confortable pour le Maroc, mais préjudiciable aux Sahraouis qui se sentent floués par la communauté internationale. Ils n’en peuvent plus », explique le même ancien diplomate.
Signe du désintérêt des institutions en charge du règlement du dossier, le poste de représentant spécial du secrétaire général de l’ONU est resté vacant depuis la démission de Horst Kohler en mai 2019.
L’ancien président allemand, 77 ans, avait jeté l’éponge officiellement pour « raisons de santé », mais beaucoup y avaient vu la conséquence de l’impasse dans laquelle ont mené le revirement du Maroc sur ses engagements dans l’accord de 1991 et son obstination à imposer son plan d’autonomie.
Le ministre sahraoui des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Salek, a affirmé à l’époque que l’envoyé de l’ONU s’est retrouvé dans une position politique, morale et psychologique qui le poussait à se retirer, assurant qu’il existait bien des faits irréfutables prouvant que M. Kohler était parvenu à la même conviction que celles de ses prédécesseurs James Baker et Christopher Ross.
L’Algérie, qui a toujours soutenu le droit du peuple sahraoui à son autodétermination, mais la diplomatie a perdu du terrain sous le règne du président déchu Abdelaziz Bouteflika, a appelé à la désignation d’un nouvel envoyé spécial, en vain.
Les demandes insistantes de l’Algérie
« Force est de constater, avec regret, que depuis la démission de l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, Horst Kohler, le processus de paix onusien est sur une voie semée d’embûches », déclarait le président Abdelmadjid Tebboune en février dernier.
Le 10 octobre, le président Tebboune a réitéré la même demande, et appelé à “l’application des décisions de l’ONU afférentes au dossier du Sahara occidental concernant l’organisation d’un référendum d’autodétermination, reporté depuis près de trois décennies”. Il avait réclamé, une nouvelle fois, la nomination dans « les plus brefs délais » d’un Envoyé du secrétaire général de l’ONU et la “relance du processus de négociations entre les deux parties au conflit“. Sans succès.
Le mandat de la Minurso est certes renouvelé tous les six mois par le Conseil de sécurité, mais elle s’attèle plus de questions techniques secondaires sur le terrain que sur sa mission première censée être l’organisation du référendum d’autodétermination.
L’organisation onusienne est plus en retrait depuis la visite mouvementée de son secrétaire général Ban Ki Moon en 2016 dans les territoires occupés. L’utilisation par le Sud-coréen du terme « occupation » avait déclenché l’ire des autorités marocaines. S’ensuivra un grand bruit et l’expulsion du personnel civil de la Minurso.
Les grandes puissances aussi ne semblaient plus accorder le même intérêt au règlement du conflit vieux de 45 ans. Outre la France, soutien traditionnel et assumé du Maroc sur la question, l’Espagne, ancien pays occupant du territoire, n’a plus la même position tranchée en faveur de l’autodétermination.
Chantage marocain aux flux migratoires
En juillet 2019, le Parlement européen a validé l’accord de pêche avec le Maroc, incluant les côtes des territoires occupés. Même s’il y est stipulé que l’accord « ne préjuge pas du résultat du processus politique sur le statut final du Sahara occidental » et que l’Europe « soutient pleinement les efforts de l’Onu pour aboutir à une solution politique permettant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental », il n’en demeure pas moins que 90 % des captures européennes dans le cadre de l’accord s’effectuent dans les eaux territoriales du Sahara.
Beaucoup estiment que le Maroc n’a pas intérêt à ce qu’une solution vienne mettre fin au statu quo tant qu’il garde la main sur la partie intéressante du Sahara occidental, la côte atlantique.
Son fait accompli est imposé entre autres par une politique de chantage à l’émigration patiemment menée, aidé en cela par sa situation géographique (seuls les 13 kilomètres du détroit de Gibraltar séparent le royaume de la péninsule ibérique, en sus des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla située sur son territoire).
« Le royaume chérifien utilise l’immigration illégale comme une arme pour orienter à son profit la politique étrangère espagnole en Afrique en général et au Sahara occidental en particulier (…) Quand quelque chose dérange le Maroc, ils ouvrent leurs mains et nous nous retrouvons face à une avalanche de bateaux pleins d’immigrants illégaux », accusait en juin dernier l’ancien ministre espagnol des Affaires étrangères José Manuel García Margallo.
S’il est légitime pour les Européens de se soucier des flux migratoires sur leur territoire, il est cependant incompréhensible qu’ils puissent perdre de vue que le tarissement de l’émigration clandestine passe par le développement et l’établissement d’une paix durable dans les territoires de provenance, en l’occurrence la côte sud de la Méditerranée.
La dégradation de la situation dans la zone de Guerguarat, provoquée par le Maroc, pourrait valoir à celui-ci un retour de flamme indésirable en ce sens que l’éventualité d’une déstabilisation de la région est synonyme pour l’Europe de spectre de flux migratoires incontrôlables.