Alors que la résolution du conflit du Sahara occidental n’avance pas depuis plusieurs années, les événements s’accélèrent dans les relations entre le Maroc et l’Algérie.
Le premier multiplie à l’égard de son voisin « actes hostiles » et « provocations » que les observateurs ne s’expliquent pas.
On croyait le paroxysme des tensions atteint avec la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août dernier, mais le Maroc ne semble pas avoir tenu compte de ce développement.
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Les officiels marocains ne se sont démarqués d’aucun des « actes hostiles » dénoncés par l’Algérie, dont le plaidoyer du représentant du royaume à l’ONU en faveur de la partition du territoire algérien, un acte qui a constitué le casus belli qui a provoqué la rupture des relations.
Même lorsque la plus haute institution algérienne, la présidence de la République, a accusé de la manière la plus solennelle qui soit l’armée marocaine d’avoir bombardé un convoi de transporteurs algériens, tuant trois chauffeurs, le Maroc n’a ni nié ni exprimé des regrets.
Une source anonyme s’est exprimée mercredi via l’AFP pour « accabler » les victimes, affirmant qu’elles se trouvaient dans une zone empruntée par les combattants du Polisario, et pour octroyer le beau rôle au Maroc, disant que celui-ci ne cherchait pas l’escalade. Le porte-parole du gouvernement a été interpellé par la presse de son pays jeudi 4 novembre et il a complètement botté en touche en insistant sur le principe du « bon voisinage ».
On est bien devant une stratégie concertée. Pendant tout l’été dernier, les provocations graves et directes étaient entrecoupées par les beaux discours du roi Mohamed VI, dont sa fameuse « main tendue » du 30 juillet. A quoi joue donc le Maroc ? Pousse-t-il réellement à la confrontation avec l’armée algérienne dont les capacités sont nettement supérieures aux siennes ?
« Une guerre avec l’Algérie, ça sera la fin de la monarchie »
Parmi les réactions suscitées par l’affaire de la mort des trois chauffeurs algériens aux frontières de la Mauritanie et du Sahara occidental, celle du diplomate Abdelaziz Rahabi offre un début d’explication.
Pour l’ancien ambassadeur d’Algérie à Madrid, cette provocation « relève d’une volonté délibérée de passer de la stratégie de la tension diplomatique permanente qui a montré ses limites à celle du choix de l’option de la pleine militarisation de la question du Sahara occidental ». Le diplomate note que ce « choix de l’escalade » est fait « au moment où la communauté internationale appelle à la l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ».
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Le « choix de l’escalade » porte sur le dossier du Sahara occidental. Le Maroc ne cherche pas la confrontation armée avec l’Algérie parce que Mohamed VI sait que ça sera la fin de la monarchie.
Bien que les connaisseurs des arcanes de la monarchie estiment que la militarisation du conflit risque de renforcer l’armée aux dépens du palais royal, comme lors de l’escalade de 1976, Mohamed VI n’a pas trop le choix.
Il veut en quelque sorte « faire vite » et ne pas rééditer l’échec de son père Hassan II dont le vœu était de ne pas lui léguer le chaud dossier du Sahara. Mais il a échoué. Le roi actuel, malade, souhaite « régler » le conflit, au sens qu’il entend, avant l’accession au trône du jeune Moulay Hassan.
Une obsession qui lui a fait franchir le pas de la normalisation avec Israël en contrepartie d’un soutien de taille, celui de la première puissance mondiale qui a reconnu sous Donald Trump la souveraineté marocaine sur les territoires sahraouis.
Ce qui conforte cette lecture, c’est le fait que la stratégie de « militarisation » du conflit a été enclenchée simultanément à la négociation des accords d’Abraham, à l’automne 2020.
Militarisation et diabolisation
Le 13 novembre, les forces armées marocaines ont attaqué des civils sahraouis dans la zone tampon de Guerguerat, amenant le Front Polisario à se retirer du cessez-le-feu en vigueur depuis 30 ans.
Pour le Maroc, son principal adversaire, c’est l’Algérie. Suivant cette ligne, les actes hostiles à l’égard de son voisin de l’est se multiplieront depuis, jusqu’à cette grave affaire du bombardement d’un convoi de routiers algériens.
Pendant toutes ces péripéties, les responsables marocains habilités à s’exprimer sur les relations avec l’Algérie ont tenu à l’unisson, ce qui trahit une stratégie concertée, à s’arroger « le beau rôle ».
Avec la militarisation du conflit sahraoui et la tentative de diaboliser l’Algérie, Rabat cherche en fait à amener la communauté internationale à faire pression sur cette dernière pour qu’elle abandonne le principe de l’autodétermination qu’elle défend depuis le début du conflit. Une guerre aux portes de l’Europe n’arrange personne.
Comme la diplomatie a échoué et que le conflit au Sahara occidental s’est enlisé dans le statuquo, le Maroc tente une aventure dangereuse sur le terrain militaire au risque de provoquer un conflit avec son voisin de l’est et après avoir essayé de forcer la main des pays européens à suivre la voie de Donald Trump pour reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Car quoique l’on dise, le conflit du Sahara occidental n’est pas résolu et le Maroc fait face depuis près d’une année à une reprise des attaques armées sahraouies, alors que des rédactions des différentes résolutions du Conseil de sécurité, et malgré les jubilations marocaines, il reste un fait indéniable : la communauté internationale n’a pas abandonné l’option du référendum comme base du règlement du conflit.
L’autre élément qui trahit la stratégie dangereuse du Maroc, c’est son insistance pour revenir au format dit des « tables rondes » avec la participation de l’Algérie et de la Mauritanie.
Curieusement, même les alliés arabes du Maroc, comme l’Arabie Saoudite, plaident désormais pour cette formule qui a montré son inefficacité.
Pour Alger, tout cela est cousu de fil blanc. « Le format dit des tables rondes (…) est devenu contreproductif depuis que le Maroc a décidé, de manière irresponsable et malhonnête, de l’instrumentaliser pour tenter misérablement d’escamoter le caractère de décolonisation de la question du Sahara occidental au profit d’un prétendu conflit régional et artificiel dont l’Algérie serait une partie prenante », expliquait le 22 octobre dernier Amar Belani, l’envoyé spécial algérien pour le Sahara occidental et les pays du Maghreb.