De la parole aux actes. Plus de six mois après sa reconnaissance de la "souveraineté marocaine" sur le Sahara occidental, la France a envoyé un de ses ministres dans les territoires occupés.
Rachida Dati, ministre de la Culture, est devenue lundi 17 février la première responsable française de ce rang à effectuer une visite officielle au Sahara occidental. Un geste qui risque d’exacerber davantage les relations déjà très tendues entre Paris et Alger.
« C’est la première fois qu’un ministre français se rend dans les provinces du sud », a déclaré à l’AFP la ministre d’origine Marocaine à son arrivée à Laâyoune, qualifiant ce déplacement d’ « historique ». « Les provinces du sud », c’est le terme qu’utilise la propagande marocaine pour désigner le Sahara occidental occupé.
Sur place, Rachida Dati a lancé, en compagnie de son homologue marocain Mehdi Bensaid, une mission culturelle française. Elle a en outre promis l’ouverture du premier centre culturel français du territoire au profit des « enfants de la région, des enseignants, des écoles, des étudiants et des formateurs d’enseignants ».
La ministre française s’est aussi rendue dans la deuxième ville du Sahara occidental occupé, Dakhla, où elle devait signer un accord de coopération dans le domaine de la production cinématographique.
Le 30 octobre dernier, à l’occasion de la visite du président Emmanuel Macron au Maroc, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avait déclaré en conférence de presse à Rabat que la France allait « accroître son action consulaire et culturelle » au Sahara occidental, en vue d’y « ouvrir une Alliance française ».
Au cours de cette visite, le président Français avait réitéré son soutien à la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental et au plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007.
« Et je le dis ici aussi avec beaucoup de force, nos opérateurs et nos entreprises accompagneront le développement de ces territoires au travers d’investissements, d’initiatives durables et solidaires au bénéfice des populations locales », s’est-il engagé.
Trois mois plus tôt, le 31 juillet, il avait signifié dans un message au roi Mohamed VI que la France considérait que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
Cette annonce avait déclenché une grave crise avec l’Algérie, qui ne s’atténue toujours pas six mois après. Au contraire, les choses risquent de s’aggraver entre les deux capitales avec cette visite de Rachida Dati au Sahara occidental qui s’apparente à de la provocation. C’est du moins ce que pensent de nombreux analystes.
Une ministre française au Sahara occidental : une première
Ceux qui ont décidé cette visite « savent qu’elle sera vue à Alger comme une provocation », a écrit sur X l’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud. « La politique étrangère, ce sont des choix clairs dont on assume et prépare les conséquences. Il y en aura », a prédit le diplomate.
Je n’ai rien ni pour ni contre cette visite, je ne la critique en rien mais ceux qui l’ont décidée savent qu’elle sera vue à Alger comme une provocation. La politique étrangère, ce sont des choix clairs dont on assume et prépare les conséquences. Il y en aura. https://t.co/iZloAhnPIu
— Gérard Araud (@GerardAraud) February 17, 2025
La visite de Rachida Dati au Sahara occidental survient dans un contexte de tensions entre Paris et Alger, exacerbées par la cacophonie qui règne au sein du gouvernement français sur la gestion de cette crise.
Il n’a pas échappé aux observateurs que depuis quelques semaines, deux sons de cloche antagoniques se font entendre du côté du gouvernement français sur cette crise avec l’Algérie.
Alors que le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot réitère sa volonté d’arriver à une solution, proposant même de se rendre à Alger, son collègue de l’Intérieur Bruno Retailleau plaide pour le bras de fer et le rapport de force.
Le président Macron, lui, se mure dans le silence alors que son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune a demandé dans un entretien début février à L’Opinion, des déclarations fortes au plus haut niveau à Paris, pour rétablir le dialogue.
D’origine marocaine et proche de l’ancien président Nicolas Sarkozy, Rachida Dati est de ceux qui ont fait pression ces dernières années pour rééquilibrer la politique maghrébine de la France en faveur du Maroc.
En mai 2023, elle s’est rendue à Rabat en compagnie d’Eric Ciotti, un des défenseurs les plus acharnés de la ligne anti-algérienne de la droite française. Sur place, les deux personnages ont appelé à la reconnaissance par la France de la « marocanité » du Sahara occidental.
Ces dernières semaines, Jean-Noël Barrot a signifié à plusieurs reprises que « c’est au Quai d’Orsay, sous l’autorité du président de la République, que se forge la politique étrangère de la France », en réaction aux initiatives que prennent certains ministres, notamment Bruno Retailleau, dans le dossier de la crise avec l’Algérie.
Il semble toutefois exclu que la visite de Dati au Sahara occidental rentre dans cette case des initiatives personnelles des membres du gouvernement. Il est impensable que la ministre de la Culture fasse un tel déplacement, de surcroît dans la conjoncture que l’on sait, sans l’aval du Quai d’Orsay et de l’Elysée.
Cette visite peut bien signifier que les va-t-en-guerre anti-algériens ont une nouvelle fois gagné et que la crise entre Alger et Paris est partie pour s’aggraver et durer.