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Salima Ghezali, tête de liste du FFS à Alger : « Il est ridicule de parler de 5e mandat. C’est une provocation »

Salima Ghezali, tête de liste du FFS à Alger : « Il est ridicule de parler de 5e mandat. C’est une provocation »

Salima Ghezali
Salima Ghezali, journaliste et militante, tête de liste du FFS à Alger pour les législatives du 4 mai

ENTRETIEN. Salima Ghezali, journaliste et militante, est tête de liste du FFS à Alger pour les législatives du 4 mai.

Salima Ghezali est candidate aux législatives du 4 mai 2017. Pourquoi ?

Parce que je suis une militante depuis plus de quarante ans. Et dans un parcours, il y a des moments où l’on doit aller se confronter à cet aspect du militantisme.

Certains de vos amis vous ont critiquée pour ce choix…

Je sais que cela a suscité la polémique, je m’en accommode, sans plus. Je pèse mes mots. Je fais du travail par ailleurs. J’écris sur des choses plus consistantes. J’ai toujours mon petit coin d’auteur. Je termine l’écriture d’un roman et d’un essai. Je m’intéresse au monde qui nous entoure. Ma conception englobe le passé et des interrogations sur le futur.

Les partisans du boycott disent que ces élections ne sont pas utiles. Qu’en pensez-vous ?

Les gens ont le droit de faire les constats qu’ils estiment nécessaires. La situation actuelle nous enseigne qu’il serait prétentieux de vouloir restreindre le champ des possibles à sa propre vision des choses. Ma perception va au-delà de l’immédiat. Azeddine Meddour, dans ses travaux à la télévision, était étonné du fait qu’on ait reconduit l’image du colonisé telle que vue par le colonisateur. Si on aligne sur une photo les premiers responsables du pays, les élites dominantes dans les fonctions institutionnelles, civiles, militaires et économiques, on se poserait alors la question : comment une société se caricature à ce point dans tous ses éléments de représentation publique ? Comme si on voulait dire à l’Algérie, voilà comment tu es ! Or, nous qui sommes algériens et qui vivons en Algérie, savons que derrière tout cela, il y a des gens qui ont une autre image, qui ne sont ni caricaturables ni caricaturaux. Le pouvoir a réussi à imprimer cette image dans la société. Et de la société, sortent des élites de ce type-là.

La haine de soi ?

Toute caricature demande à être interprétée et analysée. Quel est le signal qui est envoyé de la part du pouvoir ? Les sociétés en situation de domination multiforme reproduisent aussi le schéma dominant. Une partie de mon engagement est de lutter contre cette assignation à caricature. Il y a dans tous les segments de la société, d’autres images que les Algériens doivent pouvoir voir. Introduire une dissonance interpelle l’intelligence.

Comment faire justement pour sortir de l’assignation à caricature ?

Par l’interpellation et par la contradiction. Un élément de contradiction permet de récuser le stéréotype et d’en sortir. Il y a des militaires qui ne sont pas nécessairement gros et brutaux, des politiques pas nécessairement imbéciles et corrompus, des écrivains pas nécessairement néo-colonialistes et des musulmans pas nécessairement fanatiques. Dieu merci, cette terre est généreuse quoi qu’on dise. Il s’agit de nager à contre-courant et faire apparaître cette générosité. Un effort collectif est fait en ce sens. Les militants sont mus par l’espoir. Et, l’espoir est une lutte.

Quelles sont les grandes thématiques de votre campagne électorale ?

La gravité de la situation générale, le lien étroit entre sous-développement politique et sous-développement économique. On a beaucoup d’argent, de la ressource humaine qualifiée et des projets magnifiques sur papier. Le sous-développement politique ne permet pas le décollage économique. Il faut reconnecter l’ensemble des paramètres de la vie du citoyen, repolitiser, remettre de la réflexion dans la vie publique.

Réhabiliter « le » politique est l’une des revendications du FFS. Est-on toujours dans cette revendication ?

Plus que jamais maintenant ! La dépolitisation est à la base de tous les effondrements que nous constatons. Regardez ce qui se passe dans notre environnement oriental, en Afrique. Des reculs s’opèrent à toute vitesse en Amérique du Sud. Les communautés humaines doivent se ressaisir en se concentrant sur l’essentiel des éléments qui fondent leur survie collective. Ce n’est pas pour rien que le FFS a commencé sa campagne au Ksar de Tafilalt (Ghardaïa) pour se solidariser avec nos camarades qui n’ont pas pu constituer leur liste. Il va falloir remobiliser la société pour qu’elle retrouve les vertus du « compter sur soi ». Des questions importantes sont traitées de manière légère. Les instruments de la gouvernance sont inopérants et le système de pouvoir n’est plus opérationnel. C’est une dynamique qui arrive en bout de course et qui rencontre un bouleversement à l’échelle globale. Cela risque de nous faire énormément mal.

Le pouvoir politique est-il arrivé en fin de cycle ?

Le système arrive en bout de course mais son personnel peut se recycler. Il y a une génération qui a grandi avec la problématique de la pomme de terre ! On n’a pas trouvé de solution à la question de la distribution des fruits et légumes, de l’emploi, du loisir, de la culture… Au contraire, on est allé vers l’autoritarisme et le laisser-aller.

L’Algérie a perdu plus de 50% de ses recettes en devises en trois ans. Cette contrainte économique va-t-elle amener les pouvoirs publics à engager des réformes réelles ?

Avant d’entamer les réformes, il faut établir le diagnostic de la faillite politique. On parle de crise financière alors que la crise économique est là depuis longtemps. La baisse des rentrées financières a fait prendre conscience du danger. Les réponses à apporter ne sont pas là. La conscience demeurera parcellaire tant qu’on n’analyse pas la nature de la crise politique avec ses implications en termes de gestion de ressources humaines, de vision et de capacités de réaliser des consensus pour avancer.

Le FFS appelle justement à « reconstruire le consensus national et populaire », pourquoi ?

La nature du système, ses incohérences et son caractère autoritaire et restrictif des libertés pèsent sur le pays. Il serait illusoire de croire qu’un arrangement entre clans, au profit de ceux qui ont bénéficié de la rente, suffirait. Il faut une dimension populaire. Le pays reste tributaire de l’État social promis par le Premier novembre qu’on le veuille ou non. Il y a des impératifs liés à l’Histoire et à la nature des constituants sociaux qui font que la première menace sur l’intégrité nationale, c’est l’état de paupérisation et de désordre actuel. Un processus de décomposition sociale a commencé il y a longtemps avec une trop grande pénétration dans la société des pratiques frauduleuses, de la corruption, de l’informel, de l’argent sale et de la criminalité. Il y a la désintégration morale et l’incapacité à reprendre les choses en main. D’où le lien entre la résolution de la crise politique et la reprise d’un cadre où la pratique sociale, économique et culturelle retrouverait la cohérence et le sens de l’intérêt général et du droit. Je suis ravie que l’idée du « consensus national » gagne du terrain dans le pays. Cela ne nous dérange pas que le pouvoir reprenne l’idée à condition d’aller vers un vrai consensus et pas vers un simulacre de consensus, comme ce fut le cas pour l’ouverture démocratique et la réconciliation nationale. Plus on pervertit une proposition, plus on enferme le peuple dans les impasses. Il faut indéniablement passer par un processus constituant qui pourrait déboucher sur une assemblée constituante. Cela dit, nous ne sommes pas des fanatiques de la Constituante.

Quel serait le rôle de l’opposition dans un tel processus ? L’opposition doit-elle unifier ses rangs ?

Il faut d’abord savoir pourquoi on milite. Après, on détermine qu’est ce qui est opposition ou pas. Malheureusement, la dépolitisation atteint tout le monde. On parle plus de système de pouvoir que de régime, car cela englobe l’ensemble des représentations et des pratiques.

Et que devient la gauche algérienne ?

Dire « la gauche », c’est déjà un emprunt historique qui n’est pas justifié. Les questions se reposent de nouveau mais pas en termes de classes. Au FFS, on s’insère dans une culture populaire où la question de l’appartenance sociale et du revenu est posée de nouveau. Après, on verra qui va vouloir l’évoquer pour faire avancer les consciences, l’organisation des différentes couches sociales et les intérêts sociaux, pas dans le sens clivant mais dans celui de la négociation permanente. Toute la pensée politique est en crise pour des raisons objectives. On s’est habillé un matin d’une certaine idéologie dans un contexte où tout était à inventer et à construire. Et après, on n’a pas nécessairement la lucidité, le courage et les instruments pour essayer de retisser sa propre vision des choses. Ce qui compte maintenant est : dans quelle mesure va-t-on accompagner les couches les plus défavorisées ? Quels intérêts sociaux et économiques allons-nous accompagner dans ce nouveau segment de l’Histoire ? Il existe des capacités de résilience intéressantes dans des secteurs combatifs comme les syndicats et certaines corporations. Il y a une société vivante derrière la chape de plomb et la caricature qui sont imposées par l’élite dominante.

Comment vit le FFS après le départ de Hocine Ait Ahmed ?

Le FFS survit à la mort de son leader historique. C’est difficile sur le plan psychologique. Le FFS existe dans une société en crise. Il préserve sa ligne, garde une grande sympathie au sein de la population et subit de plein fouet les crises qui frappent les militantismes aujourd’hui. C’est-à-dire, les limites du renouvellement des élites. Il y a une chute au plan de la qualité culturelle. Le militant est un citoyen qui est déjà fatigué lorsqu’il sort de chez lui le matin. Il faut encore gagner la bataille de l’organisation et de la cohérence dans la pratique quotidienne. Le FFS est une force de proposition. Par définition, le consensus appelle à un partenariat entre toutes les forces de la société. C’est l’idée qui est motrice, pas un groupe ou un autre.

Nous avons un Parlement qui est accusé de paresse. Une fois élue, comment allez-vous faire pour faire bouger les choses du Parlement ?

Des députés se sont battus au sein du Parlement à chaque mandature. Nos camarades du FFS et d’autres partis se sont battus contre la Loi de finances (2017) et les dérives de l’Exécutif. Il y a des lieux où s’exerce le militantisme en fonction du moment et de la position qu’on occupe. J’ai des idées, des convictions, des atouts et des défauts. Tout cela sera mis ensemble pour continuer à faire ce que je fais actuellement. Il n’y a pas de surprise. Chacun de nous connaît ses forces et ses faiblesses.

Justement, quelles sont les idées que vous allez essayer de faire passer à travers votre nouvel engagement avec les législatives ?

Une idée me semble majeure : les luttes citoyennes doivent se mener dans un cadre institutionnel. Si tel n’est pas le cas, demain ça sera l’effondrement accéléré. Nous sommes dans une phase de déstructuration et d’effondrement relatifs. Si les institutions ne sont plus les lieux où ceux qui se battent peuvent faire aboutir une partie de leur investissement combatif, la population se détournera des modes pacifiques et organisés de lutte. Il en découlera ce que nous voyons autour de nous dans le monde. Le pouvoir sait que la situation est porteuse de périls. Certains veulent exercer une pression supplémentaire sur la population. Je trouve absurde de proposer la stabilité dans les constituants de la crise. Nous avons besoin de sortie de crise dans la sérénité et dans la concertation sans exclusion. La stabilité, ça veut dire qu’on va figer la situation telle qu’elle est. C’est le pire ennemi de la sortie pacifique de crise. Cette contradiction est inquiétante. L’universitaire Djamel Guerrid avait dit : « Comme si la crise nous avait pris dans la pire des positions : accroupis au milieu d’un oued et la crue arrive ». Le pays est dans cette posture et le pouvoir dit, il faut préserver la stabilité alors que la vague arrive. Ce qu’il faut, c’est aller vers des ouvertures consensuelles pour absorber le choc. Malheureusement, l’intelligence, la lucidité et la volonté manquent.

À ce propos, le discours officiel fait toujours le lien avec ce qui se passe en Libye, en Syrie ou au Yémen.

C’est eux qui doivent prendre conscience que si on ne permet pas à une société de se structurer, de s’organiser, de négocier ses intérêts, des choses risquent d’arriver. Or, ils procèdent par inversion, par aveuglement et par médiocrité. On leur dit voilà ce qui arrive dans des pays dont les dirigeants n’anticipent pas et ne donnent pas la possibilité aux sociétés de se sentir partie prenante. Eux, ils croient qu’ils peuvent agréger la société autour de la crise. (…) Il n’y a pas de vacance de pouvoir en Algérie. Des pays ont eu des rois fainéants. Il y a, par contre, une absence de vision et, probablement, une perte de contrôle des instruments de la gouvernance et de la décision. Le pays est complexe par rapport à ce qu’il était il y a vingt ou trente ans. Mais, les mécanismes de prise de décision n’ont pas évolué.

Les législatives sont-elles une occasion d’amorcer les changements démocratiques ?

Nous allons continuer à mener la lutte d’une manière plus intense parce que nous voyons que nos idées réussissent à percer et à trouver un écho au sein de la société. Il est difficile de faire de la prospective dans un environnement aussi opaque. Le pouvoir ne se dirige pas vers les bonnes solutions. On peut amorcer un changement à tout moment, pas forcément lors des élections.

Pensez-vous que le FFS pourrait participer au prochain gouvernement à la faveur, par exemple, d’une majorité plurielle ?

Nous avons un programme de lutte, pas un programme de gouvernement. Nous proposons le consensus national parce que nous estimons que personne n’a les instruments de la gouvernance dans l’état de crise actuelle. Ce qui est le plus effrayant est la dépolitisation de la société. Pire que le vote-sanction, le vote indifférent. Il n’exprime aucun choix. La société est fatiguée par le traitement horrible qu’elle subit depuis au moins vingt ans. Pour l’abstention ou pas, je me refuse de faire des projections dans le manque de visibilité actuelle. Jusqu’à quand les gens vont faire le geste ou pas, cela va dépendre, pour très peu, de la qualité de la campagne électorale. Les élections ne se décident pas en une campagne. Il faut tout un environnement pour savoir si une élection est réussie ou pas.

Peut-on lier les législatives du 4 mai aux présidentielles de 2019 ?

Il est ridicule de parler de 5e mandat (pour le président Bouteflika, NDLR). C’est une provocation. Au niveau des appareils, il y a un lien entre les législatives et les présidentielles. 2019, c’est du court terme. Par contre, pour y arriver, il y a beaucoup d’écueils. On n’est à l’abri d’aucune surprise.

C’est la première fois, en vingt-cinq ans, que les élections se tiennent en l’absence du général Toufik, ex-patron du DRS. Cette absence va-t-elle peser sur le processus électoral ?

Les pratiques de la police politique ont suffisamment imprégné les mœurs, les psychologies et les comportements. Nous mettrons longtemps avant d’en sortir. L’essentiel de ce qui existe porte l’empreinte des pratiques de cette police. Le départ d’un dirigeant ne va pas changer les choses à court terme.

Pensez-vous que les questions posées dans les années 1990 comme celles des droits humains et des disparitions forcées sont dépassées depuis la Réconciliation nationale de 2005 ?

Aucune des questions posées dans les années 1990 n’a été réglée. Au contraire, elles ont été aggravées par le sentiment d’impunité et par une génération qui a grandi dans ce terreau de violences et d’injustices. Il y a des violences faites aux femmes et aux enfants, des viols, du terrorisme routier, de l’incivisme. Tout cela est le résultat d’une accumulation de violence qui n’a été réglée ni d’un point de vue juridique, politique, psychologique ou culturel. Les brutalités sont passées comme un comportement normal. Les banderoles ou les chants dans les écoles ou dans les rues louant les droits de l’Homme ne vont rien régler. Non, il faut un processus de reconstitution d’une communauté humaine qui, 30 ans après l’indépendance, a été replongée dans un chaudron de traumatisme. La transformation de tous ces traumatismes en dérèglements comportementaux de masse, c’est cela qui pose problème. La catharsis n’a pas eu lieu. C’est pour cela que le consensus est une urgence absolue.

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