L’état-major de l’ANP persiste et signe : l’issue à la crise actuelle est dans le recours aux dispositions de la Constitution. Les multiples sorties d’Ahmed Gaïd Salah en lien avec le mouvement populaire sont une manière claire de mettre la pression sur le Conseil constitutionnel qui, plus d’un mois après le début des manifestations, n’a pas bougé.
L’institution présidée par Tayeb Belaïz se révèle chaque jour un peu plus comme celle qui empêche la décantation de la situation.
L’application de l’Article 102, donc la destitution du président contesté, peut en effet constituer un début de solution avant d’aller vers la mise en œuvre des autres articles consacrant la souveraineté du peuple, notamment les articles 7 et 8.
Il faut dire que le président Bouteflika et son cercle proche ont tout fait pour verrouiller le jeu constitutionnel et rendre presque caduque la disposition prévoyant l’empêchement. Tel que rédigé dans la constitution révisée en 2016, l’article 102 dispose : « lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ».
Le Conseil se réunit donc de plein droit et ne peut être saisi par aucune autre institution. Les cas de sa saisine par des parties externes (président, parlement) sont prévus aux articles 186, 187 et 188 et le cas d’empêchement n’y figure pas.
La décision est donc entre les mains de Tayeb Belaïz. Le problème est que l’actuel président du Conseil constitutionnel est un fidèle parmi les fidèles du chef de l’État. Le jour même de l’annonce officielle de sa candidature pour un cinquième mandat, le 10 février, Bouteflika a désigné un remplaçant à Mourad Medelci, décédé le 28 janvier. Sans surprise, le choix était porté sur son conseiller Tayeb Belaïz. Les constitutionnalistes disent que ce choix est contraire aux dispositions de la constitution puisque Belaïz a déjà effectué un passage au même poste et ne peut prétendre à un autre mandat, conformément à l’article 183 qui stipule que « le président de la République désigne, pour un mandat unique de huit (8) ans le président et le vice-président du Conseil constitutionnel ».
Mais dans les conditions dans lesquelles survenait sa candidature pour un cinquième mandat, Bouteflika ne pouvait pas prendre de risques. La fidélité de Tayeb Belaïz est infaillible et le danger ne pourra pas venir de lui. Ce qui se confirme aujourd’hui.
Après six semaines de manifestations populaires d’une ampleur sans précédent et une unanimité nationale sur le fait que le président est gravement malade, le Conseil constitutionnel ne bronche pas. Même les mises en garde claires de l’armée n’ont pas fait d’effet, du moins jusqu’à maintenant. Si Bouteflika est toujours au pouvoir et ses proches nourrissent encore l’espoir d’une sortie sans dégâts, voire même de peser sur la transition à venir, c’est en grande partie grâce à la présence d’un proche à la loyauté infaillible à la tête du Conseil constitutionnel.
Aujourd’hui, Tayeb Belaïz est devant une responsabilité historique. L’état-major de l’armée ne le dit pas clairement, mais il lui impute la responsabilité de tout dérapage qui pourrait survenir. Mais Belaïz préfère la fuite en avant. Le 18 mars déjà, Ahmed Gaïd-Salah l’interpellait indirectement en signifiant que la solution « existe ». Le 26, devant la sourde oreille de l’ancien ministre de la Justice et de l’Intérieur, le chef de l’armée a dû aller droit au but en définissant clairement la solution qu’il voyait adéquate et en désignant la partie qui peut l’apporter.
Le Conseil constitutionnel aurait dû dès lors se réunir et apporter une réponse claire en confirmant l’incapacité du président ou, au contraire, en constatant que son état de santé ne l’empêche pas d’assumer ses fonctions. Il doit apporter une réponse claire sur ce sujet.
Mais deux semaines après l’appel du chef de l’armée, Tayeb Belaïz demeure imperturbable. Il attend sans doute le feu vert du président pour agir, mais celui-ci semble faire de la résistance, quitte à pousser au pourrissement. Le coup de gueule de Gaïd ce samedi 30 mars est peut-être une manière de prendre tout le monde à témoin qu’avant d’opter pour « d’autres » solutions, il a d’abord privilégié la voie légale et constitutionnelle. Au passage, il a mis clairement Tayeb Belaïz devant ses responsabilités. Le communiqué du MDN s’apparente à une dernière sommation.