Société

Santé : encore de mauvaises solutions pour de vrais problèmes

TRIBUNE. Un séminaire pour la modernisation du système de santé, rehaussé pour sa clôture par le chef de l’État vient de se tenir  à Alger il y a peu. Je ne peux m’empêcher de dire encore un séminaire !!!

En effet, depuis des décennies chaque ministre de la Santé s’il ne concocte pas une nouvelle loi sanitaire se sent obligé d’organiser en grande pompe des assises, un séminaire ou des journées d’étude sur la santé pour marquer son passage.

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Et dire qu’à chaque fois beaucoup d’argent est dépensé pour un bien piètre résultat serait un doux euphémisme à mon avis. Pourquoi un séminaire  sur la santé alors qu’une loi sanitaire a été rédigée en 2014, adoptée en 2018 par l’Assemblée nationale mais jamais appliquée à ce jour faute de textes d’application ?

On ne nous le dit pas, le flou total entoure ces journées censées moderniser le système de santé, boycottées d’ailleurs par la majorité des syndicats du secteur.

Il aurait été plus logique, il me semble, de se poser la question du pourquoi des échecs itératifs précédents, pour éviter que cela ne reste encore une fois un rassemblement où l’on fait bombance, où l’on produit des tonnes de recommandations qui terminent dans un tiroir poussiéreux ou ils n’en sortiront plus.

Les problèmes connus

Les problèmes du secteur de la santé sont bien connus et bien répertoriés depuis des décennies et nous n’avons pas besoin d’un énième séminaire, assises ou journées (la différence n’est que sémantique) pour les identifier.

Financement de la santé, questionnement serein et responsable sur la médecine gratuite, contractualisation, remboursement des actes par la sécurité sociale, transferts pour soins à l’étranger, tels sont les principaux dossiers qui handicapent lourdement le fonctionnement de notre système de santé.

Ces dossiers ont déjà fait l’objet de multiples débats et ce qui fait cruellement défaut, à mon avis, c’est plutôt le courage politique pour les aborder  et leur trouver des solutions sans se vêtir avec les oripeaux du populisme et de la démagogie.

Une multitude de textes de loi sont régulièrement promulgués mais jamais appliqués et cela dans tous les domaines et pas uniquement dans le domaine de la santé par manque toujours de courage politique et cette sacro-sainte notion de paix sociale.

J’en veux comme exemple pour rester dans le domaine de la santé, le problème ô combien important de la contractualisation toujours non solutionné puisqu’à ce jour on continue de fonctionner par des forfaits alloués aux hôpitaux.

Et pourtant, l’ordonnance 96-17 du 6 juillet 1996 (oui 1996 !!)  stipule, que « les frais de soins et de séjour dans les structures sanitaires publiques sont pris en charge sur la base de conventions conclues entre les organismes de sécurité sociale et les établissements de santé concernés ».

Des mesures non appliquées

À partir de 1992, la Loi des finances dispose chaque année que « la contribution des organismes de sécurité sociale aux budgets des secteurs sanitaires, des établissements hospitaliers spécialisés et des centres hospitalo-universitaires est destinée à la couverture financière de la charge médicale des assurés sociaux et de leurs ayants droit. La mise en œuvre de ce financement sera effectuée sur la base de rapports contractuels liant la sécurité sociale et le ministère de la Santé et de la Population, suivant des modalités fixées par voie réglementaire ».

Ce principe de contractualisation qui vise à financer les structures de santé en fonction des actes, négociable chaque année, est évoqué, on le voit, depuis les années 1990. Pourquoi est-il resté lettre morte alors que le pouvoir politique est conscient de l’importance de cette mesure ?

La réponse est évidemment le manque de courage politique. Alors je doute fort qu’un séminaire ou des assises en plus ou en moins puisse guérir notre système de santé des maux qui le rongent.

C’est ce qu’on appelle faire semblant de bouger pour que rien ne change. Monsieur le président de la République a honoré de sa présence ce séminaire sur la modernisation du système de santé et il en a profité pour encenser encore une fois le système de santé algérien et distiller quelques affirmations très discutables à notre avis.

Notre système de santé serait le « meilleur en Afrique en terme de gratuité des soins et de couverture sanitaire » et que  « les insuffisances ne seraient pas liées au manque de moyens et d’équipements mais au niveau élevé des attentes des citoyens » d’après monsieur le président de la République.

Au risque d’être accusé de  « noircir la situation », je dirais en tant que praticien et aussi citoyen avec tout le respect que je dois au premier magistrat du pays  que ceci ne correspond pas du tout à la réalité quotidienne que vivent nos concitoyens en quête de soins.

Je ne peux oublier la crise de l’oxygène. Combien de patients sont morts faute d’oxygène ? Des dizaines, des centaines, auront nous le décompte un jour ? Pourquoi les responsabilités des uns et des autres  dans ce drame n’ont jamais été établies ?

Doit-on de l’aveu même du premier responsable du secteur de la santé accepter comme une fatalité ces pénuries permanentes de médicaments essentiels et de consommables qui paralysent complètement l’activité des services au grand dam des praticiens et des malades ?

Non, nos hôpitaux sont vétustes, sous équipés, subissent les pénuries les plus diverses de médicaments, consommables et manquent du minimum nécessaire pour répondre à la demande de nos concitoyens telle est la triste vérité que nous vivons aujourd’hui.

Et la demande de nos concitoyens est loin d’être d’un « niveau élevé » ou la cause de ce gâchis comme on voudrait nous le faire croire. Peut-on accepter que nos concitoyens qui souffrent de cancer ramènent certains de leurs médicaments anticancéreux  par la filière « cabas  » pour ceux qui ont les moyens et que pour les autres ils ne peuvent que s’en remettre au Bon Dieu ?

Combien là aussi d’enfants et d’adultes souffrant de cancer sont morts ou ont vu leurs chances de guérison gravement compromises faute de traitement ? Aura-t-on un jour le décompte là aussi ?  Je doute fort. Situerons-nous un jour les responsabilités de tout un chacun dans ce drame qui dure ?

Pourtant nos collègues oncologues n’ont eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme mais c’est comme s’ils prêchaient dans le désert. Ce drame continu au moment même où j’écris ces lignes au su et au vu de tous les responsables du pays.

Et ce n’est sûrement pas la guéguerre que se livre le ministre de la santé et ministre de l’Industrie pharmaceutique, chacun rejetant la responsabilité sur l’autre qui va apaiser la détresse des malades et de leur famille.

Non ce n’est pas noircir la situation que de dire que des malades meurent ou perdent leurs chances de guérison à cause de la gabegie qui caractérise notre système de santé devenu obsolète, c’est à mon sens plutôt un acte de responsabilité.

Oui, l’Algérie peut être fière d’avoir institué la gratuité des soins. Instaurée en 1973 par décret présidentiel, son objectif, on ne peut en douter, était très noble et il a permis, en assurant un accès aux soins à toutes les couches de la population, d’améliorer les principaux indicateurs de santé à savoir le taux de mortalité maternelle et infantile, l’espérance de vie, l’éradication de certaines maladies grâce à la vaccination, la prévention des maladies transmissibles, etc  … Pour ne citer que ceux-là.

Est-ce que c’est équitable ?

Et nous ne pouvons qu’être fiers de cette démarche qui a honoré notre pays. Mais n’est-il pas temps de faire le bilan de ce concept de médecine gratuite et voir, cinquante ans après, quelle est l’efficience de ce système qui, d’ailleurs, n’a plus de gratuité que le nom.

Doit-on continuer à donner des soins gratuits à tout le monde sans distinction même à ceux qui sont parmi les plus nantis et qui passent souvent en priorité car ayant leurs entrées à l’hôpital ? Est-ce équitable ?

Ceci rappelle l’hérésie des subventions des produits de première nécessité aussi bien pour le démuni que le milliardaire. Doit-on continuer à dormir sur nos lauriers alors que l’Algérie d’aujourd’hui n’est plus celle des années soixante-dix ?

Transition démographique et épidémiologique, émergence de maladies nouvelles, capacités de financement amoindries, toutes ces données nous incitent à réfléchir avec courage et surtout sans démagogie à cette gratuité des soins pour tous. Est-elle encore viable ?. Ce débat doit avoir lieu et le plus tôt sera le mieux car il y va de la pérennité de tout notre système de santé.

Monsieur le président de la république lors de ces assises a promis à nos concitoyens de rapprocher notre système de santé de « celui des systèmes de santé d’Europe occidentale ».

Certes l’intention est noble mais à mon sens complètement irréaliste car les chiffres sont têtus. L’Algérie consacre, bon an mal an, entre 5 et 7 % de son produit intérieur brut (PIB) pour ses dépenses de santé avec une dépense nationale de santé (DNS) par habitant qui fluctue autour de 300 et 400 dollars. À titre comparatif,  la France y consacre 4500 dollars, l’Allemagne 6000, le Canada 7000 et les États-Unis  9000 dollars, pour ne citer que ceux-là.

Les pays industrialisés à revenus élevés consacrent une moyenne de 11 à 12 % de leur PIB pour les dépenses de santé selon les chiffres de l’OCDE de 2011. Quand on sait que le PIB de ces pays est dix fois à quinze fois plus élevé en moyenne que le nôtre, on comprend que nous ne pouvons et, surtout, nous ne devons pas nous comparer ou essayer de copier un système de santé très loin des réalités et capacités financières de notre pays.

Avec ce qui est alloué à nos dépenses de santé, peut-on continuer à faire croire aux Algériens que notre système de santé avec 10 ou 15 fois moins de ressources financières peut se rapprocher des standards européens tout en restant gratuit pour tous ?

Les calculs sont vite faits et l’équation devient vite impossible à résoudre car cela relèverait plus du miracle métaphysique que de la politique ou de  l’économie de santé.  Et la folie d’après un Nobel de physique célèbre serait de continuer à faire la même chose en espérant un résultat différent. Nous devons la vérité à nos concitoyens.

*Professeur de chirurgie pédiatrique.

djidjelinacer@hotmail.com

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