La France semble tenir son feuilleton politique de l’été. Depuis quelques jours, on ne parle, de l’autre côté de la Méditerranée, que de l’affaire Alexandre Benalla du nom du chargé de la sécurité d’Emmanuel Macron qui tabasse les manifestants dans la rue en compagnie de la police. Le monde politique français comme la galaxie médiatique sont en émoi et tout le monde y met son petit ingrédient comme pour en rajouter du mordant à l’affaire au grand bonheur d’une opinion publique très friande de ce genre d’esclandre.
L’indignation et la réprobation sont à leur comble. Et comme ils tiennent là un sujet fort vendeur, les médias français se saisissent du scoop du journal Le Monde, pour en rajouter une couche, en allant fouiller dans les moindres recoins de la vie d’Alexandre Benalla, en en traquant le moindre détail croustillant, voire avilissant, comme mieux enfoncer le coupable et suggérer, inconsciemment peut-être, le plus lourd châtiment comme dans la Rome antique quand le public, le pouce dirigé vers le bas, demandait aux gladiateurs d’achever les vaincus.
Un extraordinaire acharnement médiatique qui peut paraitre à certains comme du racisme déguisé, surtout que Benalla serait d’origine maghrébine, marocaine plus exactement, même s’il n’est pas le seul à trinquer puisque un gendarme et trois policiers – « Français de souche », comme on dit – ont, eux aussi, été arrêtés. Pour autant, tout ce tintamarre, tous ces cris scandalisés ne sont pas quelque part surfaits et de trop ? Peut-être.
Il rester que pour garder intact la moralité de l’État, les pourfendeurs d’Alexandre Benalla ont raison d’exiger des sanctions contre le fautif. Car Alexandre Benalla a commis une faute grave en usurpant la fonction de policier et, summum de la bêtise, en agressant un manifestant dans un pays où la manifestation de rue fait partie de la culture locale.
Le Silence parlant de Macron
Et ils ont raison aussi de rappeler à Emmanuel Macron sa promesse de faire son quinquennat à la tête de la France un « mandat d’exemplarité». Et il doit tenir parole au risque de se discréditer et surtout de renvoyer de la France l’image d’un Etat bananier. Aussi, l’Élysée s’est empressé de rendre publiques ses sanctions contre son agent indélicat qui, vendredi 20 juillet, a fait l’objet d’une procédure de licenciement et perdra ainsi tous les privilèges dus à sa fonction.
Le même jour, il a été mis en garde à vue et son domicile a été perquisitionné aujourd’hui. Même le Premier ministre s’est exprimé sur l’affaire et au Sénat comme à l’Assemblée, des commissions d’enquête parlementaires ont été mises en place.
En fait, les institutions se sont toutes empressées de réagir pour sauver la face d’une République quelque peu éclaboussée par ce qui ressemble à une ‘’affaire d’État’’. Sauf qu’Emanuel Macron, incarnation de la parole de l’État de par sa fonction présidentielle, n’est toujours pas sorti du silence pesant dans lequel il s’est muré. Il doit certainement être dans une position très inconfortable. Ce n’est pas de gaité de cœur qu’il se résignera à ‘’couper’’ la tête à un agent qui, depuis un peu plus d’un an, ne le lâchait pas d’une semelle, en assurant sa sécurité. Et qu’il a choisi lui-même, en lui ouvrant les portes de l’Élysée et en le couvrant des ors de la République (un salaire de 10.000 euros, un appartement à un petit jet de l’Élysée, un véhicule de service avec chauffeur personnel, etc.).
D’où son mutisme, en attendant que la tempête se clame un tant soit peu. Mais le mal est déjà fait et sa cote de popularité va certainement accuser un terrible coup auprès de ses concitoyens, lui qui venait pourtant de réussir un grand coup médiatique à Moscou avec une Coupe du monde victorieuse. Cela fait partie des revers du métier, diront certains.
Quid des autres bavures policières ?
Il reste que ces cris d’orfraie de certains hommes politiques et médias français devant la dérive d’Alexandre Benalla ont tout d’une indignation sélective. Car la France n’est pas à sa première bavure policière près. En avril 2016, un CRS a mis un de ses pied dans le ventre d’une femme qui manifestait, à Paris, contre la loi de travail.
Trois mois plus tard, un français d’origine noire, Adama Traoré, 24 ans à peine, est mort suite à son interpellation musclée dans une cour de gendarmerie de Persan (Val d’Oise). Dans un entretien accordé au site Reporterre, Assa Traoré, sœur d’Adama, a assuré : « La police des polices [l’Inspection générale de la police nationale, IGPN] elle-même a reconnu 17 morts lors d’opérations en 2017 ». Indignée, elle dénonce le fait que les gendarmes qui ont tué son frère « n’ont toujours pas été mis en examen, l’État n’a pas pris ses responsabilités ». Et Assa Traoré de s’exclamer : « La France ne doit pas rester spectatrice, elle doit se lever et dire non », a-t-elle ajouté. Son appel déchirant sera-t-il entendu ?