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Scandale de Ras El Ma : harcèlement sexuel, chantage et caméras

Scandale de Ras El Ma : harcèlement sexuel, chantage et caméras

Le scandale sexuel de l’APC de Ras El Ma (Sidi Bel Abbès), qui n’a pas révélé tous ses secrets, met en avant le fléau social du harcèlement sexuel dans les milieux professionnels et le chantage qui peut être exercé par des responsables, pas uniquement locaux, sur les femmes en situation de faiblesse ou de vulnérabilité.

Un fléau entouré souvent de silence, parfois de complicités ou d’indifférence. Le personnel de l’APC de Ras El Ma, par exemple, pouvait-il ignorer les pratiques du maire, lesquelles remontent à plusieurs années, semble-t-il ?

L’enquête en cours permettra probablement de le savoir. Les enquêtes de ce genre sont couvertes, dans la plupart des cas, d’opacité, parfois de « classement sans suite ».

Harcelées sur le lieu de travail, les femmes choisissent souvent de se taire pour éviter les représailles de leurs maris, frères, fils ou pères. Les réactions de la famille peuvent être violentes comme, par exemple, empêcher la femme de continuer de travailler ou engager une procédure de divorce ou de bannissement.

Les proches peuvent aussi s’en prendre directement aux harceleurs sans passer par la voie judiciaire ce qui peut provoquer des drames. Introduire une plainte en justice est un acte que les femmes harcelées évitent en de nombreux cas pour se prémunir du « scandale », du « qu’en dira-t-on » (« wesh ykoulou nass ») ou de « la honte », toxiques souvent.

La société ne donne pas nécessairement raison à la femme, mise au banc des accusés sans lui permettre de parler ou d’expliquer. Elle est « fautive » quelles que soient les circonstances par tacite accord social alimenté par la morale collective fatalement oppressive.

Le système judiciaire n’est pas suffisamment huilé pour la protéger des quolibets, de la médisance et de la répudiation. Aussi, le harcèlement sexuel se nourrit-il du silence et grossit-il à l’ombre de l’impunité et du « socialement correcte ».

Une peine maximale d’une année d’emprisonnement pour les auteurs de harcèlement

Il est vrai que depuis 2004 le Code pénal algérien, amendé après un long combat des militantes des droits de femmes criminalise le harcèlement sexuel.

« Est réputée avoir commis l’infraction de harcèlement sexuel et sera punie d’un emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de 50.000 à 100.000 dinars, toute personne qui abuse de l’autorité que lui confère sa fonction ou sa profession, en donnant à autrui des ordres, en proférant des menaces, en imposant des contraintes ou en exerçant des pressions, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. En cas de récidive, la peine est portée au double », est-il prévu dans l’article 341 bis de ce code.

Sur le plan légal, le harcèlement sexuel est souvent défini comme une exploitation « d’une situation de pouvoir pour imposer des demandes sexuelles ou exercer des pressions dans un but sexuel sur une personne ayant moins de pouvoir, et ce, malgré son refus ».

Dans certaines législations, le harcèlement sexuel est assimilé à une violence.  Selon Soumia Salhi, présidente de la Commission des femmes travailleuses de l’UGTA, il existe, en dépit de tout, un certain consensus national contre le harcèlement sexuel en Algérie.

« Des femmes sont de plus en plus nombreuses à témoigner. Elles sont des dizaines à oser déposer une plainte sans compter celles qui parlent de leurs souffrances au niveau des centres d’écoute et des associations d’aide aux femmes victimes de violence. La presse relaie les affaires de harcèlement sexuel. Cela dit, on ne peut pas dire que les choses ont changé de façon fondamentale. Malgré la loi, des cas de harcèlement restent impunis(…) Quand on est victime et que la société vous fait porter la responsabilité des agissements de votre agresseur, vous vous retrouvez dans une situation terrible », a-t-elle amèrement constaté dans un entretien à TSA en mars 2018.

Le président de l’APC parle au nom des citoyens et de l’État

Dans le cas du maire de Ras El Ma, les preuves existent puisque les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux sont suffisamment explicites pour le condamner.

Certains commentateurs évoquent le consentement des femmes. À la justice de le prouver. D’autres parlent du chantage qu’aurait exercé l’élu du RND sur ses victimes, venues le solliciter pour un dossier de logement ou d’emploi. À l’enquête de le déterminer.

Toujours est-il que Slimane Guendouzi, désormais radié des rangs du RND, a commis des actes sexuels dans un bureau, censé être celui d’un représentant de l’État au niveau local.

Le président d’APC parle au nom des citoyens et de l’État. Son bureau est un domaine qui doit être protégé de tout acte contraire à la morale publique ou à la loi.

La présence d’une caméra dans le bureau de Ras El Ma doit être également analysée comme le signe d’une habitude qui se généralise, pas forcément pour des raisons de sécurité. Il y a encore des zones d’ombre dans le scandale de Ras El Ma sur notamment l’enregistrement des vidéos, leur mise en ligne et leur exploitation une fois devenues publiques.

« Big boss is watching you » 

Sans l’amplification des réseaux sociaux, ces vidéos de Ras El Ma n’auraient probablement pas eu tout l’impact constaté ces derniers jours. Les vidéos virales provoquent inévitablement des réactions en chaîne et les personnes filmées, sont jugées, condamnées, humiliées et livrées à la vindicte populaire.

Un procès expéditif qui coupe la langue aux victimes même si parfois elles sont coupables – c’est le cas pour le maire de Ras El Ma-, sans possibilité de retour.

La présence de la caméra dans l’espace public et parfois privé devient, elle aussi, un phénomène social en Algérie. La popularisation du smartphone a accéléré ce phénomène qui, parfois, prend les contours de la scopophilie à large échelle, sinon du voyeurisme.

Un voyeurisme de basse intensité certes, mais qui tend à se banaliser par le fait de l’intérêt des médias, surtout des télévisions, et de la propagation soutenue par les réseaux sociaux.  Sommes-nous devant une reproduction, sous une autre forme, éclatée et généralisée, de la théorie du « Big boss is watching you », qui sous-entend la mise sous contrôle de la société par des caméras placées dans tous les coins, rues, impasses, angles, maisons ou bureaux ?

Un climat de paranoïa

En d’autres termes, tout le monde surveille tout le monde, le moindre geste est épié, filmé et prêt à être diffusé en vrac sur le net. À la longue, cela va créer un climat de paranoïa à tous les niveaux sociaux y compris à l’intérieur des familles.

Les liens de confiance vont s’affaiblir avec toutes les conséquences négatives que cela provoque.  La dénonciation d’actes de vol, de détournement, de violences, de dégradation de biens publics, d’atteinte à l’intégrité des personnes ou de l’environnement, est évidemment positive. C’est une manière pour les citoyens d’exercer le droit à l’expression, de contribuer à la vie de la communauté et de participer au changement des choses.

Mais, l’abus et la mauvaise utilisation constituent un risque majeur dans pareilles situations surtout pour un pays qui peine à entamer une réelle transition démocratique permettant, à termes, l’ouverture de tous les espaces d’expression, le renforcement des systèmes de représentation nationale et de contrôle populaire sur l’action des gouvernants et des élus ainsi que la consolidation des instruments d’arbitrage et de médiation.

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