Société

Sécheresse : Tiaret, une ville qui illustre les problèmes d’eau en Algérie

La sécheresse continue de sévir en Algérie. Dans plusieurs villes du pays, les autorités s’inquiètent du manque d’eau pour les populations et les agriculteurs. Les solutions ne sont pas nombreuses, comme à Tiaret dont le cas illustre les difficultés à compenser la faible pluviométrie qui touche toute l’Algérie cet hiver.

À Tiaret, les services de la wilaya sont sur les dents. En plein hiver et dans de nombreuses communes, les usagers ont déjà recours au « citernage » pour l’alimentation en eau potable.

Les pluies sont peu abondantes et le manque d’eau est criant alors que le mois de ramadan approche ainsi que les longs mois d’été. Comme de nombreuses villes du pays, Tiaret est frappée de plein fouet par la sécheresse qui sévit ces dernières années en Algérie.

Pour aborder la question, Ali Bouguerra, le wali de Tiaret, a donné rendez-vous sur le site du barrage de Bekhedda aux différents chefs de services concernés, rapporte la chaîne Web Tiaret News.

Le barrage est reconnaissable avec son magnifique déversoir en forme d’éventail. L’année 2016 semble bien loin, alors que le barrage était rempli au maximum de ses capacités. En cette fin février, ses berges de couleur marron témoignent du faible remplissage de la retenue d’eau.

Ali Bouguerra donne le ton : « J’ai deux priorités, le Ramadan et l’été ». Il dit être inquiet : « En plein hiver déjà, certains quartiers sont alimentés par des camions citernes ». Puis, il alerte, presque menaçant : « À Tiaret, on est au seuil du déclenchement du plan Orsec et avec le ministre [de l’Hydraulique] on va tirer la sonnette d’alarme si la situation actuelle persiste ».

Le chef du service de l’hydraulique et le représentant local de l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) dressent un état des lieux. Les dernières pluies ont été bénéfiques et ont permis au barrage d’accumuler 120.000 m3 d’eau ce qui l’amène à 430.000 m3 soit 1,2 % de sa capacité.

Ali Bouguerra lance : « J’ai souvenir que le barrage peut contenir plus de 8 millions de m3. Il est à espérer d’autres pluies ». Mais le wali veut anticiper et se préoccupe de ce que vont boire les usagers.

L’état d’avancement des forages en cours est passé en revue. Certains devraient être opérationnels dans une dizaine de jours, pour d’autres, il faudra jusqu’à 45 jours. .

Ali Bougerra s’étonne qu’alors que le barrage de Bekhedda soit situé sur la commune de Machraä Sfa, ses usagers n’aient de l’eau au robinet qu’un jour sur six. La question de nouveaux raccordements est soulevée.

Le chef de daïra, une écharpe aux couleurs de l’emblème nationale autour du cou, intervient et signale qu’il est possible d’acheminer l’eau d’une source vers le barrage.

Il poursuit en précisant qu’à Oued Mina et Mellakou, des usagers et agriculteurs ont dressé des obstacles visant à retenir l’eau en amont du barrage.

D’un geste de la main, le wali fait signe qu’il n’en a cure et que ce qui l’importe est le travail que peuvent fournir les différents services.

Le wali apostrophe le représentant de l’ANBT : « Vous êtes là dans vos bureaux à relever chaque jour le niveau du barrage alors qu’on attend de vous des initiatives comme capter l’eau de cette source ou voir ce qui se passe en amont du barrage ». « Cela n’entre pas dans nos attributions », tente d’expliquer l’interpellé.

Sécheresse : à Tiaret, les agriculteurs réclament des forages plus profonds

Autres lieux, autre public. Réunis en ce mois de février en présence du wali, la parole est donnée à des agriculteurs. Engoncés dans leur kachabiya et coiffés de traditionnels turbans ou portant veste, ils ont été invités à présenter leurs doléances. À tour de rôle, chacun d’eux s’exprime en utilisant le micro du pupitre dans cette salle ultra moderne mise à leur disposition par l’Exécutif de wilaya.

Les doléances pleuvent. Elles concernent essentiellement les autorisations de forage, leur profondeur et ponctuellement les subventions liées à l’aspersion. Bien qu’avec 70 % d’attribution des ressources en eau, l’agriculture se taille la part du lion, les agriculteurs présents en demandent plus.

Un premier agriculteur intervient : « Donnez-moi un puits, je veux produire. Mes cinq enfants sont au chômage. J’ai poussé ma fille à étudier à l’université, mais elle ne trouve pas de travail ». Il poursuit : « Donnez-moi un puits et demain mes enfants n’auront plus à vous demander les 20.000 DA de l’allocation chômage car mes enfants pourraient travailler dans l’agriculture ». Il témoigne avoir vu chez un agriculteur d’Aïn Defla des filles récolter des olives.

Il poursuit : « J’attends depuis 3 ans une autorisation de forage, l’administration me demande de nombreuses attestations. Et aujourd’hui, on me dit : vous êtes situés dans la zone rouge ».

Une zone où tout forage est temporairement interdit depuis mai 2023 suite à l’inquiétant rabattement des nappes à Tiaret. Début 2023, plus de 1300 autorisations de forages avaient été délivrées sans réelle étude d’impact.

Un autre agriculteur prend la parole et dénonce la profondeur insuffisante des forages : « À 80 mètres, il n’y a pas assez d’eau, on demande de pouvoir aller jusqu’à 140 mètres ».

Les agriculteurs égrainent leurs doléances. L’un d’eux indique disposer d’une concession agricole avec ses frères d’une centaine d’hectares, mais les services agricoles lui refusent l’attribution d’un forage alors que ses voisins en disposent et livrent du blé à la CCLS voisine. Or, affirme-t-il, « avec un forage, je pourrais cultiver au-delà des 20 hectares actuels et aller jusqu’à 90 voire 100 hectares ».

Un autre s’alarme du manque de pluie et souhaite disposer d’un forage : « J’ai 23 hectares de blé et 1.000 oliviers et grenadiers. Si on n’irrigue pas le mois prochain, les arbres vont mourir ».

Un exploitant s’inquiète du manque de pluie : « On est en danger ». Il s’indigne que « des autorisations de forages aient été attribuées puis remises en cause par l’administration. Alors pourquoi nous l’a-t-on attribuée ? ».

Il est un des rares présents dans l’assistance à proposer des alternatives : « Il y a des zones possibles pour différents aménagements afin de retenir l’eau et de créer des barrages collinaires. Avec mes voisins agriculteurs, on s’est entendu pour en construire un ». Très inquiet, il poursuit : « Mais on demande pour le moment des autorisations de forages, s’il n’y a pas de pluie en mars et avril, on va être impacté ».

Un jeune agriculteur de Rechaïga revendique la production avec ses frères de 3.000 quintaux de poivrons, oignons et pomme de terre. Mais il réclame un meilleur accès à l’eau.

Le cas des subventions liées à l’achat de matériel d’irrigation est évoqué. Un agriculteur fait remarquer qu’elles sont attribuées par l’administration selon le principe que l’équipement d’un hectare en kits d’aspersion permet d’en irriguer trois puisque ce matériel léger est transportable. Mais fait remarquer l’intervenant, « cela oblige à chaque fois de déplacer 48 tuyaux et leurs 180 asperseurs alors qu’on manque de main d’œuvre ».

Depuis plus d’une quinzaine d’années, c’est l’emploi de ces kits d’aspersion qui a permis à la wilaya de Tiaret et en particulier à la commune de Rechaïga de se spécialiser dans la production d’oignons.

À tel point que cette commune s’est hissée à la première place en Algérie, avec plus de 800.000 quintaux d’oignon, soit plus de 6 % de la production du pays.

Préférée à l’irrigation localisée par goutte à goutte et majoritairement utilisée en maraîchage, l’aspersion n’en demeure pas moins peu économe en eau. À tel point que certains agriculteurs spécialisés dans l’oignon sont qualifiés de « chercheurs d’eau » du fait de leur propension à se déplacer pour prendre en location des terres où le rabattement de la nappe est moindre.

Jusqu’à présent l’eau était abondante. En avril 2016, rempli au maximum de sa capacité avec plus de 45 millions de m3, le barrage de Benkhedda débordait. Celui de Dahmouni était rempli à plus de 80 %, le barrage de Bagarra atteignait presque les 100 %.

Or, ces dernières années, ce n’est plus le cas avec le dérèglement climatique qui affecte particulièrement l’Ouest de l’Algérie. Jusqu’à présent tous les projets d’investissement agricole étaient les bienvenus : plantations d’arbres fruitiers, extension des cultures de pommes de terre, d’oignons ou de pastèques. L’eau ne posait pas problème.

À Tiaret, comme dans d’autres wilayas, les walis sont confrontés à des injonctions contradictoires entre besoins en adduction en eau potable et d’irrigation des cultures. Des besoins qui ne concernent pas seulement les oignons de Rechaïga, mais également la production de pomme de terre ou de maïs ensilage dont la wilaya est devenue exportatrice.

La triste réalité est qu’à l’avenir chaque projet agricole en Algérie devrait être vu sous l’angle de la disponibilité réelle en eau.

Actuellement, agriculteurs et investisseurs plantent des vergers sans prendre en compte cette disponibilité. Bien que les agriculteurs ressentent le manque d’eau, ils n’imaginent pas les révisions que l’état actuel des ressources en eau leur imposera les années ou les mois à venir.

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