Qui a dit que le gouvernement Bedoui était seulement chargé d’expédier les affaires courantes ? Voila qu’il vient d’adopter les grandes lignes de la future loi sur les hydrocarbures.
Les évènements semblent s’accélérer dans le secteur pétrolier. A la fin du mois d’août, une dépêche de l’agence Reuters avait mis le feu aux poudres. Une source de l’intérieur de Sonatrach avait affirmé à l’agence de presse britannique : « Hormis la production qui est toujours en cours au sein de la compagnie nationale, tout le reste est gelé ».
La même source avait aussi évoqué le gel des discussions entre Sonatrach et les compagnies américaines, entre autres Exxon Mobil et Chevron. Des partenaires étrangers qui restent dans l’attente de l’évolution de la situation politique du pays. La source ajoutait : « Il n’y a aucune visibilité sur le court terme, étant donné que c’est la politique et non l’économie qui a la priorité pour le moment».
Quelques jours plus tard, depuis Ouargla, le PDG de Sonatrach, Rachid Hachichi, affirme que « la situation politique traversée par l’Algérie n’a aucun impact sur les négociations menées entre Sonatrach et ses partenaires étrangers ». Il précisait que « toute information sur de quelconques perturbations des relations entre Sonatrach et ses partenaires sont sans fondement ».
Sonatrach réclame d’ « urgence » une nouvelle loi
Changement de ton depuis ce lundi. C’est la Direction de Sonatrach, citée par l’agence officielle, qui souligne, dans un document interne, l’importance de promulguer en « urgence » une nouvelle loi sur les hydrocarbures afin de « redynamiser ses activités en partenariat et augmenter la production ».
La compagnie nationale évoque pour la première fois de façon officielle un « fléchissement de la production en partenariat qui intervient dans un contexte ne laissant pas entrevoir de perspectives concrètes de regain d’activités ».
Ce contexte, poursuit Sonatrach, « rend plus que jamais nécessaire et urgent la promulgation d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures, adaptée au contexte international et à même de faire valoriser par l’Algérie son avantage concurrentiel ».
Les nouvelles déclarations de la direction de la compagnie nationale s’inscrivent clairement dans une partition bien réglée par les pouvoirs publics puisque lundi en soirée une nouvelle dépêche APS annonçait cette fois l’examen et l’adoption de l’avant projet de loi sur les hydrocarbures par un Conseil interministériel avant sa présentation prochaine au gouvernement.
Adoptée le jour même par le gouvernement
« L’avant-projet de loi sur les hydrocarbures intervient en réponse aux développements que connait le domaine des hydrocarbures aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, d’autant que la loi en vigueur, promulguée en 2005 et amendée en 2013 a prouvé, dans certaines dispositions, ses limites et des effets négatifs sur les opérations de production et d’attrait des investissements étrangers », expliquait le communiqué du gouvernement.
C’est également pour la première fois de façon officielle que le même communiqué indique que « la consommation nationale se multiplie toutes les quinze années, constituant ainsi un déficit structurel entre l’offre et la demande au niveau du marché national notamment en matière de gaz à horizon 2025-2030 ».
Les services du Premier ministre précisent que l’avant-projet de loi vise à « mettre en place un système juridique, institutionnel et fiscal stable de nature à booster l’investissement à long terme dans le domaine des hydrocarbures, sans porter atteinte aux intérêts nationaux, d’où la décision de garder la règle 49/51 relative aux investissements étrangers dans ce domaine ».
Sonatrach affiche ses préférences
La direction de Sonatrach ne se contente pas de réclamer d’urgence l’adoption d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures. Elle donne clairement des indications sur le type de loi qui aurait sa préférence. C’est ainsi que l’étude citée par l’APS pour vanter les mérites du partenariat international relève également les résultats obtenus dans le cadre de la loi de 1986 qui a généralisé les « contrats de partage de production ».
Pour Sonatrach, les découvertes réalisées dans ce cadre durant la période 1986- 2015 « sont le fruit d’un effort d’investissement colossal supporté “en totalité” par les partenaires étrangers. Les montants engagés s’élèvent à 9.961 millions de dollars ».
La direction de Sonatrach souligne le caractère très avantageux de ce type de contrat en expliquant que « le partage avec le partenaire étranger n’est pas lié au seul taux de financement des opérations pétrolières mais se calcule selon un processus qui tient compte également des niveaux de la production et du prix de pétrole ».
Le bilan dressé par la compagnie nationale montre que « la part revenant aux partenaires étrangers n’a jamais atteint les 49% de la production totale mais varie entre 14% et 23% ».
Sonatrach manifeste clairement par ailleurs sa préférence pour les « négociations directes » avec les partenaires étrangers en indiquant que « la loi 86-14 a permis de conclure 83 contrats entre 1987 et 2005. La majorité de ces contrats sont des contrats de partage de production. Sur ces 83 contrats, 47 contrats ont été conclus à travers la négociation directe avec les compagnies pétrolières internationales et 36 contrats ont été attribués dans le cadre des appels à la concurrence lancés entre 2000 et 2005 ».
La direction de Sonatrach ne va pas jusqu’à formuler des préférences en matière de fiscalité mais selon différentes sources, les nouvelles dispositions de la loi en préparation porteraient, entres autres, sur des incitations fiscales pour encourager les activités liées au pétrole et au gaz non conventionnels, les petits champs, les gisements dans les zones sous explorées, y compris l’offshore, mais aussi les champs à géologie complexe et ceux qui manquent d’infrastructures.
La prochaine loi sur les hydrocarbures prévoirait également une nouvelle méthode de détermination du taux d’imposition qui reposerait désormais sur la rentabilité d’un projet plutôt que sur ses revenus ce qui permettrait aux investisseurs d’avoir un retour sur investissement à la hauteur du risque encouru.
Des réactions mitigées
Pour l’instant, les réactions à cette accélération des évènements sont encore assez peu nombreuses. Interrogé par TSA, Mustapha Mékidèche se félicite de « l’effort de transparence réalisé par la direction de Sonatrach ».
Pour cet expert algérien, il y a bien en effet « urgence » du fait que « les choses traînent depuis des années tandis que la production nationale a diminué de 17% en 10 ans entre 2007 et 2017. La déplétion des gisements et leur vieillissement rendent problématique le maintien des niveaux de production atteints dans les hydrocarbures conventionnels ».
Mustapha Mékidèche pointe une «situation très préoccupante, accentuée par une consommation locale explosive et un contexte énergétique mondial incertain mais qui peut être transformée en opportunité avec des stratégies adaptées ».
Un ancien dirigeant de Sonatrach, qui a préféré gardé l’anonymat, dresse un constant beaucoup plus alarmant. Il estime que l’ « adoption d’une loi dans l’urgence ne suffira pas pour améliorer la situation du secteur des hydrocarbures en Algérie. Les perspectives pour le secteur sont très sombres aussi bien pour le pétrole que pour le gaz. L’AIE prévoit un baril à moins de 60 dollars l’année prochaine et le gaz naturel se négocie à 2 dollars le million de btu avec un GNL à moins de 4 dollars alors que le coût de revient algérien est de 6 à 7 dollars ».
Pour ce spécialiste, « il faut absolument réduire nos coûts de production sinon nous allons continuer à perdre des parts de marché à l’exportation ».
Les énergies renouvelables oubliées ?
Autre problème soulevé par le même expert l’absence de prise en considération sérieuse de notre potentiel solaire alors que le PDG de Sonatrach multiplie les déclarations sur l’importance de nos réserves en gaz et pétrole de schiste.
« Comment peut-on continuer à ignorer notre potentiel solaire alors que les européens ont décidé de convertir leur parc automobile à l’électricité dès 2025 ? Nous sommes en train de faire fausse route. On peut prendre la direction du gaz de schiste mais à quel coût ? »
De façon plus nuancée, Mustapha Mékidèche estime qu’en matière d’énergies renouvelables, « les retards sont importants ». « Le programme lancé en 2011 par les pouvoirs publics n’a toujours pas été mis en œuvre de façon significative, en dépit de la volonté politique affichée et réitérée régulièrement », ajoute-t-il.
Des solutions, explique-t-il, «peuvent être trouvées en limitant par exemple les gaspillages du modèle de consommation et en transférant les économies à un fonds des énergies renouvelables, d’autant que les coûts dans l’électro-solaire, à technologie photovoltaïque, ont considérablement baissé ».