CONTRIBUTION – Je suis d’autant plus à l’aise pour porter la contradiction à mon ami Mokrane Ait Larbi que je l’avais inséré sur la liste des personnalités éminentes et je crois consensuelles pour conduire une transition vertueuse vers le changement que les Algériens et Algériennes appellent de leurs vœux.
Facebook n’est certes pas un ersatz de parti politique ou l’agora de Périclès. Il n’a pas vocation à sélectionner celles et ceux qui seraient susceptibles, pendant une période déterminée, d’exprimer les desiderata et les exigences du mouvement citoyen.
En même temps, force est d’admettre qu’il n’existe aucune provision constitutionnelle capable, par elle-même, d’assurer le fonctionnement normal des pouvoirs publics, après l’annulation de l’élection présidentielle. Mais, même la démission du président de la République qui semble inéluctable, ne sera que la première hypothèque que le mouvement citoyen devra lever.
Comme l’écrasante partie de la population réclame, urbi et orbi, le départ de tout le système, dans quel vivier faudra-t-il puiser pour assurer la continuité de l’Etat et surtout prévenir sa faillite, notamment sur le plan économique, tant les derniers signaux sont inquiétants ? (Cf. Naceur Bourenane, « Des mesures conservatoires à prendre de toute urgence », TSA, 16 mars 2019).
Selon Wikipedia, Facebook « est un réseau social en ligne qui permet à des utilisateurs de publier des images, des photos, des vidéos, des fichiers et documents, d’échanger des messages, joindre et créer des groupes et d’utiliser une variété d’applications. » C’est grâce à ce vecteur que la candidature de l’ex général–major Ali Ghediri a connu assez rapidement un succès appréciable. Pendant toute la durée de sa candidature, Facebook a relayé ses interventions dans lesquelles il explique son programme, précise sa feuille de route, justifie ses choix économiques et sociaux et affiche ses désaccords avec une partie, au moins, du pouvoir. Je suis parfaitement conscient que nous sommes entrés dans une société de communication non exempte de risques.
La question de savoir si elle permet l’épanouissement de la démocratie n’est pas tranchée. Les effets pervers liés à une saturation d’informations, notamment sur des internautes non avertis, dont la sérénité du jugement pourrait être altérée, sous l’effet de messages contradictoires, sont réels. Telle personnalité est-elle réellement indépendante ou bien agit-elle pour le compte de quelque officine occulte ?
Ceci dit, il convient de relativiser ces inconvénients. Les internautes ont proposé, en règle générale, des noms de personnalités relativement consensuelles. Sans Facebook, le mouvement citoyen n’aurait pas connu le fabuleux succès enregistré, notamment le 15 mars, où 42,3% de la population du pays a manifesté dans les villes et les villages du pays, réitérant leur hostilité au maintien au pouvoir de l’actuelle élite dirigeante.
C’est la carence de l’ensemble des formations politiques sur lesquelles 17 millions d’algériens ont jeté l’opprobre, au même titre que sur les partis de l’Alliance présidentielle ; c’est cette carence multiforme qui est la cause du prestige de Facebook et continuera de le demeurer pendant longtemps. Facebook est devenu le lieu magique où des hommes et des femmes engagés dans le mouvement citoyen (à des degrés divers et avec une compréhension des enjeux inégale), mais tous affranchis de quelque contrainte ou peur que ce soit, pour exprimer le souhait que tel ou telle puisse jouer un rôle important pendant la durée du processus transitionnel.
Si l’opposition avait un semblant de crédibilité, si elle ne procédait pas peu ou prou du pouvoir qu’elle feint de diaboliser, si elle n’avait pas lancé un appel à l’armée pour que fût mis en œuvre le fameux article 102 de la Constitution relatif à l’état d’empêchement du président de la République pour cause de maladie grave et durable, ce n’est pas sur Facebook que les internautes auraient découvert des listes de personnalités qui circulent, ici et là. C’eût été suite à des communiqués de partis politiques, ayant réuni leurs militants et adhérents et, le cas échéant, dans le cadre d’alliances nouées pour la circonstance entre formations politiques.
C’est le désaveu total infligé par la population à l’ensemble de la classe politique qui transforme Facebook en haut lieu de sélection des candidatures, même si la réalité du pouvoir reste domiciliée aux mêmes lieux, du moins pour l’instant.
C’est surtout parce que la nature a horreur du vide que Facebook tient le haut du pavé. Ailleurs, les internautes sont surtout des commentateurs de décisions prises par le pouvoir politique ou les élites. En Algérie, depuis le 22 févier, les internautes sont des faiseurs de systèmes, des architectes et des concepteurs de solutions clés en mains, sans toujours disposer d’informations fiables, parce que le système, comme on dit, a institutionnalisé l’opacité.
Ce n’est ni Facebook ni les internautes qu’il faut mettre en cause. C’est le vide sidéral de la vie politique : l’incurie des dirigeants (pas tous cependant, car il ne faut pas oublier qu’il y a dans ce pays des commis de l’Etat méritants), l’opportunisme de la classe politique qui va marchander des sièges à l’APN à la veille de chaque élection législative, l’attentisme de nos pseudo-intellectuels qui se tiennent en embuscade en attendant le vainqueur de chaque compétition politique pour lui prêter allégeance. De ce point de vue, hélas, l’histoire de l’Algérie, depuis 1962, ne fait que repasser les plats.
*Ali Mebroukine est Professeur d’université, militant démocrate