Ce vendredi sera le septième de la mobilisation nationale contre le système. Encore une fois, les Algériens devraient être très nombreux dans les rues de leurs villes pour réclamer un véritable changement et non un faux départ du régime.
Ce septième vendredi, le premier depuis la démission de Bouteflika, arrachée par la mobilisation pacifique exemplaire du peuple et actée par le haut commandement de l’armée, sera encore une fois décisif.
Depuis le départ du président, les regards se sont tournés vers les « 3B ». Abdelkder Bensalah, président du Sénat qui devrait, selon la Constitution, assurer l’intérim de la présidence, Nourredine Bedoui, Premier ministre de ce qui est présenté comme étant le « gouvernement de transition » et Tayeb Belaiz, Président du conseil constitutionnel.
Les bureaux des deux chambres du Parlement, « informées » par l’institution présidée par Belaiz, se sont réunis jeudi pour préparer la réunion du Parlement en congrès (les deux chambres) afin de désigner le chef de l’Etat qui assurera l’intérim durant 90 jours.
Le gouvernement, quant à lui, « gère les affaires courantes » et prend même des décisions importantes : plafonnement des prix de certains produits pendant Ramadan, détente dans l’attribution d’agréments pour les partis et syndicats ainsi que dans la distribution de la rente de la publicité publique aux médias. Le gouvernement et les autres institutions, déclarées illégitimes par la majorité du peuple, des partis et même par l’armée, semblent poursuivre leurs missions comme si de rien n’était, ignorant les revendications des Algériens. Ce vendredi risque d’être pour les 3B un douloureux rappel à la réalité.
Le pouvoir propose et le peuple dispose
L’annonce, le 10 février, par Abdelaziz Bouteflika de son intention de se porter candidat à l’élection présidentielle pour un cinquième mandat a été accueillie par l’indignation immédiate des Algériens. Des appels à manifester et à faire la grève ont été massivement relayés dès le début février et se sont intensifiés et multipliés au lendemain du 10 février.
Mais le clan présidentiel, faisant fi de la volonté populaire, a maintenu le cap, malgré les premières manifestations de Bordj Bou Arréridj, le 15 février, et celles, de Kherrata, les premières à être massives, le 16 février. Le pouvoir a maintenu sa « proposition » d’un cinquième mandat, Ouyahia a menacé les Algériens d’un destin syrien s’ils avaient recours à la rue et Bouchareb leur a souhaité de faire « de beaux rêves ».
Le cinquième mandat semblait être une puissante machine que rien ne pouvait arrêter. Pourtant, après deux vendredis de mobilisation nationale, de marches imposantes et forçant l’admiration par leur pacifisme et leur civisme, lors des vendredis 22 et 1er mars, le projet du cinquième mandat a été enterré.
La deuxième proposition du pouvoir a été faite le 3 mars, dans une lettre attribuée à Bouteflika. Ce dernier s’était engagé, s’il est élu, à organiser une conférence nationale de transition et des élections présidentielles anticipées.
« Non ! », ont encore dit les Algériens qui avaient, à ce moment-là, élevé le plafond de leurs revendications d’un simple départ de Bouteflika au départ de tout le régime. Même si elle ne contenait qu’un plan pour contourner la volonté populaire, la lettre du 3 mars démontrait déjà que le peuple exerçait de nouveau ne serait-ce qu’une partie de sa souveraineté. A partir de cette date, il devenait de plus en plus clair qu’aucune décision ou proposition du pouvoir ne passerait sans le consentement du peuple. Il était aussi évident que les tentatives de contourner la volonté populaire par des manœuvres ou de faux départs n’avaient que très peu de chance d’aboutir. Le retour du pouvoir au peuple sera confirmé lors des vendredis suivants.
« Système dégage ! », était, lors du troisième vendredi de manifestation, le 8 mars, le slogan le plus scandé par les Algériens. Trois jours après, le 11 mars, Bouteflika annonçait l’annulation des élections présidentielles, mais pas son départ. Le 15 mars, quatrième vendredi, les Algériens sont redescendus dans la rue, ont tenu leur assemblée et ont émis leur décret : le pouvoir doit partir.
Le mouvement, contrairement à tous les pronostics du pouvoir et des « spécialistes », ne montrait aucun signe d’essoufflement, forçant les partis de l’alliance présidentielle et de nombreuses organisations de masse du pouvoir à lâcher, peu à peu, le clan présidentiel. Ces partis et organisations honnis par le peuple ont fini, malgré eux, à se soumettre à son pouvoir en reprenant ses mots d’ordre, sincèrement ou pas.
C’est après un cinquième vendredi de protestation contre le pouvoir que Gaid Salah finira, le 26 mars, par appeler clairement à l’application de l’article 102 de la Constitution. Auparavant, sa position, franchement pro-Bouteflika, s’était infléchie progressivement, passant par des déclarations encensant le peuple et son pacifisme pour arriver à ce point de non-retour. Les Algériens, toujours pas satisfaits, puisque l’application de l’article 102 n’allait provoquer que le départ de Bouteflika sans le reste du pouvoir, ont marché par millions, lors du sixième vendredi du 29 mars. « Appliquons l’article 7 !» ont-ils alors exigé, revendiquant ainsi leur souveraineté sur le pays.
Le lendemain du sixième vendredi, surement conforté dans sa position par la mobilisation qui ne faiblissait pas, Gaid Salah proposera d’appliquer, en plus des deux articles précédents, un troisième article de la Constitution, le 8, qui dispose dans son premier alinéa que « Le pouvoir constituant appartient au peuple ».
Le nouvel appel du chef de l’armée qui, en parlant de l’application de l’article 8, laisse entendre qu’une transition sans les vestiges de l’ère Bouteflika était envisageable, sonnait déjà la fin du clan Bouteflika et, comme beaucoup d’indices le laissent croire, la fin du gouvernement Bedoui, de Bensalah, de Belaiz et d’au moins une partie du pouvoir.
Cette prise de position par Gaid Salah ne doit pas être interprétée comme un coup d’Etat car, l’armée, seule, sans l’expression par le peuple d’une volonté unanime de dégager le système, n’aurait rien pu faire. Mais une confirmation de la part du chef de l’Etat-major est attendue par les Algériens qui l’appelleront sûrement ce vendredi à pousser au départ les symboles du système Bouteflika et du pouvoir.
L’application de l’article 102 a été lancée par la démission de Bouteflika, au soir du 2 avril, après une ultime injonction du chef de l’état-major. Le peuple, nouvel « homme fort » du pays, réclame maintenant l’application des articles 7 et 8 de la Constitution, et Gaid Salah doit tenir ses engagements de satisfaire toutes les revendications du peuple.
S’ils sont appliqués dans leur forme et leur esprit, ils permettront de mener une période de transition sans Bouteflika et son clan, sans Bedoui et sans un président par intérim qui viendrait du Sénat, une transition qui ne soit pas gérée par le pouvoir mais par des instances et personnalités indépendantes et acceptées par le peuple. C’est ce que réclame le peuple, nouveau souverain de l’Algérie, et sans doute il le dira encore une fois lors de ce septième vendredi.