Société

Sérum antiscorpionique : il est né en Algérie en 1936

Il y a juste une plaque en marbre apposée sur le mur gauche du hall d’entrée de l’immeuble du 8, rue Didouche Mourad (ex-Michelet), à Alger. Une plaque sobre, modeste, discrète, sans fioritures ni ostentation. Qui dit que le Dr Étienne Sergent a habité dans ce bâtiment, qui fait angle entre la rue Didouche Mourad et le boulevard Mohamed V, pendant 55 ans. Mais, l’essentiel, l’important n’est pas là. À la neuvième et dernière ligne du texte, où l’on découvre que le toubib en question fut l’inventeur du sérum antiscorpionique.

Le remède miracle contre les piqûres de scorpions a été mis à jour dans les laboratoires de l’Institut Pasteur d’Algérie, situé à proximité de la fontaine du Hamma, du Jardin d’essai et du Musée nationale des beaux-arts.

Le Dr Étienne Sergent a fait toute sa carrière en Algérie. D’abord en tant que chargé de mission permanente de l’Institut Pasteur de Paris de 1900 à 1909, puis en qualité de médecin chercheur à l’Institut Pasteur d’Algérie créé en 1909, dont l’extension, en 1917, s’était faite sur les débris d’un restaurant huppé, le Château Rouge, fréquenté par des jeunes tourtereaux européens.

« La science va sacrifier ce joli coin champêtre dont Eros et Venus avaient fait un temple de leurs temps. Ce coin ombragé du Jardin d’essai va donc perdre en charme ce que la science récupérera en utilité », relevait l’hebdomadaire « Annales algériennes » dans son édition du 15 mai 1917, cité dans Raconte-moi Alger (Anep Éditions, 2e semestre 2017).

Le Dr Sergent s’était voué corps et âme aux travaux de recherches sur le paludisme et les maladies infectieuses jusqu’à son décès, en 1948 à Alger. Il est né le 13 août 1878 à Mila, dans l’est algérien.

Faire barrage au « péril scorpionique »

« En 1889, Étienne Pasteur et son frère Edmond (né le 23 mars 1876 à Skikda, ex-Philippeville), n’avaient respectivement que 11 ans et 13 ans. Ils recevaient de la part de leur père, Louis-François, ancien légionnaire devenu administrateur de Mila, un précieux livre qui, vraisemblablement, influença les deux enfants dans le choix de leurs futures carrières scientifiques. Il s’agit d’un livre intitulé M. Pasteur, Histoire d’un savant par un ignorant, consacré à Louis Pasteur par R. Vallery-Rado (J. Hetzel et Cie Editeurs, Paris, 1883). Edmond fut directeur de l’Institut Pasteur d’Alger de 1912 à 1962 », peut-on lire dans le livre Raconte-moi Alger.

« Produit par un journaliste algérien autochtone, Saïd Azrour, le premier reportage sur la découverte du sérum antiscorpionique fut diffusé sur Radio-PTT (ancêtre de l’actuelle radio algérienne) le 14 mars 1938, à 22H30, selon L’Écho d’Alger du même jour », ajoute-t-il.

Le Dr Étienne Sergent avait révélé sa fameuse découverte en 1936, après plusieurs années de recherches, de labeur. En fait, des travaux de recherches contre le « péril scorpionique », selon l’expression d’un médecin de l’époque, étaient déjà entamés, ailleurs, au début du 20e siècle. Mais, ils étaient à l’état de balbutiements, peut-on dire. Le sérum antiscorpionique avait été évoqué en 1913 par le Dr Maurice Arthus, qui avait réalisé une étude sur le scorpion égyptien. Il avait décrit le produit comme un mélange entre le venin de scorpion et de sérum antiscorpionique de l’Institut Lister de Londres.

Mais la formule efficace avait été celle mise au point par le Dr Étienne Sergent, dans les laboratoires de l’Institut Pasteur d’Algérie. Il l’avait divulguée en 1936, dans une note envoyée à ses confrères, sous le titre : « Obtention d’un sérum actif contre le venin de scorpion ». Note lue par Félix Mesnil lors d’une séance de l’Académie française des sciences, à Paris.

Les scorpions tuaient plus que les serpents

Le Dr Sergent avait expliqué d’abord pourquoi il s’était lancé dans les travaux de recherches contre ce fléau. Parce que « les piqûres de scorpions causent chaque année en Algérie beaucoup plus de cas de mort que les morsures de serpents venimeux (vipères à cornes, vipères lébétines, naja etc). C’est pourquoi nous avons instauré la préparation à l’Institut Pasteur d’Algérie d’un sérum antiscorpionique (…) Comme il est impossible d’obtenir en quantités pondérables du venin de scorpion, nous utilisons la poudre obtenue par le broyage des telsons ».

Le produit obtenu, provenant de la même espèce de scorpions, était ensuite macéré dans l’eau salée et ajouté à la glycérine. C’est l’âne qui fut utilisé comme cobaye pour les essais, les tests de ce qui deviendra, plus tard, le sérum antiscorpionique. Après l’âne, on était passé à la souris. Expérience réussie. « Au bout de quelques mois, on obtient un sérum qui sauve plus de 80 souris sur 100 ayant reçu une quantité de venin qui tue toutes les souris restantes en moins de deux heures (expérience faite sur 173 souris sérumisées et 78 témoins). La même dose de sérum sauve des souris ayant reçu trois doses mortelles de venin ».

Le Dr Sergent avait souligné dans sa note que le sérum « mijoté » contre l’espèce de scorpion connue sous le nom de Priorunus Australis, le plus mortel, est actif aussi contre le venin de Buthus occitanus et celui du Pr Liouvillei. « Il peut donc être employé contre tous les venins des scorpions en Afrique du Nord », qui comptait, selon un recensement de l’époque, quinze espèces. Les cas de décès étaient enregistrés chez les enfants et les personnes âgées, parce que plus sensibles aux piqûres de scorpions.

Entre 1937 et 1940, le pourcentage des guérisons obtenues grâce au sérum antiscorpionique atteignait 84%. Et les cas mortels enregistrés durant la même période étaient attribués, les uns à la prise en charge tardive des personnes piquées, les autres à la dose insuffisante du sérum injecté au patient. Pour la seule année de 1940, sur les 35 cas graves pris en charge dans les structures médicales, 29 avaient guéri, tandis que les 6 autres avaient succombé. En 1938, vingt-six cas désespérés sur 33 pris en charge avaient été sauvés, soit 78%, rapportait Le Journal des débats politiques et littéraires du 3 mars de la même année.

Une fois les expériences menées en laboratoire sur les ânes, les chevaux et les souris réussies, le sérum antiscorpionique était mis à la disposition des médecins en Algérie, en Tunisie, au Maroc, au Liban et en Syrie. En Algérie, ce sont 497 litres de sérum qui leur avaient été remis. Les médecins avaient pris en observations médicales 2209 personnes piquées par des scorpions, traitées ou non par le sérum. Les cas bénins et les cas sérieux, mais considérés non alarmants, n’avaient pas été pris en compte dans ces statistiques. Les seuls cas retenus étaient ceux qualifiés de graves par les médecins, « comme devant aboutir à une issue fatale ».

Le fléau touchait surtout les Indigènes

Les cas désespérés traités en 1947 par le sérum s’élevaient à 531, dont 134 étaient à l’article de la mort. « La proportion des sujets sauvés d’une mort imminente est donc d’environ 89% », selon le Dr Sergent. Il avait relevé dans une note à ses confrères de l’Académie des sciences de Paris que les régions « hantées par les scorpions les plus dangereux étaient les Oasis sahariennes et les steppes ». Les victimes étaient « presque en totalité des indigènes » qui payaient un lourd tribut à ce fléau, qui persiste encore dans de nombreuses régions du pays.

Les médecins civils et militaires ayant bénéficié de lots de ce vaccin étaient ceux établis dans les régions infectées. « On a vérifié que ce sérum est efficace contre le venin de tous les scorpions de l’Afrique du Nord », dira le Dr Etienne Sergent, dans une autre note intitulée Action thérapeutique du sérum antiscorpionique, publiée dans la revue des Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris de janvier-juin 1947.

Soixante-dix ans plus tard, la lutte contre cette calamité continue. Les dernières statistiques de 2016 du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière (DSPRH) relevaient plus de 43 000 cas d’envenimation scorpionique. Quarante-sept personnes avaient succombé aux piqures. Le nombre des décès était en baisse par rapport à l’an 2000 où l’on avait recensé 150 morts.

Durant le premier semestre de 2017, le nombre des cas d’envenimation dans les wilayas des Hauts Plateaux et du Sud algérien n’ont fait que 15 morts sur les 3 500 cas d’envenimation recensés. Il semble, au regard de ces chiffres, que la vigilance des populations et les campagnes de sensibilisation menées dans les wilayas affectées ont donné de bons de résultats. Mais, il ne faudrait surtout pas baisser la garde. Les autorités sanitaires devraient encourager, financièrement, les captures des scorpions pour les besoins de la fabrication du sérum antiscorpionique. Aujourd’hui, les « chasseurs » de scorpions perçoivent 80 dinars pour chaque scorpion capturé et remis à l’Institut Pasteur d’Algérie. La palme d’or de la bonne « chasse » revient aux « chasseurs » des régions d’El-Oued et de Biskra. C’est dans ces deux régions que se trouvent les meilleurs collecteurs de scorpions. La collecte se fait en été.

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