Ces informations sur une Interdiction de sortie du territoire national (ISTN) visant des hommes d’affaires proches du clan présidentiel n’étaient donc pas des rumeurs malveillantes. Preuve en a été donnée par l’interpellation d’Ali Haddad et les interdictions de sortie du territoire annoncées officiellement, lundi 1er avril, via un communiqué de la justice.
Depuis la dernière modification du code de procédure pénale intervenue en juillet 2015, la délivrance d’une ISTN est de la seule responsabilité de la Justice. Les services de sécurité ont été dessaisis de ce pouvoir.
Y a-t-il eu des « signalements » effectués en dehors de la procédure et qui ont permis de bloquer la fuite de « suspects », pour les empêcher de se soustraire définitivement aux griffes de la justice ? Cela est possible au moment où se délite le « clan présidentiel » qui n’a pas eu le temps de se barricader derrière une loi d’amnistie générale.
C’est d’ailleurs la recherche de l’immunité qui semble avoir nourri le désir d’un cinquième mandat ou d’une prolongation du quatrième. Privés de garanties, les membres du « clan » qui se sont nourris au blé de la corruption seraient tentés de rallier les destinations où ils ont investi leur fortune, dissimulée sous la nationalité du pays d’accueil.
La rumeur a couru dans un climat politique délétère, asphyxié par l’absence de gouvernement. Le parquet a décidé d’y mettre un terme. Il a annoncé des enquêtes préliminaires pour des « faits de corruption et de transfert illicite d’argent vers l’étranger ».
Précisons déjà pour les profanes qu’une enquête préliminaire est loin se valoir culpabilité.
Elle est confiée par le parquet à des instances qui ont un pouvoir de police judiciaire. Suivant les éléments recueillis, elle peut être classée sans suite, faire l’objet d’une procédure de flagrance si les délits ne sont pas graves ou au contraire donner lieu à une enquête d’un juge d’instruction si les faits sont graves. Dans ce dernier cas, des détentions préventives peuvent même être décidées.
Pour autant, est-il possible de rendre une justice sereine dans un climat politique pollué, qui risque de favoriser la chasse aux sorcières et les règlements de compte ? Surtout que l’opinion publique veut que des têtes roulent sous l’échafaud ! Et déjà, il faut noter que la corruption a prospéré et s’est propagée sous la protection du pouvoir politique qui a asservi le pouvoir judiciaire et aboli tous les instruments de contrôle de l’action publique.
Les tribunaux mêmes sont contaminés par la plaie de la corruption. Le monde des affaires est sous l’empire de règles qui nourrissent le favoritisme, la concussion et le clientélisme.
Les quelques affaires qui ont filtré révèlent que toutes les institutions sont concernées : banques, douanes, impôts, administrations publiques et entreprises publiques… Les dossiers les plus emblématiques n’ont pas connu les suites espérées. Chakib Khelil a vu son mandat d’arrêt annulé d’un trait de plume du prince, sans qu’aucune explication ne soit donnée aux Algériens. L’ancien ministre fait maintenant des conférences sur Facebook pour expliquer comment gérer correctement le pays.
Un ministre cité dans les Panamas Papers s’est cru obligé de dire qu’il n’avait de comptes à rendre qu’au président. Moumène Khalifa a été condamné et jeté en prison alors que tous les politiques impliqués dans le dossier ont été blanchis, parfois contre l’évidence même.
La liste des suspects en circulation révèle des personnalités en liaison avec des dirigeants politiques. Le FCE a pris le pouvoir qui est devenu le sien grâce au pouvoir politique. D’éventuels procès de ses membres ne devraient pas occulter les responsabilités politiques. Seul un pouvoir politique doté de la légitimité pourrait enclencher des procédures équitables.
Peut-être faudrait-il pour l’instant se suffire de mesures conservatoires. Sinon comme dans la fable des animaux malades on risque de pendre l’âne pour une peccadille et épargner le lion et le renard qui ne se sont pas contentés de lécher un carré d’herbe comme le pauvre baudet qui en plus a naïvement avoué son péché.