« Il y a une grande force au sein de la société algérienne qui appelle au changement. La situation mondiale actuelle veut également que les choses changent en Algérie. Il ne s’agit pas de changement politique seulement, remplacer une personne par une autre ou un parti par un autre. Il s’agit en fait d’un changement générationnel. Ce changement aurait pu avoir lieu en 2014. En 2019, nous sommes devant l’obligation d’aller vers ce changement générationnel. La génération de la légitimité historique et de la construction de l’État national doit partir. Si elle ne part pas, le pays ira vers une crise ».
Le constat est du sociologue et chercheur Nacer Djabi, invité, mardi 5 février, de TSA Direct.
Abdelaziz Bouteflika doit, selon lui, être le dernier président de la République issu de la génération de la guerre de libération nationale et de 1962.
« Le système politique algérien ne produit pas d’élites. Quel est donc le nombre d’Algériens qui adhèrent aux partis ? Àpeine 2 à 3% ! Les moins de 35 ans sont 1% à militer dans un parti. C’est très faible. Les partis n’ont pas pu convaincre les jeunes à les rejoindre. Les Algériens sont aujourd’hui persuadés que l’élection présidentielle n’est pas un moyen de changement. Le problème est que si le changement ne se fait pas à travers les partis, les élections, l’action politique, il ne restera que la rue. Il n’y a qu’à voir l’expérience récente des pays arabes. Aucun régime politique ne peut résister longtemps à la rigidité », a-t-il averti
« Grande banalisation de la politique »
Le régime politique accentue, selon le sociologue, les peurs à l’approche d’échéances électorales. D’où l’évocation des craintes sécuritaires et l’insistance sur la question de la stabilité.
Nacer Djabi regrette la faiblesse de niveau de certains « politiques » mis en avant par le pouvoir. Il souhaite que les médias s’intéressent davantage à l’organisation de débats politiques, « à longueur d’année, pas à l’occasion d’échéances électorales », pour permettre une certaine décantation.
« Les télés privées ont contribué à diluer le travail politique. Elles ont du temps à perdre (…) en donnant la parole à des gens qui ne savent pas parler. Il n’y a pas un réel débat politique avec des élites, des normes, des discours et des projets. Et quand les gens se lancent dans l’action politique, ils sont mal vus par la société. C’est à cause de la grande banalisation de la politique. C’est dangereux », a-t-il averti en évoquant la bousculade de candidats à la candidature devant le siège du ministère de l’Intérieur..
Les personnes qui ont acquis des fortunes durant les deux dernières décennies tendent, selon lui, à vouloir consolider leurs nouvelles postures sociales par l’implication dans la politique. D’où la course pour la participation aux législatives, aux locales et aux sénatoriales.
« L’émergence d’hommes riches est une tendance lourde dans la société algérienne, ces dernières années. Ils sont différents de la bourgeoisie traditionnelle. Ils veulent être dominants en investissant dans la politique. C’est à cause du système rentier et bureaucratique. On veut s’approcher du centre de décision politique pour ne pas être loin du centre de la décision économique. Les gens veulent fortifier leurs positions. Il s’agit d’une nouvelle classe qui va gouverner l’Algérie dans le futur », a-t-il analysé.
L’armée fournira les élites politiques
Citant l’exemple du général-major Ali Ghediri, candidat à l’élection présidentielle, Nacer Djabi a estimé que les officiers supérieurs admis à la retraite seront tentés par le travail politique.
« Devant l’échec du système politique, des élections et des partis à produire des élites, l’armée s’en chargera. C’est presque une fatalité sociologique. Ali Ghediri fait partie de la première génération de hauts gradés admis à la retraite. Il s’agit d’officiers qualifiés, diplômés, relativement jeunes et qui ont de l’expérience de gestion. Leur nombre va augmenter. Ali Ghediri ne sera pas l’exception. Cela pourrait être « une solution » à la crise des élites politiques. Ils vont enrichir la classe politique. Ce phénomène a été vu en Turquie, en Égypte, en Russie, en Amérique du Sud et en Israël. L’armée va donner au régime politique des élites », a-t-il souligné.