L’Algérie a décidé d’interdire l’exportation des produits de large consommation. Dans cet entretien, l’économiste Smaïnl Lalmas revient sur les conséquences de cette décision qui a été appliquée sans délai, sur les exportateurs algériens.
Le ministère du Commerce a décidé d’interdire les exportations de produits de large consommation. La liste n’a pas été établie, du coup tout est bloqué. Comment analysez-vous cette décision ?
En cette période critique, de nombreux pays s’efforcent à respecter leurs engagements avec leurs clients dans le but de les préserver, les fidéliser et préserver leur crédibilité sans oublier pour autant de donner la priorité à leurs marchés.
Cependant, bloquer l’exportation de conteneurs de jus ou de biscuits, je ne vois pas à quelle logique cela répond, sachant que la décision a été appliquée avec effet immédiat, sans pour autant pouvoir honorer leurs contrats avec leurs clients étrangers.
Les conséquences de cette décision vont forcément discréditer auprès de leurs partenaires le peu d’exportateurs que nous avons, sans oublier les dégâts collatéraux et les répercussions sur la production et donc sur l’emploi.
Ce flou total qui règne au niveau du secteur des exportations, dure depuis le mois de février, sans pour autant permettre à nos opérateurs ni aux douaniers, d’avoir en leur possession une liste détaillée des produits avec leurs positions tarifaires concernés par cette interdiction d’exportation.
Encore une fois, les solutions faciles priment sur la logique commerciale et sur le business, cette décision d’interdiction est un autre coup dur pour nos opérateurs exportateurs qui vont forcément les décourager et leur faire perdre du terrain face à une concurrence de plus en plus rude à l’international.
Pendant ce temps, les principaux fournisseurs en blé, maïs et soja par exemple, ont mis un programme d’intensification de leur production afin de répondre aux besoins du marché et combler le manque causé par les deux pays en conflit à savoir la fédération de Russie et l’Ukraine. Au lieu d’interdire, il faut plutôt penser à développer notre production nationale et saisir les opportunités pour exister sur les marchés internationaux.
Aussi les changements fréquents de mesures concernant les importations profitent au marché noir. Par exemple la forte taxation des téléphones portables dont le marché est aujourd’hui dominé par l’informel. Cela ne profite ni à l’État, ni au consommateur. Quelle est votre explication ?
Effectivement, de fréquents changements de réglementation ont caractérisé l’activité d’importation en Algérie à travers la surtaxation, le durcissement de la réglementation et du système de paiement ainsi que l’exigence de nouveaux documents à produire causant un dérèglement sérieux en approvisionnement du marché en produits de consommation divers et aussi en matières premières et produits semi-finis essentiels dans la transformation et la production, provoquant au passage, des pertes d’emplois directs et indirects, avec la fermeture d’un grand nombre de sociétés d’importation laissant place au marché parallèle ainsi qu’à la fraude et donc la corruption.
En général, le choix d’une politique protectionniste peut éventuellement protéger, par exemple, certaines industries naissantes, en leur donnant une marge de manœuvre afin de consolider leur compétitivité, et donner aussi le temps aux entreprises vieillissantes pour se reconvertir afin de mieux résister face à la concurrence internationale.
Par ailleurs, cette politique peut conduire à des différends avec nos partenaires en exigeant le droit à la réciprocité, et cela peut conduire aussi à l’isolement de notre économie nationale, à des augmentations des prix en interne, à la perte de compétitivité des entreprises, pour ne citer que ces quelques conséquences.
Il est évident que nous devons développer certaines barrières pour répondre aux menaces de la mondialisation, comme le font d’autres pays, mais par ailleurs, le protectionnisme ne paraît pas non plus, comme la meilleure des solutions.
Nous ne pouvons pas nous permettre de nous isoler du monde et de nous couper des zones de développement économique, il faut donc, à mon avis, mettre en œuvre un protectionnisme intelligent en prenant soin de le distinguer de l’autarcie, dans le cadre d’une vision économique globale.
Enfin, en Algérie, c’est l’éternelle confrontation entre le libre-échange et le protectionnisme, un problème qui persiste en l’absence d’un vrai projet économique
Selon vous, pourquoi la machine économique algérienne ne décolle pas ?
Il faut savoir que le décollage économique est une phase importante de l’histoire d’un pays où la croissance économique est un phénomène normal. En plus simple, c’est une étape décisive de la croissance, mais ce n’est pas le commencement d’un processus de croissance.
Pour parler donc de décollage, il faut tout d’abord s’assurer que la machine est de bonne qualité, au standard international, et non pas un assemblage de composants non compatibles.
À mon avis, commençons par mettre en place les fondements d’une économie, rassembler les conditions préalables au décollage avec des moteurs adéquats, penser à un bon équipage et passer ensuite à l’étape décollage avec des objectifs bien définis.
Cette préparation au décollage implique en effet une attention particulière portée aux conditions préalables, à savoir le retour aux notions de patriotisme économique, à la guerre contre la corruption, à l’importance du capital humain, lancer de grandes transformations sociales et sociétales, à une réelle démocratie pour arriver enfin aux changements politiques souhaités par le peuple qui donnera naissance à un projet économique porté par tous.
Une fois les conditions acquises, l’investissement, qui apparaît comme le facteur décisif, sera forcément au rendez-vous avec le retour de la confiance instaurée par les mutations politiques réclamées par nos valeureux citoyens. Je reste persuadé que le développement économique de notre pays suppose bien une rupture avec toutes les pratiques antérieures.
Pourquoi le retard pris dans l’élaboration du Code de l’investissement ?
Je dirai plutôt pourquoi un nouveau Code des investissements, à quoi cela va servir si les conditions d’un changement en profondeur ne sont pas réunies ?
Je vais malgré tout répondre en disant que l’investissement est un facteur clé de l’économie, dont le développement nécessite, comme je l’ai signifié en réponse à votre question précédente, des changements majeurs et en profondeur à tous les niveaux.
Comme vous devez le savoir, l’Algérie a déjà eu droit à des Codes des investissements, annoncés à chaque fois comme étant des textes salvateurs pour notre pays, mais qui finalement n’ont eu aucun impact sur notre économie, en restant toujours dépendant des hydrocarbures, avec un très faible attrait des investisseurs étrangers, un recul grave de l’investissement local à forte valeur ajoutée, un climat des affaires pas du tout encourageant caractérisé par une instabilité record des lois, une instabilité que nous continuons de subir.
Le Code des investissements est un projet de loi censé accompagner la stratégie économique, et qui constitue un précieux outil capable d’attirer et d’orienter les investisseurs vers les secteurs déclarés prioritaires, en conformité avec le plan de développement du pays. Faute encore une fois de stratégie, ce document tarde à voir le jour sachant qu’il ne sera pas mieux que les Codes des investissements passés.