La compagnie pétrolière nationale est au cœur d’une nouvelle polémique en Algérie. Outre le procès en appel de l’affaire dite Sonatrach 1, programmé pour mercredi dernier devant la Cour d’Alger avant d’être reporté, la plus importante entreprise d’Algérie a aussi fait parler dans la semaine par la conclusion d’un accord avec ses travailleurs sur plusieurs aspects socio-professionnels.
Surtout, elle a été au cœur d’un face à face au Conseil de la nation entre le ministre de l’Énergie et le sénateur Abdelouahab Benzaim connu pour ne pas avoir la langue dans la poche. Concernant l’accord annoncé, il porte sur la régularisation de certaines catégories professionnelles, dont les agents de sécurité.
Bien qu’elle soit de loin l’entreprise qui paye le mieux en Algérie, Sonatrach fait face régulièrement à des mouvements de protestation internes menés par différentes catégories professionnelles.
La société est de fait devant un dilemme presque insoluble : laisser filer sa ressource humaine, notamment les cadres qualifiés, vers les grandes compagnies mondiales, du Golfe particulièrement, qui offrent des avantages mirobolants, ou faire l’effort de la garder moyennant de meilleurs salaires et creuser davantage le gap entre la rémunération de ses personnels et ce que gagne le commun des Algériens qui se débrouillent avec un Smig à 20 000 Da et un salaire moyen à environ 40 000 Da.
Et c’est précisément cette énorme différence qui fait que tout le monde rêve de travailler à Sonatrach, malgré les dures conditions dans les régions désertiques et chaudes du Sud.
Ceux qui reviennent le plus à la charge ces dernières années sont les jeunes des wilayas du Sud, qui s’estiment prioritaires pour le recrutement du fait que leurs localités sont riveraines des champs de pétrole et en subissent par conséquent les désagréments ; ceux du Nord croient qu’en tant qu’Algériens, ils ne peuvent être privés du droit de travailler pour une société nationale et que les seuls critères qui doivent régir les concours de recrutement sont ceux de l’éligibilité et de la compétence. L’écheveau est, là aussi, presque inextricable.
D’autant que l’entreprise qui affiche un effectif pléthorique et qui touche quasiment à tous les métiers y compris le football, ne fonctionne pas selon les règles du marché, comme l’a souligné le sénateur Benzaim. Les Algériens le savent.
« La colère des chômeurs et des étudiants est due au fait que les chances de travailler à Sonatrach sont inexistantes pour le commun des Algériens. Ses responsables emploient qui ils veulent, quand ils veulent et au salaire qu’ils veulent. Que les prix de pétrole montent ou descendent, les salaires à Sonatrach sont toujours les mêmes, ainsi que les avantages royaux. On nous disait que la production a baissé, mais les salaires ont augmenté. Toutes les franges du peuple demandent à travailler à Sonatrach et c’est un droit pour tous les enfants du peuple, notamment les enfants du Sud », a-t-il dénoncé.
Difficile de nier que tout ne tourne pas rond
Le problème, connu de tous, a été de nouveau soulevé par le sénateur Abdelouahab Benzaim jeudi dans sa question au ministre de l’Énergie, mais il a débordé sur d’autres anomalies qui caractérisent la gestion de l’entreprise qui fait vivre le pays et dont on parle peu, sinon jamais.
Des tabous que les gouvernements successifs ont évité d’aborder, du moins publiquement. Le sénateur a notamment mis l’accent sur les contrats mirobolants avec des sociétés privées de prestation de services, comme la sécurité et le gardiennage des champs de pétrole et de gaz et la restauration dans les bases de vie au Sud.
Il a aussi parlé d’une flotte de navires et d’avions propres à Sonatrach, d’une loi sur les hydrocarbures taillée sur mesure… Tout cela est, selon lui, géré dans l’opacité et aucune institution, « ni même le Parlement », ne peut réclamer des comptes. Le membre du Conseil de la nation en déduit alors que Sonatrach fonctionne comme une « république autonome ».
Il y a peut-être de l’exagération dans le constat, mais force est de relever que le premier responsable du secteur, qui a sous sa coupe l’entreprise ainsi dénoncée, n’a pas répondu par l’indignation à laquelle on pouvait s’attendre face à de tels griefs, rétorquant juste que Sonatrach dispose d’une assemblée générale et que ses comptes sont présentés chaque année, mais ils ne sont plus publiés.
Abdelmadjid Attar a même reconnu qu’il y a du vrai dans ce que venait d’égrener le sénateur, comme l’éparpillement des efforts de l’entreprise dans des activités qui ne constituent pas son cœur de métier. En fin connaisseur du secteur, M. Attar sait qu’il est contre productif de nier l’évidence, à savoir que tout ne tourne pas rond au sein de Sonatrach.
Nonobstant les causes qui ont mené à cette situation, il est aujourd’hui indéniable que la société connaît une instabilité managériale chronique (4 PDG depuis 2016 et 12 depuis 2010), et est régulièrement secouée par des scandales retentissants qui ont vu plusieurs de ses anciens hauts responsables traînés devant les tribunaux. Par-dessus-tout, ses staffs successifs n’ont pas réussi à endiguer la baisse de production qui semble inexorable et qui met en alerte tout le pays.