Des géants mondiaux de l’industrie pétrolière ont décidé de retarder leurs investissements en Algérie devant l’incertitude induite par la crise politique que traverse le pays.
ExxonMobil a même suspendu la signature d’un contrat avec Sonatrach. L’information rapportée par le Wall Street Journal la semaine passée est presque passée inaperçue, éclipsée par la contestation populaire contre le président Bouteflika et le système politique.
Le secteur de l’énergie, qui assure plus de 90% des exportations du pays, est logiquement affecté par l’incertitude de la situation politique. Avant même cette réticence de ses partenaires étrangers, la première entreprise du pays a enregistré les premières grèves des travailleurs en lien avec la contestation. Des débrayages appelés à se multiplier puisque de nombreux animateurs du mouvement populaire y voient le meilleur levier de pression sur les autorités.
Comme à chaque fois que le pays connaît des turbulences, ce poumon de l’économie nationale se retrouve au-devant de la scène. Ce n’est peut-être pas par omission que le pouvoir a épargné Sonatrach des derniers changements annoncés en prélude d’une transition politique.
Le 11 mars, la démission du gouvernement Ouyahia était annoncée en guise de concession à la rue qui réclamait plus que toute autre tête celle du secrétaire général du RND, après celle de Bouteflika. Noureddine Bedoui, secondé par Ramtane Lamamra, est chargé de composer une nouvelle équipe de « compétences nationales ». Les ministres de l’ancien Exécutif ont donc été « sacrifiés » comme l’exige l’ampleur des manifestations, et s’ils ont été priés de continuer à gérer les affaires courantes, c’est juste parce que le nouveau Premier ministre n’a pas encore mis la main sur des candidats crédibles pour les remplacer.
On change donc les ministres, mais pas le PDG de Sonatrach. Une décision qui constitue une double erreur, politique et économique. Elle est d’abord incompréhensible si l’on considère que les changements opérés sont destinés à calmer la rue et à offrir des gages d’aller vers une transition apaisée.
Abdelmoumen Ould Kaddour, plus que beaucoup de ministres, est considéré comme l’une des figures clé du régime, en tout cas comme un membre du cercle présidentiel. Dire qu’il est le véritable patron du secteur, avant le ministre Guitouni, ce n’est pas trahir un secret.
Certes, il n’a pas eu de démêlés avec la justice depuis qu’il est en poste, mais l’opinion publique n’a toujours pas compris comment il s’est retrouvé à la tête de l’entreprise qui fait vivre le pays après avoir été condamné à de la prison ferme pour des chefs gravissimes. Officiellement, il n’a pas été blanchi à l’issue d’un procès public.
Son cas ne diffère pas trop de celui de l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil qui a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international avant de rentrer au pays sans que l’on comprenne comment et par qui la procédure a été abandonnée. Dans les deux cas, l’opinion a dû se contenter de la même explication distillée par des canaux non officiels, à savoir que les deux personnages avaient été victimes d’une machination des anciens dirigeants du DRS, avec le même objectif d’affaiblir le cercle présidentiel. Aussi, si M. Ould Kaddour n’a pas été cité directement ces dernières années dans des affaires douteuses, son fils l’a été, notamment lorsque TSA a révélé son acquisition de 72.000 m² sur l’île espagnole d’Ibiza.
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Le remplacement de Ould Kaddour dans cette conjoncture précise n’aurait pas seulement servi à rassurer l’opinion nationale, mais aussi les partenaires étrangers de l’entreprise. Le PDG de Sonatrach peut-il engager l’entreprise dans des contrats sur le long terme, comme ceux de vente de gaz, ou des partenariats d’exploration et d’exploitation ? Quelle valeur auront ses engagements si le pays est réellement en transition qui débouchera sur de profonds changements ?
Ce n’est pas la première fois que de tels bouleversements surviennent dans un pays pétrolier ou gazier et c’est logiquement qu’on assiste à des réticences de multinationales à traiter avec une direction qui n’a que peu de chances de rester. Ce qui induit un risque supplémentaire pour l’économie nationale au moment où elle en a le moins besoin, celui d’une poursuite de la baisse de la production des hydrocarbures.
On parle de poursuite car les observateurs ont déduit des derniers chiffres de la Douane (janvier 2019) que la production nationale de pétrole ou du gaz, ou les deux, est en berne. La valeur des exportations d’hydrocarbures a reculé de 40% par rapport à la même période de 2018, alors que les prix n’ont reculé que de 13%. Une incohérence qui ne peut s’expliquer que par la réduction des quantités exportées ou la révision de la tarification des exportations gazières. La direction de Sonatrach ne s’en est jamais expliquée. Elle ne compte visiblement pas le faire.