Amar Saâdani, l’ancien secrétaire général du FLN, est subitement sorti de son silence pour nous rappeler que la guerre dont il a tiré les premières salves en 2013 n’est pas terminée.
Peut-être même qu’elle fait plus que jamais rage à la faveur du mouvement de contestation populaire que des « infiltrés » tenteraient d’orienter.
« Il s’agit de personnes agitées par l’État profond qui cherchent à cibler des institutions de la République dans le but de se recycler. C’est là où réside le danger. Elles ciblent la présidence de la République, le ministère de la Défense et le FLN », dit-il dans son interview à TSA.
L’Etat profond, ce sont les réseaux de l’ancien chef du DRS. Ahmed Ouyahia est nommément désigné comme son représentant et se voit chargé de maux supplémentaires, voire de tous les maux.
Amar Saâdani parle en homme d’un clan, il ne s’en est jamais caché, et contrairement aux autres chefs du FLN, n’affecte pas la langue de bois. L’intérêt de sa sortie médiatique réside d’abord là. Elle permet déjà de comprendre que la logique des clans continue de miner le système et plus important encore, que la présidence, ou le cercle présidentiel, et l’état-major de l’ANP sont toujours dans la même tranchée. Il nous apprend aussi, même si on ne sait pas s’il faut le croire ou non, que le président partira à l’expiration de son mandat, soit le 28 avril.
Connu pour être la voix de l’axe présidence-état-major depuis qu’il était à la tête du FLN, Saâdani a peut-être annoncé la capitulation du cercle présidentiel. Il n’évoque même pas la feuille de route contenue dans la lettre de Bouteflika du 11 mars, ne propose aucun plan de sortie de crise et se limite à plaider qu’on laisse le président exaucer un dernier vœu, celui d’inaugurer la grande mosquée d’Alger et d’y rester quelques instants.
Pour le reste, il s’acharne à régler leur compte à ses adversaire d’hier et d’aujourd’hui, et à tout rejeter sur le fameux « Etat profond », y compris l’idée surréaliste du cinquième mandat, la dilapidation de l’argent du pétrole, la corruption et la mauvaise gestion, œuvre des gouvernements, donc d’Ouyahia entre autres.
Bouteflika annoncera peut-être son départ, c’était dans l’air depuis quelques jours, mais à décortiquer les propos de l’ancien chef du FLN, son retrait ne signifiera pas la fin de la guerre. Une autre bataille se profile et ses premiers actes se joueraient en ce moment même : celle pour le contrôle du centre névralgique qu’est le commandement de l’ANP.
« Le centre de l’armée est, lui, permanent. Il doit être sauvegardé. Je conseille mes frères qui soutiennent le hirak dans la presse ou dans les réseaux sociaux d’être vigilants par rapport à ce danger mortel. Si ce groupe contrôle l’état-major, il n’y aura pas d’État démocratique, pas d’État civil, pas de justice indépendante. Nous allons revenir à 1992. Cela ne va ni dans l’intérêt des islamistes, ni des démocrates. L’état-major ne doit pas être pris des mains des nationalistes », met en garde Saâdani.
Ces appréhensions ne relèvent peut-être pas de la paranoïa ou de la seule volonté d’un clan d’emporter l’autre dans sa chute. On a vu, au fil des vendredis, des signes qui ne trompent pas et des tentatives de propulser des individus pas très nets au-devant de la scène.
Les réseaux et les méthodes du DRS, bon ou mauvais, ancien ou nouveau, ne sont pas une vue de l’esprit. Mais là où il est difficile de suivre Saâdani, c’est lorsqu’il élude le véritable objet de la révolte populaire pour en réduire la trame de fond à cette infinie guerre des clans.
Le peuple s’est soulevé pour mettre fin au système en place, dont l’une des tares majeures est justement cette neutralisation des institutions de l’Etat, des partis, de la justice, des services de sécurité et même de l’armée pour en faire des outils entre les mains de clans qui s’entredéchirent.
Saâdani n’assume rien et décharge Bouteflika d’un bilan pourtant unanimement reconnu comme catastrophique. Il lui est dès lors difficile de convaincre. Sa sortie est bonne à prendre juste en ce qu’elle constitue un rappel aux jeunes qui manifestent que les différents clans qui ont ruiné le pays n’ont pas encore dit leur dernier mot.