CONTRIBUTION. Ma compréhension de la position exprimée par l’ANP au sujet de l’application de l’article 102 de la constitution me laisse penser que cette prise de position sous-tend deux messages, que des accents de surenchères et procès d’intention pourraient avoir atténués.
Le premier est un message d’alerte au peuple algérien et une mise en garde adressée au pouvoir civil afin que ce dernier prenne ses responsabilités pour répondre aux demandes du peuple. Les centres de pouvoir, c’est-à-dire la Présidence, le gouvernement (factice) et le conseil constitutionnel, sont retranchés dans le mutisme et la passivité depuis que le peuple a rejeté la feuille de route aventuriste prêtée à un président Bouteflika, délibérément emmuré, et dont on ne sait dans quel monde il vit.
La Présidence joue sur le temps ; le conseil constitutionnel quant à lui se fige dans une posture politique de dernier rempart du régime. Tous deux jouent le statu quo porteur de tous les dangers au-delà de la date limite du 28 avril.
Dans ce contexte, l’institution militaire a secoué la passivité délibérée de ces institutions. Elle
prend date et dit son mot au titre de ses responsabilités constitutionnelles. Néanmoins, il me semble que l’invocation du 102 semble avoir été maladroite. L’ANP aurait été mieux inspirée en ne citant aucune disposition de la constitution pour laisser le champ ouvert à d’autres options. Cette prise de position reste un point de départ vers une solution politique pacifique.
Par ailleurs, en appelant à une issue constitutionnelle, je crois comprendre qu’elle sous-entend qu’il n’y aura pas de Sissi algérien, ni de récupération du pouvoir par l’armée à l’égyptienne, ou même d’un militaire en civil. Ceci serait un acquis énorme dans la voie de la renaissance démocratique, mais cela reste à confirmer. En revanche, en recevant son message, des pans de la société civile en ont renvoyé un autre au commandement : en tant que composante du système ayant validé le 5ème mandat, soupçonné de vouloir lancer une bouée de sauvetage au régime, il sera, lui aussi, appelé à faire son aggiornamento.
Le deuxième message vient, me semble-t-il, en forme de deuxième mise en garde au pouvoir civile. A savoir que l’ANP ne se laissera pas entrainer comme en 1988 et en 1992 dans des opérations de maintien de l’ordre. Seulement, il faut bien le rappeler, le Haut commandement de l’ANP et les « services » ont une grande responsabilité dans le choix de Bouteflika, élu et réélu à coups de fraude, soutenu au nom de la « stabilité » et de la sécurité du pays. Ils sont aussi impliqués dans les choix douteux de responsables, d’élus et d’acteurs factices de la société civile. A présent, l’ANP déclare s’être ressaisie et a révisé son évaluation sur les véritables dangers menaçant la stabilité du pays. Elle a adressé un message politique pour conforter le peuple dans ses aspirations et se désolidarise du pouvoir politique. Ce schisme crée au sein du pouvoir est l’œuvre du peuple.
Toutefois, il serait indiqué que la volonté de l’ANP de faire bouger le pouvoir politique et le conseil constitutionnel, s’accompagne d’une assurance sur la sincérité de sa volonté, que cette volonté ne couvre pas un agenda caché visant la sauvegarde du régime, et que les « services » s’abstiendront de reconduire les mêmes pratiques qui ont plombé le système politique et contribué à fausser le jeu électoral. Un pas dans ce sens pourrait être fait au titre des mesures de confiance qui rassureraient les Algériens.
*Halim Benattallah est ancien ambassadeur