Pour commercialiser leurs produits, les agriculteurs algériens dépendent d’intermédiaires privés agissant souvent dans le secteur informel. Ces derniers sont régulièrement accusés de réaliser des profits excessifs.
C’est ce qui a motivé la récente décision des pouvoirs publics de mettre en place un texte de loi pour réprimer sévèrement les spéculateurs.
Des études menées par des universitaires montrent que la réalité n’est pas aussi simple.
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“Vendre, ce n’est pas mon métier”, déclare un agriculteur. Les discours négatifs sur les intermédiaires se retrouvent chez les agriculteurs, les consommateurs et les organismes qui ont en charge la régulation des marchés agricoles.
A l’étranger, il existe de puissantes structures paysannes pour la commercialisation des produits agricoles. Mais en Algérie et plus généralement au Maghreb, on note une réticence des agriculteurs à acquérir des compétences en matière de commercialisation. On entend souvent des agriculteurs demander : “Que fait l’Etat pour nous aider à vendre ?”
Le cas de la tomate primeur de Biskra
L’équipe du Pr Ali Daoudi de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach (Alger) a mené une enquête dans la région de Biskra et s’est particulièrement intéressée à la tomate primeur. Pendant plusieurs jours en janvier 2013, ces chercheurs ont enquêté tout au long de la filière. Depuis les producteurs de la région jusqu’aux marchés d’Alger en passant notamment par le marché de gros d’El Ghrous (Biskra).
Sur le marché de Sorecal à Alger, les chercheurs ont constaté 18 fluctuations de prix. Parmi les 9 augmentations, “sept ont été transmises directement aux autres marchés. Par contre, seulement trois parmi les neuf diminutions observées ont été transmises rapidement, quatre après une journée et deux n’ont jamais été transmises.”
Pour les auteurs de l’étude “la transmission des prix le long de la filière est globalement bonne” même s’ils remarquent une tendance des intermédiaires à répercuter plus rapidement aux consommateurs les hausses que les baisses de prix.
Les prix relevés sur les marchés d’El Ghrous, Bougara et Sorecal, sont respectivement de 44, 58 et 78 DA/kilo. Cela correspond respectivement, pour les agriculteurs, grossistes et détaillants, à un bénéfice net moyen de 10, 12 et 17 DA. Ces chiffres indiquent que les intermédiaires ne réalisent pas de profits excessifs. Cela s’explique par le fait que la tomate primeur est un produit périssable et non stockable, ce qui évite d’éventuelles spéculations.
Il apparaît que loin d’être un centre de spéculateurs, le marché de gros d’El Ghrous permet l’approvisionnement des autres wilayas. A ce titre, ce marché “constitue un atout majeur pour le développement des cultures maraîchères” et l’emploi à Biskra.
Viande et produits stockables
Dans le cas de la viande et des produits qui peuvent être stockés, tels la pomme de terre ou l’oignon, le rôle des intermédiaires est discutable.
Plusieurs études montrent que c’est la longueur des circuits de distribution et l’opacité des marchés qui profitent à des intermédiaires rentiers qui n’ont aucune relation avec l’agriculture.
Dans le cas du marché de la viande rouge, le rôle spéculatif de ces intermédiaires rentiers est à nouveau relevé. Ils réalisent des profits deux fois supérieurs à ceux des éleveurs.
Pour l’agroéconomiste Sahli Zoubir, “le partage de la valeur ajoutée reste fortement dépendant du comportement des intermédiaires auxquels sont liés les agriculteurs. Ces différences s’expliqueraient, en partie, par les spécificités des produits agricoles eux-mêmes et la structure de leurs circuits de commercialisation.”
Un agriculteur impliqué dans la commercialisation
Les chercheurs de l’ENSA ont retracé l’itinéraire d’une famille d’agriculteurs de la région de Mascara qui exploite 60 hectares de pomme de terre et d’oignons. Depuis les années 2000, les membres de cette famille se sont lancés dans la commercialisation.
A la récolte, lorsque les prix sont bas, ils assurent le stockage des produits des agriculteurs et sa mise sur le marché de gros lorsque les prix se redressent. Le contrat prévoit le partage à part égale des bénéfices, après déduction des charges de transport et de stockage. La valeur initiale de la production à la récolte est définie d’un commun accord.
Pour les auteurs de l’étude, ce type de contrat apparaît “comme un modèle de partenariat gagnant-gagnant entre producteurs et commerçants stockeurs.” Depuis plusieurs années, cette famille a considérablement investi dans les infrastructures de stockage. Elle possède six chambres froides de 10.000 m3 chacune. Selon Sami Koli, responsable de la régulation au ministère du Commerce, les capacités nationales de stockage sont aujourd’hui de 10 millions de m3.
Quel rôle pour les pouvoirs publics ?
Il existe donc une diversité d’intermédiaires contribuant plus ou moins au développement des productions agricoles. Leur contribution est positive dans le cas de la tomate primeur.
De leur côté, les pouvoirs publics interviennent de différentes façons. C’est le cas avec la construction de marchés de gros. Malgré ces investissements, producteurs et grossistes se plaignent encore du manque d’entretien de ces infrastructures : éclairage défaillant, manque de sécurité, travaux de voirie non achevés.
Plus grave sont les dysfonctionnements concernant l’affichage des prix de gros de la veille comme l’exige la législation, ou les moyens modernes de pesée avec enregistrement des flux.
Lors de son récent passage sur la Radio nationale, III, Sami Koli a annoncé que les contrôles des services du Commerce ont permis de saisir 121.000 tonnes de pommes de terre stockées de façon informelle mais que les propriétaires des 2.983 chambres froides déclarées sont “des commerçants qui font leur travail”.
Récemment, d’autres mesures ont été annoncées par le ministre de l’Agriculture et du développement rural. Elles concernent une refonte des textes concernant les coopératives agricoles. Et dans le but de combattre la spéculation, des accords triangulaires ont commencé à être signés entre éleveurs de moutons, abattoirs et l’Office national des Aliments du Bétail (Onab).
Nombreux sont les experts qui demandent de “renforcer les compétences commerciales des producteurs” et de mettre en place des organisations de producteurs, seul moyen de “modifier les rapports de négociations souvent asymétriques entre agriculteurs et intermédiaires.”
Car contrairement à ce qui est habituellement admis, c’est le développement de ces compétences qui devrait permettre aux agriculteurs de sauvegarder leur marge bénéficiaire. Au-delà des savoirs techniques de conduite des cultures, c’est donc aux services agricoles de contribuer à “inclure des compétences de gestion, de valorisation et de commercialisation” des produits agricoles.
L’enjeu est de faire des intermédiaires des acteurs du développement agricole. Car comme le note Ali Daoudi, ces intermédiaires transmettent les informations relatives aux prix et celles relatives aux exigences de qualité des consommateurs.