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Subventions : le business juteux des minoteries

Subventions : le business juteux des minoteries

Au début du mois de février , les minoteries algériennes ont été informées par l’OAIC que leur quota d’approvisionnement en blé tendre subirait cette année une nouvelle réduction de 10%.

Il s’agit de la deuxième décision de cette nature après celle qui avait conduit en 2008 à l’application par l’OAIC  de quotas d’approvisionnement en faveur des minoteries à hauteur de 50% de leur capacité de transformation.

Avec l’application de cette nouvelle mesure, les minoteries algériennes sont donc appelées à travailler à 40% de leur capacité. Explication, les minoteries sont trop nombreuses et le gonflement de la facture d’importation de blé tendre impose une réduction de la part de chaque opérateur pour faire de la place aux nouveaux investisseurs.

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Une ruée vers les moulins

Depuis près d’une décennie, la prolifération des minoteries est devenue un véritable casse-tête pour le gouvernement. Rien que dans la période la plus récente, Abdelmalek Sellal s’était inquiété officiellement, en janvier 2017, du nombre jugé excessif d’investissements dans certains secteurs à l’image des minoteries et des cimenteries.

Quelques semaines plus tard, c’est son ministre de l’Industrie, Adeslam Bouchouareb, qui annonçait la mise en place d’une « liste négative » incluant des secteurs qui ne bénéficieront plus d’avantages fiscaux.

Le ministre avait  précisé que cette liste inclurait des secteurs saturés comme les minoteries, les cimenteries, les briqueteries et le transport.

Nouveau tours de vis fin novembre dernier. Le Premier ministre Ahmed Ouyahia donne instruction au ministère de l’Agriculture de ne plus approvisionner en poudre de lait et en céréales les unités de production qui ont entamé leur activité au-delà du 31 décembre 2016.

Simultanément, Ahmed Ouyahia instruit le ministre de l’Industrie de ne plus délivrer d’agrément pour la création de nouvelles laiteries, minoteries et semouleries. L’instruction du Premier ministre indique que les créations de laiteries et de moulins à céréales ont foisonné ces dernières années, et que les besoins du marché en produits laitiers et en céréales auraient atteint un niveau de satisfaction dépassant 150% pour les produits laitiers et 300% pour les produits céréaliers.

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Une réaction tardive

Face à un problème qui était signalé de longue date par de nombreux opérateurs du secteur, la réaction des pouvoirs publics est tardive. Le nombre d’unités de transformation des céréales n’a pas cessé d’augmenter au cours des dernières années.

L’immense majorité des nouveaux investissements réalisés dans le secteur par des opérateurs privés concerne les minoteries qui transforment le blé tendre en farine meunière.

Le nombre de minoteries en activité serait désormais supérieur à 500 et la quantité de blé tendre importée par l’Algérie a doublé en passant de 3 millions de tonnes à 6 millions de tonnes en moins d’une décennie .

Le système de subvention en question

Comment expliquer un engouement aussi persistant des investisseurs en dépit des avertissements renouvelés des opérateurs du secteur et des pouvoirs publics ?

Nos sources pointent du doigt la responsabilité du système de subvention en place depuis la fin des années 90 qui continuerait encore aujourd’hui de constituer une incitation puissante à la création d’entreprises dans un secteur dont les besoins sont déjà très largement satisfaits par les unités de production existantes.

Pour comprendre le mécanisme en place, il suffit selon nos sources, de se reporter à un décret toujours en vigueur datant de 1996 et qui fixe le prix du blé tendre cédé aux minotiers par l’OAIC à 1.285 dinars.

Le même décret impose également un prix de cession administré de la farine fixé, sans changement depuis plus de 20 ans, à 2.000 dinars. La marge des minotiers, encadrée par ces prix administrés, est plus modeste qu’il n’y parait ; le rendement physique de l’opération de transformation étant seulement de 2 quintaux de farine pour 3 quintaux de blé tendre.

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L’OAIC et l’État, grands perdants du système de subvention

Le grand perdant dans ce système de subvention est d’abord l’OAIC, organisme public qui réalise la plus grande partie des importations de céréales et est chargé d’amortir les variations importantes que connait le prix du blé tendre sur les marchés internationaux.

Dans ce domaine, l’épisode le plus spectaculaire s’est produit en 2008, année où le prix de la tonne de blé tendre a dépassé 8.00 dollars; ce qui représentait environ 10 fois le prix de cession administré. C’est à cette date que l’OAIC a décidé de réduire une première fois à 50% le taux d’approvisionnement des minoteries.

Fort heureusement, les prix des céréales son revenus à des niveaux plus modestes et la tonne de blé tendre se négocie actuellement à un peu plus de 300 dollars.

Un prix international qui est encore très supérieur au prix de cession administré et qui oblige l’État à compenser la perte occasionnée à l’OAIC par une « subvention d’équilibre » qui dépasse largement le montant de 1 milliard de dollars au cours des dernières années ; d’autant plus que les quantités importées n’ont pas cessé d’augmenter.

Les minotiers « historiques » en difficulté 

En dépit de cet effort financier important de l’État pour assurer la subvention de la farine meunière, les minotiers installés depuis plusieurs décennies rencontrent aujourd’hui des difficultés croissantes. Face à un prix de vente de leur produit qui reste fixé à 2.000 dinars le quintal depuis 1996, leurs charges sont en augmentation rapide. Un décalage qui a été accéléré par la réduction de leurs approvisionnements depuis 2008 .

La nouvelle décision annoncée au début du mois de février ne va pas arranger les choses en abaissant une nouvelle fois le taux d’utilisation de leurs équipements.

Beaucoup d’entre eux expriment donc aujourd’hui logiquement leur incompréhension face à la poursuite de la délivrance des agréments pour la création de minoteries par le ministère de l’Industrie.

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Des investisseurs d’un nouveau genre

Mais dans cette situation compliquée, il n’y a pas que des perdants et certains opérateurs semblent avoir tiré leur épingle du jeu. Nos sources indiquent en effet qu’un nombre important des nouvelles minoteries installées se sont tournées vers des activités qui relèvent clairement de la spéculation.

Les pratiques qu’elles décrivent sont celles d’opérateurs qui s’approvisionnent en blé tendre auprès de l’OAIC au prix subventionné de 1.285 dinars le quintal et qui revendent ce même blé tendre sans aucune transformation sur un marché libre où il est utilisé pour l’essentiel en tant qu’aliment du bétail à un prix qui se situe actuellement autours de 2.500 dinars le quintal.

Pour se convaincre de l’ampleur de cette nouvelle activité, il n’y aurait, au Centre du pays, qu’à se rendre « sur le marché de Ain Oussera, traditionnellement réservé à l’aliment du bétail et qui s’est transformé ces dernières années en un véritable marché du blé tendre ».

La belle époque des moissons

Le circuit se complique et se perfectionne encore un peu plus en période de récolte. À l’époque des moissons, l’OAIC se transforme en effet en acheteur de la production nationale de blé tendre à un prix très généreusement subventionné par l’État et fixé depuis plusieurs années à plus de 3.200 dinars.

Nos « investisseurs » parviennent souvent à cette occasion, avec la complicité de certains producteurs, à revendre à l’OAIC une certaine quantité de blé tendre stockée à cette intention et qui reviendrait vers l’opérateur public à près de 3 fois son prix de cession.

Dans ces conditions, pour nos interlocuteurs, le calcul est vite fait. Une « minoterie » approvisionnée à hauteur de 300 tonnes par jour est en mesure de réaliser au minimum un bénéfice quotidien de près d’1 million de dinars.

Il ne faudrait pas chercher beaucoup plus loin les raisons de l’engouement persistant de ces « investisseurs » d’un nouveau genre pour l’activité minotière.

Lorsqu’en novembre dernier, Ahmed Ouyahia a donné instruction au ministère de l’Agriculture de ne plus approvisionner en céréales les unités de production qui ont entamé leur activité après le 31 décembre 2016, on n’a signalé aucune pénurie de farine chez les boulangers. En revanche, on a bien relevé à la même période une pénurie d’aliments du bétail qui a été imputée, en décembre, aux licences d’importation par le ministre du Commerce, M. Benmeradi.

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