Les événements se précipitent et la carte énergétique mondiale se trouve bousculée à un rythme de plus en plus effréné.
Alors que la Russie joue avec les nerfs de l’Europe, qui redoute de devoir passer un hiver difficile faute d’approvisionnements suffisants en gaz, l’Algérie voit sa position, tant politique qu’économique, renforcée.
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Souhaitant réduire sa dépendance des hydrocarbures russes, l’Europe s’est tournée dès le début du conflit ukrainien vers l’Algérie pour solliciter une augmentation des flux.
Reliée par des gazoducs à l’Espagne et à l’Italie, ses deux principaux clients européens, l’Algérie a opté pour la seconde au détriment de la première qui a dû ainsi revoir ses ambitions de devenir le hub gazier de l’Europe.
L’Algérie et l’Espagne sont en crise ouverte depuis la mi-mars à cause du dossier du Sahara occidental. Premier fournisseur historique de l’Espagne, l’Algérie ne l’est plus depuis début 2020, détrônée par les États-Unis.
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En juin dernier, elle est même dépassée par la Russie, devenue deuxième fournisseur du pays. Depuis quelques jours, la menace de l’interruption des livraisons algériennes est brandie.
Selon la presse espagnole, les négociateurs algériens sont intransigeants sur la question de la révision des prix, les contrats de long terme étant en faveur des Espagnols car négociés avant la flambée actuelle.
Les intérêts de l’Algérie lui dictent de tirer le maximum de dividendes de la conjoncture, en renflouant ses caisses, en attirant les investissements qui faisaient jusque-là défaut et en mettant le levier énergétique au service de sa diplomatie.
C’est dans ce sens que les flux ont été augmentés vers l’Italie, allié historique de l’Algérie. En avril dernier, les compagnies des deux pays, Sonatrach et ENI ont conclu un accord pour l’augmentation des livraisons de 9 milliards de mètres cubes par an d’ici 2023-2024.
En juillet, un autre accord de 4 milliards de dollars est signé entre Sonatrach et trois grandes compagnies étrangères, dont ENI, pour le développement d’un champ gazier en Algérie destiné à augmenter les capacités d’approvisionnement de l’Italie. Pour les deux contrats, le Premier ministre italien, Mari Draghi, a fait le déplacement en Algérie.
Du gaz au prix du marché
Fin août, c’est le président français Emmanuel Macron qui a effectué une visite mémorable en Algérie. Les deux pays sortaient pourtant d’une grave brouille.
Emmanuel Macron a expliqué, chiffres à l’appui, qu’il n’était pas venu pour le gaz, les volumes livrés par l’Algérie n’étant pas de nature à changer la donne. L’Algérie fournit à la France 8 % de ses importations de gaz qui, elles, ne constituent que 20 % de son mix énergétique.
Mais la question s’est invitée dans la visite, et pas seulement sous l’angle de « la solidarité européenne » comme l’a soutenu le président français.
La presse hexagonale a fait état de la disponibilité de l’Algérie à doubler ses livraisons et, immédiatement après la visite, l’opérateur gazier français Engie a annoncé des négociations avec Sonatrach sur des contrats « de long terme », n’incluant donc pas les livraisons pour le prochain hiver que toute l’Europe redoute.
Le seul gazoduc dont dispose la France la relie à la Norvège. Les autres quantités importées, dont celles en provenance d’Algérie, sont du GNL, négocié sur le marché spot, soit au prix du marché.
Les deux compagnies n’ont pas expliqué pourquoi elles négocient des contrats de long terme. Si la partie française souhaite obtenir un tarif avantageux pour plusieurs cargaisons de GNL, les observateurs soulignent que l’Algérie s’est montrée intransigeante sur la question des prix avec tous ses partenaires, y compris les Italiens.
Une semaine après la fin de la visite de Macron, rien de concret n’a été conclu entre Sonatrach et Engie, alors que des sources médiatiques ont annoncé la conclusion d’un accord rapide entre les deux parties.
Ce samedi, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, principale parti d’opposition en France, a laissé entendre que Macron a échoué à obtenir ce qu’il est venu chercher à Alger, en ce qui concerne le gaz.
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« Monsieur se figure qu’on peut continuer d’aller à Alger, donner des ordres et que les gens vont les exécuter. Résultat, il est reparti une main devant, une main derrière, il n’a rien », a déclaré Jean-Luc Mélenchon, en rappelant que les Italiens ont devancé les Français sur ce dossier.
« L’Italie a accepté sans discuter les prix du gaz proposés par l’Algérie qui veut que les autres clients dont l’Espagne s’alignent sur ces tarifs. L’Algérie est devenue intransigeante sur les prix du gaz », explique une source proche du dossier.
Il se pourrait aussi que la volonté des Français soit de sécuriser leur approvisionnement dans la perspective de tensions plus vives. Le groupe russe Gazprom a d’ailleurs annoncé simultanément la suspension de ses livraisons à Engie.
L’Espagne demeure le grand perdant de ces chamboulements. Même si elle n’a pas de soucis concernant sa consommation, étant un grand importateur de GNL américain et russe, sans plus de gaz algérien, elle doit renoncer à son rêve de devenir le grand hub gazier de l’Europe et à l’influence politique et stratégique qui va avec.
Et surtout, et c’est le plus douloureux, l’Espagne doit payer le gaz au prix du marché, après avoir longtemps bénéficié de « tarifs amis » de la part de l’Algérie. Avec la hausse des prix du gaz, les entreprises et les foyers espagnols se retrouvent pénalisés.
Pour avoir du gaz et dépasser les retombées de la conjoncture mondiale actuelle, il faut se tourner vers Alger. C’est le sens de la question d’un journaliste allemand qui, mardi dernier, a demandé à Pedro Sanchez et son homologue allemand Olaf Scholz, qui tenaient une réunion sur la crise énergétique en Europe, s’ils allaient se rendre en Algérie comme vient de le faire Emmanuel Macron.
Pedro Sanchez a répondu qu’il souhaitait y aller et il a réitéré son appel du pied deux jours plus tard. Sanchez semble prendre conscience qu’il est en train de se faire dépasser sur un dossier hautement stratégique d’où ses déclarations qui s’apparentent à une volonté de rectifier le tir avant que la situation ne devienne irréversible.