À la veille d’une semaine qui s’annonce riche en procès et en comparutions devant les juges, les thèmes de la surfacturation et de la fuite de capitaux vont refaire surface non plus seulement dans les commentaires mais cette fois aussi dans l’enceinte des tribunaux.
Dès le milieu du mois de mars dernier, les avocats avaient appelé la Banque d’Algérie à veiller à « éviter la dilapidation de l’argent public », avec un « contrôle rigoureux des opérations financières » et la mise en place « des mesures nécessaires et conservatoires pour faire face à toutes les tentatives visant à transférer illégalement l’argent public » à l’étranger, et ce en attendant « la mise en place d’un État légitime ».
La corporation des avocats était décidément aux avant-postes sur cette question puisque le bâtonnier d’Alger, Me Silini, invitait également, dans une déclaration à TSA, la Banque d’Algérie à « bloquer les transferts suspects ».
Une pluie d’annonces administratives…..
Face aux inquiétudes exprimées par de nombreux secteurs de l’opinion, l’exécutif a d’abord tenté de donner l’impression qu’il a pris le problème à bras le corps en s’y attelant fiévreusement. C’est une véritable pluie d’annonces administratives à laquelle on a assisté fin mars et début du mois d’avril. Tout le monde s’y est mis : Banque d’Algérie, ministère des Finances, Douanes et Direction générale des impôts.
Le département de Mohamed Loukal, a été le premier à annoncer la création d’un « comité de suivi des transferts de devises vers l’étranger » composé de hauts fonctionnaires du ministère des Finances, de représentants de la Banque d’Algérie et de représentants de la Communauté bancaire (ABEF).
À peine quelques jours plus tard, c’est le désormais ex-directeur général des Douanes algériennes, Farouk Benhamdi, qui annonçait que ses services prévoyaient de nouvelles mesures pour lutter contre la surfacturation des importations. Sur les ondes de la radio nationale, il précisait que « des propositions seront présentées d’ici quelques jours et un rapport transmis aux pouvoirs publics ». Trop tard et trop peu apparemment puisque, M.Benhamdi a été relevé de ses fonctions quelques jours plus tard et remplacé par Mohamed Ouaret qui est le 4e DG des Douanes en moins de 3 ans.
Presque en même temps, c’était au tour de la Direction générale des impôts (DGI) d’instruire, selon l’agence officielle, ses services de « porter une attention particulière en matière de délivrance des attestations de transfert de fonds à l’étranger, en durcissant le contrôle en cas de soupçons particulièrement dans la présente conjoncture ».
La note de la DGI invitait les services fiscaux à plus de vigilance « spécialement lorsque les sommes objet des demandes ou leurs fréquences sortent des normes usuelles et rémunèrent notamment des prestations immatérielles rendues entre entreprises apparentées ».
…et de mandats de dépôt
Quelques semaines plus tard, les nouveaux décideurs politiques, jugeant sans doute cette réponse insuffisante aux yeux de l’opinion nationale, semblent avoir fait le choix de désigner franchement les milieux économiques nationaux comme principaux boucs émissaires d’une « transition » politique qui tarde à se dessiner.
Quelques uns des hommes d’affaires du secteur privé parmi les plus en vue ont déjà été jetés en prison sans ménagement par des magistrats ayant soudainement retrouvé leur indépendance. La liste n’est sans doute pas close puisque le chef d’état-major de l’ANP a annoncé que le ministère de la Défense détient des dossiers de corruption « très lourds » et ne compte donc certainement pas s’arrêter en si « bon chemin».
Une question : est-ce que ces nouvelles dispositions administratives et l’incarcération de quelques entrepreneurs algériens ont des chances sérieuses d’avoir mis fin aux transferts illicites de devises qui coûtent plusieurs milliards de dollars ( personne ne sait exactement combien ) chaque année à l’économie algérienne ?
Un mode de gestion archaïque de l’économie algérienne
Dans la période la plus récente, la chronique de l’économie algérienne se confond de plus en plus avec la rubrique des faits divers. Les gestionnaires des secteurs publics et privés confondus seraient-ils tous devenus des voleurs et des trafiquants ? Et, au fait, pourquoi n’y a-t-il pas de surfacturations des importations au Maroc et en Tunisie ? Les hommes d’affaires de ces deux pays voisins seraient plus honnêtes que les nôtres ?
La réponse coule de source. Si les importateurs algériens, dans une proportion qui semble massive, cherchent à surfacturer depuis plusieurs décennies le montant des produits qu’ils vendent sur le marché national, c’est parce que l’écart entre le taux de change officiel du dinar et le taux de change du marché parallèle approche désormais 60 %.
Ce « différentiel », qui n’a pas cessé d’augmenter au cours des dernières années, est une formidable incitation à la fraude. Il a été créé et continue d’être alimenté par le manque de courage chronique des autorités financières algériennes qui ont réussi la performance de conjuguer sur une très longue période la surévaluation du dinar officiel et une démission totale face au développement du marché informel de la devise. Supprimer le différentiel ou le réduire à moins de 10%, comme c’est le cas chez nos voisins et dans la quasi-totalité des pays africains, et la surfacturation disparaît.
C’est la gouvernance de l’économie algérienne, fondée sur des méthodes administratives pratiquement inchangées depuis plusieurs décennies, qui est le terrain très fertile sur lequel se développent la plupart des formes de criminalité économique qui alimentent aujourd’hui la chronique judiciaire et les colonnes de la presse nationale.
Un dinar surévalué
La gestion de l’économie fondée sur la surévaluation du dinar et les subventions généralisées étaient encore supportable dans un contexte d’abondance financière. Elle devient « insoutenable » dans une situation de réduction des recettes pétrolières.
La criminalité économique coûte vraisemblablement quelques milliards de dollars à notre pays. La déstructuration du système des prix et l’encouragement à l’importation et au gaspillage généralisé coûte, sans aucun doute, des dizaines de milliards de dollars chaque année à l’économie algérienne.
Malheureusement la réaction des autorités algériennes dans cette situation n’a pas été au cours des dernières années, et ne l’est toujours pas aujourd’hui, de mettre en œuvre les réformes de l’économie nécessaires pour mettre fin au gaspillage des ressources nationales.
Dans les faits tout semble indiquer, qu’enfermé dans le piège de son absence de légitimité, la tentation actuelle du pouvoir algérien consiste au contraire dans une gestion autoritaire et démagogique des affaires du pays conjuguée à une fuite en avant dans l’économie administrée.
La démarche de l’exécutif semble consister pour l’essentiel à designer les opérateurs économiques comme des boucs émissaires en renforçant encore un peu plus les moyens matériels et humains des services de contrôle. Dans ce jeu du gendarme et du voleur, c’est aujourd’hui le risque d’un retour en force de la bureaucratie qui se dessine clairement.
Le « renforcement des contrôles » tous azimuts a d’abord de fortes chances d’alourdir encore un peu plus les procédures relatives au commerce extérieur ainsi que celles qui encadrent l’acte d’investissement. Mais rien n’indique, surtout qu’en raison de son fonctionnement en « circuit fermé », qu’il ne constituera pas un redoutable instrument au service d’un capitalisme de connivence en permettant de favoriser et de sélectionner la nouvelle clientèle du pouvoir en place et donc reproduire l’ancien système avec de nouveaux visages. On est ainsi aux antipodes des exigences démocratiques de transparence portées par le puissant mouvement populaire du 22 février.