Comme celle qui l’a précédée, la rentrée scolaire de cette année s’est faite sur fond de grosse polémique à propos de la double image de l’école algérienne, celle qu’essaient de vendre les officiels et celle que renvoie la réalité.
En octobre 2020 (la rentrée s’est faite tardivement pour cause de crise sanitaire), le gouvernement a choisi le coup d’envoi de la nouvelle année à partir de Batna, à l’est du pays.
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Les images diffusées par les médias publics laissaient penser que l’école algérienne n’avait rien à envier à celles des pays les plus développés de la planète. Classes spacieuses et décorées, mobilier neuf, tableaux numériques et tablettes électroniques pour tous.
Le même jour, à l’autre bout du pays, à Oran précisément, une enseignante se faisait humilier par un wali pour s’être plainte de la vétusté du mobilier de son école. Les tables et chaises des élèves remontent à la période coloniale, avait-elle dénoncé. Grâce aux réseaux sociaux, la scène a fait le tour du pays.
Rebelote pour la rentrée de cette année. Le ministre de l’Education s’est rendu dans une école de la capitale, dans la commune de Mohamadia. L’école est ultramoderne, un élève par table, des tableaux digitaux et des PC hybrides (tablettes avec claviers et support) pour tous les élèves. Une scène presque lunaire dans un pays où l’école manque de tout.
Le ministre Abdelhakim Belabed, qui a annoncé que ces outils didactiques seront progressivement généralisés, voulait sans douter montrer une école algérienne portée sur la modernité et les nouvelles technologies. Mais il a raté lamentablement son coup de communication.
Cette fois, ce n’est pas une enseignante téméraire qui vient jouer les trouble-fêtes, mais la météo.
Des pluies torrentielles se sont battues sur la région centre du pays pour ce premier jour de l’année scolaire. S’en suivies des images désolantes. Des élèves se rendant à l’école dans des conditions pénibles, des pompiers ou des parents faisant traverser des rues boueuses ou inondées à des bambins de 6 ans, des cours d’école submergées…
Il est vrai, la situation est exceptionnelle et l’impact des fortes pluies ne s’est pas limité à la sphère éducative. On en parle car ceux qui veulent donner une image d’une école algérienne au diapason de ce qui se fait dans le monde ont tu ces images, se contentant de diffuser celles d’élèves tout heureux dans leurs habits neufs et derrière leurs tablettes tout aussi rutilantes.
Le minimum n’est parfois pas assuré
Ce projet, s’il en est réellement un, de doter les élèves algériens de tablettes tactiles, est une autre illustration de la manie de certains responsables à se tromper de priorité ou à faire de la politique de tape à l’œil.
Non pas que cet outil didactique n’est pas utile ou efficace, mais l’école algérienne, en tout cas dans beaucoup de régions y compris à Alger, manque presque de tout. Parfois, même le minimum n’est pas assuré.
Le transport scolaire laisse à désirer. Les plus chanceux ont un bus à leur disposition, sinon on se débrouille comme on peu dans les zones reculées. On a vu des enfants s’entasser dans des camionnettes, grelottant de froid, ou marcher carrément à pied sur de longues distances.
Les cantines scolaires, quand elles existent, servent des repas frugaux, des classes manquent de chauffage en hiver, d’autres n’ont pas changé de mobilier depuis des décennies. Dans les grandes villes, les classes sont surchargées et on met parfois 50 élèves dans la même salle. L’eau potable n’est pas disponible dans de nombreuses écoles.
Avec toutes ces insuffisances, la tablette est bien évidemment un grand luxe. Songer à munir tous les écoliers d’un mini PC tactile prête aussi à l’incompréhension car cet outil coûte excessivement cher et le secteur a d’autres priorités. En plus de l’équipement des écoles qui laisse à désirer, il y a les revendications sociales des enseignants et autres personnels qui ne sont jamais satisfaites.
Aller vers l’école numérique est un projet immense qui nécessite des études et des projections. Si celles-ci ont été faites avec le sérieux voulu, on imagine que les responsables ont une idée de ce que cela coûtera. Qui prendrait en charge l’acquisition de ces outils coûteux et pratiquement introuvables dans un pays qui interdit l’importation de ces produits ? L’Etat ou les parents d’élèves, saignés chaque année par les fournitures scolaires ?
Une seule de ces fameuses tablettes coûte en ce moment sur le marché –quand on la trouve-, dans les 100.000 dinars au bas mot. Pour en doter chacun des 8 millions d’élèves que compte l’école algérienne nécessite quelque chose comme 6 milliards de dollars. Il faudra ensuite une bonne connexion internet pour tous, des tableaux tactiles dans chaque classe…Il faudrait ensuite numériser les manuels scolaires, former le personnel enseignant, les élèves : en un mot changer radicalement l’école algérienne.
En plus, il faudra tenir compte d’un élément fondamental qui est la santé des élèves, puisqu’une forte exposition est fortement déconseillée par les spécialistes, en raison de risques sanitaires liées à l’utilisation des tablettes et autres outils numériques.
Ce n’est franchement pas sérieux quand on connait les difficultés financière du secteur et du pays. Avec de telles sommes, l’école algérienne changera d’aspect et pour longtemps.