Sorti de détention provisoire en novembre, l’islamologue Tariq Ramadan espère à présent convaincre la justice de retirer ses mises en examen pour viols, s’appuyant sur l’analyse de sa correspondance par les enquêteurs, qui fragilise le témoignage de ses accusatrices.
Cette demande est examinée jeudi après-midi par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, qui avait ordonné la remise en liberté à l’automne de l’intellectuel suisse de 56 ans, après plus de neuf mois en prison. Elle mettra sa décision en délibéré.
Celui qui fut longtemps considéré comme une figure aussi influente que controversée de l’islam européen est mis en examen depuis le 2 février 2018 pour deux viols, dont un sur personne vulnérable, qu’il conteste fermement.
Pendant plusieurs mois, il avait même nié toute relation sexuelle, n’admettant qu’un “jeu de séduction” à distance, avant d’être contraint de reconnaître en octobre un rapport avec chacune d’elles, mais consentis selon lui.
Cette volte-face avait été provoquée par la révélation en septembre de centaines de SMS exhumés d’un vieux téléphone de la deuxième plaignante, surnommée Christelle dans les médias.
Alors qu’ils planifiaient leur rendez-vous du 9 octobre 2009 à Lyon, M. Ramadan y détaillait par avance ses fantasmes sexuels violents et dominateurs, concordant avec la description des faits par Christelle: gifles, humiliations, ondinisme…
Dénonçant un viol commis ce jour-là, Christelle avait finalement saisi la justice en octobre 2017 dans la foulée de la première plainte d’Henda Ayari. Cette dernière, une ancienne salafiste devenue militante laïque, affirme avoir été violée selon un scenario similaire au printemps 2012 à Paris.
Mais si elle a obligé l’islamologue a avouer sa double vie, éloignée de sa prédication, son abondante correspondance électronique avec ses deux accusatrices a aussi fragilisé le témoignage de ces dernières.
– “Perplexe” –
En premier lieu, la datation d’un SMS de Christelle est au coeur des débats:
“Si je passais un mauvais moment, je serais partie. Je suis restée et je t’ai donné plus qu’à quiconque et ta peau me manque. Tu m’as manqué dès que j’ai passé la porte (….)”, écrit-elle dans ce message, non horodaté comme tous ceux qu’elle a envoyés, obligeant à une reconstruction discutée des échanges.
Sa défense assure qu’il a été envoyé le 6 septembre 2009 après un jeu érotique sur Skype, un mois avant le rendez-vous. Pour les enquêteurs, au contraire, “il semble que le SMS (…) ait été envoyé après les faits”, selon un procès-verbal dont a eu connaissance l’AFP.
Ce message “supposé envoyé après les faits par +Christelle+ laissait perplexe puisqu’elle semblait ravie de la nuit passée” et qu’il suggère un contact physique, font encore valoir les enquêteurs de la brigade criminelle.
Ces derniers relèvent entre autres un courriel du 7 septembre 2010, près d’un an après cette rencontre, dans lequel Christelle “reconnaît qu’elle consentait à un rapport sexuel mais qu’elle a crié et lui a demandé d’arrêter lorsque les actes lui déplaisaient”.
Des messages de Mme Ayari, envoyés après la rencontre de 2012 et transmis cet automne aux magistrats par la défense de M. Ramadan, ont également été analysés par les policiers.
Ils contiennent des propositions sexuelles explicites mais également des reproches de violence et de manipulation.
Pour les enquêteurs, Henda Ayari “est ambivalente, elle évoque une nouvelle fois la violence dont il peut faire preuve mais dit qu’elle est attirée par ce genre de relations”, écrivent-ils dans une autre document.
De manière constante, Henda Ayari et Christelle ont décrit, depuis leur plainte initiale, des rapports brutaux et évoqué l’emprise exercée par l’islamologue sur elles, par des mensonges, des manipulations et des menaces.
Une troisième femme, Mounia Rabbouj, a porté plainte à son tour en mars contre Tariq Ramadan mais les juges d’instruction ne se sont pas prononcés sur ces faits pour l’heure.
En avril, une quatrième a déposé une plainte en Suisse, entraînant l’ouverture d’une instruction à Genève. Tariq Ramadan, qui n’a pas encore été entendu dans cette procédure, et la plaignante sont convoqués dans les semaines à venir pour des auditions en présence des parties, a appris l’AFP de sources concordantes.