L’époque de tenir le bâton par le milieu est révolue. C’est en résumé la sentence du président Abdelaziz Bouteflika, exprimée lors d’un discours offensif, lu en son nom par Okbi Haba, secrétaire général de la Présidence, lors de la rencontre walis-gouvernement, mercredi 28 novembre à Alger.
Le chef de l’État évoquait « les manœuvres politiciennes » qui se manifestent à « l’approche de chaque échéance cruciale ». Il parlait aussi « d’intentions inavouées » qui « s’éclipsent dès que notre valeureux peuple leur tourne le dos » et des aventuriers « qui font la promotion de la culture de l’oubli, du déni et de la négation». « Ils dissimulent les faucilles du massacre qu’ils n’hésiteront pas à utiliser pour faire basculer le pays dans l’inconnu », a-t-il prévenu.
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Mais de qui parlait le président Bouteflika ? Et qui était dans son collimateur ? Seddik Chihab, le porte parole du RND, a, dans une déclaration à TSA Arabi, ce samedi 1er décembre, précisé que le chef de l’État désignait « ceux qui mangent avec le loup et qui pleurent avec le berger », en reprenant un proverbe populaire évoquant les opportunistes. « Il met en garde ceux qui doutent de tout pour saper la détermination des Algériens, et ceux là sont présents à tous les niveaux », a-t-il soutenu.
Mahdjoub Bedda, président de l’Association des anciens élus du FLN et ministre en charge des relations avec le Parlement, a abondé dans le même sens, dans un meeting, ce samedi 1er décembre à Relizane.
« Nous comprenons la profondeur du message du président de la République que Dieu lui prête vie et fasse qu’il reste plus longtemps (au pouvoir). Nous n’appartenons pas au clan de ceux qui doutent, des ingrats et des semeurs du désespoir qui noircissent tout ce qui est blanc et qui défigurent tout ce qui est beau », a-t-il dit.
Accusateur aussi, Khaled Bounedjma, président de la Coordination des enfants de Chouhada, a parlé de ceux qui « veulent porter atteinte à la stabilité du pays » et qui veulent « nuire aux chouhada ».
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« Les salons de la rumeur »
Pas loin de ce discours, Amar Ghoul, président de Tajamou’e Amal al-Djazair, a, lui, évoqué « les salons de la rumeur » qui diffusent « des contre vérités » et qui alimentent « certains cercles travaillant pour déformer l’acte politique ». « Alimentent aussi ceux qui veulent marchander par l’Algérie à travers l’étape de la présidentielle », a-t-il accusé.
Désignant mieux sa cible, Amar Ghoul, ancien ministre des Transports et du Tourisme, a parlé d’anciens responsables de l’État, « civils et militaires », qui fabriquent « l’opacité », qui propagent les rumeurs et qui polluent les airs pour se repositionner à la faveur de la présidentielle, « à travers le chantage politicien ». « Les politiciens mal branchés ont perdu la boussole », a-t-il ironisé avant de parler « d’une attaque électronique » contre les institutions de l’État, contre la présidence et contre le président Bouteflika.
« Le président Bouteflika sait sur qui compter dans les moments difficiles sur le terrain », a soutenu, pour sa part, Amara Benyounes, président du MPA, à Mostaganem. Il faisait allusion à ceux « qui tiennent le bâton par le milieu » à propos du projet du 5e mandat pour le président Bouteflika.
Ali Haddad, président du FCE, a lui aussi parlé de ceux qui « tiennent le bâton par le milieu ». Sont-ils les mêmes que ceux que désignent Amara Benyounes, Amar Ghoul, Seddik Chihab, Mahdjoub Bedda et Khaled Bounedjma ? Ou s’agit-il d’une autre sphère ? Difficile de le savoir.
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Avalanche de questionnements
Il s’agit probablement de hauts responsables, en activité ou à la retraite, qui doutent de la capacité du président Bouteflika de continuer de diriger le pays, dans le cas d’un cinquième mandat en avril 2019. Des doutes exprimées dans des cercles privés mais qui ont été captés par « les oreilles » de la Présidence. « Les semeurs de doutes » sont également ceux qui remettent en cause « les acquis et les réalisations » du président Bouteflika durant les quatre mandats après avoir « profité » de certains avantages. D’où l’usage de l’expression « ingrats » et « oubli ».
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Djamel Ould Abbès a été débarqué de son poste de secrétaire général du FLN sans présenter « le bilan des vingt ans de la présidence de Bouteflika ». Faisait-il partie de ceux qui «tiennent le bâton par le milieu » ?
Saïd Bouhadja, qui n’a toujours pas démissionné de son poste de président de l’APN, est-il lui aussi ciblé ? Tacitement critiqué, Ahmed Ouyahia, Premier ministre, plus présent sur la scène internationale qu’à l’intérieur du pays ces derniers temps, est-il mis à l’index ?
Ces derniers mois, beaucoup de décisions ont été prises concernant des responsables au sein de l’armée, au sein de la haute administration publique et au sein des Collectivités locales. Il y a eu des changements de poste, des mises à la retraite, des mises à l’écart, des dégradations professionnelles, des fins de missions expéditives et des poursuites pénales. Cela a créé un climat de confusion intense qui a provoqué une avalanche de questionnements parmi tous les partenaires étrangers de l’Algérie sur la stabilité politique future, sur la croissance économique et sur la situation sociale (le dernier rapport de l’International Crisis Group en est la preuve). Ces partenaires sont aujourd’hui devant des grilles de lecture brouillée.
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Les critiques et les attaques émises publiquement ces derniers jours risquent de compliquer davantage la situation si les politiques ne clarifient pas leurs discours et si les intentions par rapport à la prochaine présidentielle ne soient pas précisées. À moins qu’on soit devant le début d’une longue bataille politique où les fantômes de l’ombre disputeront le champs aux soldats de plomb en plein tempête.