Après huit mois de quasi coupure, Alger et Paris s’apprêtent à reprendre langue sur une multitude de dossiers en suspens.
Des deux côtés de la Méditerranée, plusieurs sources n’excluent pas un retour à un climat plus serein entre les deux capitales, au vu des propos tenus ces derniers jours au plus haut niveau de part et d’autre. Mais la configuration politique intérieure en France risque de rendre fragile une éventuelle entente retrouvée.
Algérie – France : Jean-Noël Barrot attendu à Alger « autour du 11 avril »
Un déplacement à Alger du chef de la diplomatie française est en préparation, comme l’ont indiqué des sources sûres à TSA mercredi dernier.
Ce samedi 29 mars, le journal français L’Opinion a avancé une date. Jean-Noël Barrot est attendu à Alger en visite officielle « autour du 11 avril pour rencontrer son homologue, Ahmed Attaf, et peut-être le chef de l’Etat » Abdelmadjid Tebboune.
Cette visite, si elle est maintenue, sonnera le début de la fin d’une coupure dont les prémices ont été décelés dans les récentes déclarations publiques des présidents Tebboune et Macron.
Le 22 mars, le président algérien a lancé un message d’apaisement à son homologue français.
« Nous gardons comme unique point, le président Emmanuel Macron. Nous travaillons ensemble. Il y a eu, c’est vrai, un moment d’incompréhension, mais il reste le Président de la République française. Personnellement, tous les problèmes doivent se régler avec lui, ou avec la personne qu’il délègue, à juste titre, en l’occurrence le ministre des Affaires étrangères », a déclaré Tebboune lors d’une entrevue avec des représentants de médias nationaux.
Emmanuel Macron avait pour sa part appelé précédemment à « reprendre le travail de fond » avec l’Algérie puis a tenu des propos très mesurés en réaction à la condamnation de l’écrivain Boualem Sansal à cinq ans de prison ferme, jeudi 27 mars.
« Je souhaite vivement, après ce jugement, qu’il puisse y avoir de décision claire, je dirais humaine et humanitaire, par les plus hautes autorités algériennes pour pouvoir lui redonner sa liberté », a déclaré le président français, ajoutant qu’il compte « à la fois sur le bon sens et l’humanité des autorités algériennes pour prendre une telle décision ».
Crise Paris – Alger : « Ça sera un apaisement de circonstances »
Les deux pays butent sur plusieurs litiges en suspens, dont principalement cette affaire Sansal. Comme l’a espéré « fortement » le président Macron, l’affaire pourrait se dénouer uniquement dans un cadre « humanitaire », maintenant que la justice algérienne a rendu sa sentence. Autrement dit par une grâce présidentielle. Celle-ci pourra-t-elle survenir à l’occasion de l’Aid El Fitr qui célébré en Algérie lundi 31 mars ?
Comme l’a expliqué vendredi sur Sud Radio le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, avocat honoraire, dans le droit algérien, la grâce présidentielle n’est accordée qu’aux personnes condamnées définitivement.
Tout dépendra donc de la démarche de l’écrivain qui, pour rappel, assure sa propre défense dans ce dossier, sans l’assistance d’un avocat. S’il ne fait pas appel du verdict, sa condamnation deviendra définitive et il pourra alors bénéficier d’une grâce, si le président de la République consent évidemment à la lui accorder.
Quoi qu’il en soit, les deux capitales sont plus proches d’une reprise de coopération qu’elles ne l’ont jamais été ces huit derniers mois. Mais nous sommes loin de la grande réconciliation, comme celà a été le cas par le passé après les différentes crises entre les deux pays.
« Ça sera un apaisement de circonstances. Il ne sera pas grand-chose d’ici 2027. La droite et l’extrême droite ne vont pas reculer. Pour le président Macron, il a perdu la main », note un spécialiste des relations franco-algériennes.
L’extrême-droite risque de rendre fragile un apaisement entre Alger et Paris
Des appréhensions subsistent toutefois, non pas sur la volonté des deux présidents de sortir de la crise en cours, mais sur l’attitude qui sera celle de la droite et de l’extrême-droite française qui instrumentalisent à outrance ce dossier Algérie pour son agenda politique.
La position du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui brigue la présidence des LR (Les Républicains, droite) avec l’objectif de réaliser l’union des droites pour les présidentielles de 2027 sera déterminante. Le premier flic de France, a dès sa prise de fonction en septembre dernier, affiché sa volonté d’engager un bras de fer avec l’Algérie sur les questions migratoire et mémorielle.
Par ses attaques contre l’Algérie, ses dirigeants, son immigration et son histoire, ce courant a grandement contribué à compliquer la crise et à retarder la solution.
Dans ce contexte de tension, il n’est pas sûr que le président Macron, très affaibli et isolé depuis la dissolution de l’Assemblée l’été dernier, ait toute la latitude pour imposer au courant extrémiste sa vision de meilleurs rapports avec l’Algérie, ou tout au moins de l’empêcher de nuire à la relation bilatérale.
Les observateurs notent que les attaques de ce courant à l’égard de l’Algérie n’ont pas commencé avec l’affaire des influenceurs ou celle de Boualem Sansal et risquent de ce fait de ne pas s’estomper avec un éventuel règlement de ces dossiers et de tous les autres.
Alger et Paris se dirigent, en somme, vers une paix fragile, à la merci d’un courant politique ouvertement anti-algérien et dont l’accession au pouvoir ne relève plus du scénario impensable.