Ziani Chérif Ayad ne fait pas dans la nuance. Dans sa nouvelle pièce « Bahidja », présentée, dimanche soir, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA) à Alger, le dramaturge dénonce directement et ouvertement le terrorisme et prévient contre l’oubli et ses méfaits.
Le metteur en scène s’est appuyé, avec l’aide de l’écrivain Arezki Mellal et du traducteur et musicien Noureddine Saoudi, sur le roman « Sans voile et sans remords » de Leila Aslaoui (paru en 2012 aux éditions Dalimen) pour construire un spectacle traversé de noirceur et d’amertume.
La scénographie figée d’Arezki Larbi, bâtie sur l’idée de la prise au piège, a contribué à créer la sensation de malaise, probablement voulue par le metteur en scène, liée à une histoire toute récente de l’Algérie contemporaine.
Dans les années 1990, une famille est happée par les violences, les doutes et les trahisons. Bahidja (Nidhal), couverte d’un djilbab noir, raconte, l’âme torturée, la descente aux enfers. Bahidja, qui ne reconnait plus Alger et sa blancheur légendaire, a miraculeusement échappé à un massacre, durant les années 1990.
Elle se pose des questions et tente de retrouver la trace de sa sœur, Nouria, une combattante disparue durant la Guerre de libération nationale avec un officier français ayant rejoint l’ALN. La quête de la vérité s’avère périlleuse pour elle et pour sa mère (Nesrine Belhadj).
Connaître la vérité n’intéresse pas son frère et son mari (Mohamed Abbes Islam et Mourad Oudjit), deux hommes véreux pour qui la famille n’a plus de sens et de valeur. La religion est utilisée tactiquement par ces deux individus pour essayer d’asservir les femmes et de se servir, dans la foulée, leurs intérêts.
« Il faut rester vigilant » !
Bahidja veut retrouver son fils parti ailleurs. Elle apprend, le cœur déchiré, qu’il a rejoint les groupes terroristes. La pièce est entrecoupée parfois d’un chant terrifiant ‘Ya latif’ (extrait d’un spectacle du tunisien Fadel Djaziri, ‘Hadra’).
La représentation s’achève comme elle a débuté sur une note lourde de pessimisme. Bahidja, accompagnée d’hommes-fantômes portant des torches, interpelle dans l’obscurité le public, la voix coléreuse : « Vous avez accepté l’oubli, vous n’avez rien écrit ».
Le réquisitoire contre la politique dite de réconciliation nationale, qui a entretenu l’oubli, est clair. Autant que celui contre le fanatisme religieux qui fut la matrice des violences.
Parfois bavarde et souffrant d’un rythme lent en raison du caractère trop narratif du texte adapté, la pièce est tombée dans la facilité du discours direct, dans le moralisme simpliste et dans le manichéisme.
Que reste-t-il à l’imagination ? Que reste-t-il de l’art en tant qu’expression supportant le doute ? Il reste que l’intérêt de la pièce « Bahidja », une coproduction TNA et Gosto Théâtre, est dans le fait d’aborder de front une thématique longtemps ignorée par le quatrième art algérien, celle des tourments et des déchirements des années 1990 en Algérie.
« Je voulais faire un peu de provocation. C’est aussi cela le rôle du théâtre. À mon avis, il faut se réveiller un peu. Il faut donc rester vigilant. L’Histoire que nous avons vécue dans les années 1990 risque de recommencer. J’ai été interpellé par le silence dans la salle. J’ai compris que le public est entré dans l’histoire que nous racontions », a expliqué Ziani Chérif Ayad, après le spectacle.
Il a révélé que l’histoire de Bahidja est bien réelle. « La réalité dépasse parfois la fiction. Il faut marquer les mémoires. Les violences des années 1990 ne doivent plus se répéter. Cela dit, les peuples sont obligés de se réconcilier mais pas au détriment de la tragédie vécue. La tragédie ne doit pas être oubliée », a-t-il soutenu. La représentation « Bahidja » est au programme du TNA jusqu’au 24 mai 2017.