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Titre de séjour en France : révélations sur les blocages en préfecture

Titre de séjour en France : révélations sur les blocages en préfecture

Par lefebvre_jonathan / Adobe Stock
Un titre de séjour français.

S’établir légalement en France n’a jamais été aussi difficile pour les étrangers non-européens. Ces derniers doivent arpenter un véritable parcours du combattant pour pouvoir décrocher un simple titre de séjour.

Aux lourdeurs administratives des préfectures, qui rallongent les délais de traitement des demandes de titres de séjour, s’ajoutent les bugs et les dysfonctionnements de la plateforme de l’Administration numérique des étrangers en France (ANEF), qui privent de nombreux demandeurs de décrocher un simple rendez-vous.

Selon une enquête menée par le site d’information Mediapart, l’un des principaux obstacles auxquels les étrangers sont confrontés lorsqu’ils tentent de régulariser leur situation en France, est bel et bien la procédure dématérialisée, ou plutôt ses bugs qui laissent les demandeurs dans le désarroi.

Censée faciliter les choses, la dématérialisation a finalement eu l’effet contraire pour de nombreux demandeurs de titres de séjour en France. Ces derniers décrivent souvent un véritable « mur numérique » et dénoncent le silence des préfectures.

L’enquête du média français va au-delà de ce mur numérique pour aller chercher où réside le problème dans les préfectures et les conséquences de ce blocage administratif au niveau des tribunaux.

Titres de séjour : les confidences d’une ex-employée de préfecture

Selon Yasmine, une ex-employée de la préfecture d’Île-de-France, les demandeurs de rendez-vous de titres de séjour via l’ANEF « restent bloqués au moindre bug ». Elle ajoute que même s’ils arrivent à décrocher un rendez-vous d’une autre manière, « la préfecture l’annule dès qu’elle voit qu’ils dépendent de l’Anef ».

Yasmine témoigne que quand il s’agit d’étrangers, les préfectures sont en sous-effectif et ses agents se retrouvent sous pression. À cela s’ajoute, poursuit-elle, un manque de formation des employés. « On joue avec la vie des gens, alors qu’on n’est pas préparés pour ça », déplore-t-elle.

« Il m’est arrivé de refuser le droit au travail d’une personne qui pouvait en fait y prétendre. Et avec la dématérialisation, elle ne pouvait plus rien faire ensuite », témoigne cette ancienne employée qui souligne toutefois qu’elle et ses collègues croulaient sous les demandes et les emails. « Plus on avance, plus on nous en rajoute. », se remémore-t-elle.

France : Il y a une « volonté explicite » de limiter la délivrance des titres de séjour

Yasmine confie que les demandeurs de titres de séjour « aiment bien harceler les préfectures ». Si elle comprend leur désespoir, d’autres agents tombent dans le panneau. À l’image de cette employée de la préfecture de l’Essonne, décrite comme particulièrement dure envers les étrangers. L’avocat Laurent Charles dévoile qu’elle posait devant elle fièrement une tasse où il est écrit « Je suis une connasse et je l’assume ».

L’avocat estime, par ailleurs, qu’il y a une « volonté explicite » de ne pas délivrer « trop de titres de séjour », en témoigne la généralisation de la procédure dématérialisée, bien qu’elle ait montré ses limites et ses défauts à maintes reprises.

Laurent Charles épingle aussi les problèmes de formation des agents préfectoraux, l’insuffisance de moyens, mais aussi le manque de coordination entre les services et les sensibilités politiques de certains responsables, assurant que tout cela « contribue à la fabrique de sans-papiers. »

Titre de séjour : le défenseur des droits épingle l’ANEF

Face à toutes ces portes qui se ferment devant eux, beaucoup de demandeurs saisissent le Défenseur des droits. L’autorité administrative indépendante a d’ailleurs épinglé l’ANEF dans un avis publié ce 11 décembre 2024, rapporte Mediapart.

Le Défenseur des droits dénonce, en effet, des « atteintes massives aux droits des usagers » et estime que « les nombreuses réclamations traitées mettent en évidence que l’Anef… ne tient pas les promesses qu’elle portait ».

Selon la défenseure des droits, Claire Hédon, le nombre de réclamations que son organisme a reçues et qui sont en relation avec le droit de séjour des étrangers a bondi de 400 % en 4 ans, constituant un tiers du total des réclamations reçues en 2024.

Les tribunaux sont devenus des « chambres d’enregistrement » de la préfecture

D’autres demandeurs de titres de séjour se tournent vers des avocats spécialisés qui amorcent des procédures en justice. Selon plusieurs avocats, le nombre des affaires liées à des affaires de titres de séjour est effarant, d’autant plus que la majorité sont liées à des problèmes relatifs à des bugs de la plateforme de l’ANEF ou bien à des lourdeurs administratives au niveau des préfectures.

Elsa Ghanassia, avocate au barreau de Grenoble, explique comment les tribunaux sont devenus des « chambres d’enregistrement » de la préfecture. Selon elle, c’est presque une routine, le requérant demande l’obtention d’un rendez-vous, l’avocat dépose la requête au tribunal, et voilà que quelques jours plus tard, la préfecture demande au tribunal de ne pas statuer et octroie un rendez-vous au demandeur. « Les tribunaux ne font que répondre à l’urgence », a-t-elle conclu.

De son côté, Laurent Charles, avocat à Paris, s’inquiète du nombre des contentieux relatifs au droit de séjour des étrangers. Tout en assurant que le nombre de ces affaires « explose », il souligne que « certaines juridictions changent leur jurisprudence, estimant qu’on les saisit trop (pour ce genre d’affaires) ».

Un magistrat appelle à adopter des sanctions plus efficaces contre les préfectures récalcitrantes

Selon un magistrat administratif, « c’est la folie » à cause des contentieux relatifs aux titres de séjour, notamment dans les tribunaux de Montreuil (Seine-Saint-Denis) et de Lille (Nord). Ce juge assure qu’il y a « masse énorme » d’affaires à traiter.

Il dévoile que cette pression fait même changer les structures, comme le montre la mise en place d’une cellule de magistrats dédiée au contentieux des étrangers à Lille où l’initiative des juges administratifs de Grenoble qui sont allés à la rencontre des services de la préfecture pour évoquer une situation problématique.

Tout en déplorant le fait que les préfectures ne délivrent pas toujours des rendez-vous aux demandeurs malgré les décisions des tribunaux, le juge appelle à adopter des sanctions plus efficaces. « Quitte à passer pour ceux qui sanctionnent, pour éviter de nourrir un cercle vicieux », a-t-il noté.

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