Lancée pour la première fois en 2014, l’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) a été généralisée à partir de 2022 aux principales procédures administratives liées aux titres de séjour.
Les demandeurs de ce document, essentiel pour séjourner légalement en France, doivent donc passer par cette plateforme numérique. Malheureusement, cette dernière souffre de plusieurs dysfonctionnements qui livrent les usagers à eux-mêmes.
Cette dématérialisation des procédures administratives pour les étrangers en France est régulièrement dénoncée par plusieurs associations, mais aussi par le Défenseur des droits, et a même fait l’objet d’une décision du Conseil de l’Etat en 2022.
Plateforme de l’ANEF : des dysfonctionnements qui pénalisent les usagers
Les bénévoles de la Cimade, à Paris, reçoivent souvent des demandeurs de titres de séjour confrontés à des problèmes avec la plateforme de l’ANEF. C’est le cas de Jawad, qui enchaîne depuis quatre ans les récépissés de titres de séjour, rapporte le média spécialisé Info Migrants.
Ce demandeur confie qu’il doit demander un nouveau récépissé chaque trois mois. Sa préfecture met trois semaines à lui délivrer le document. « Ça m’est déjà arrivé d’obtenir un récépissé déjà périmé », a-t-il noté.
Avec un récépissé, ce demandeur de titre de séjour n’arrive pas à voyager. Il est ainsi dans l’impossibilité de se rendre dans son pays pour voir sa fiancée, ce qui a créé des tensions avec le père de cette dernière qui le soupçonne d’avoir abandonné sa fille.
Autre cas : Paimann a toujours pu renouveler son titre de séjour chaque année sans problème, mais depuis 2023, année dans laquelle il a été obligé de passer par l’ANEF, il ne reçoit que des attestations provisoires d’instruction (API).
Il s’est vu proposer un CDI, mais faute de titre de séjour, son employeur a fini par rompre le contrat car il exige un véritable titre de séjour, rapporte Info Migrants.
Des demandes de titres de séjour qui passent par la Justice
« C’est un système qui crée des sans-papiers », dénoncent les bénévoles de la Cimade auprès du même média. Agnès Bekkai, membre de cette association, souligne que la procédure dématérialisée donne lieu à des problèmes complexes et met les demandeurs de titres de séjour dans des situations inextricables.
Face au retards enregistrés par les préfectures, et au mur numériques qui empêchent les usagers de l’ANEF d’entrer en contact avec les employés du service de l’Etat, la Cimade conseille souvent les victimes de ces blocages administratifs de prendre un avocat pour déposer un recours en annulation devant un tribunal administratif.
C’est une procédure qui peut porter ses fruits, mais qui demeure coûteuse pour des personnes souvent au seuil de la précarité. C’est le cas de Djawad, qui a porté son affaire en justice mais qui a dû emprunter de l’argent pour payer l’avocat.
Il est à rappeler que la procédure dématérialisée a fait l’objet de deux rapports publiés respectivement en octobre et décembre 2024, par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et le Défenseur des droits. Ces rapports dénoncent une augmentation des atteintes aux droits des étrangers.
Procédure dématérialisée : les usagers toujours en attente d’une vraie alternative
Même le conseil de l’Etat a enjoint aux préfectures en juin 2022 de mettre fin à l’obligation de passer par la procédure dématérialisée et de mettre en place un accompagnement suffisant et des solutions de substitution à disposition des demandeurs des titres de séjour.
Mais, jusqu’à ce jour, les demandeurs de titres de séjours n’ont comme alternatives qu’un Centre de contact citoyen (CCC) et les Points d’accès numériques (PAN). Les deux demeurent insuffisants et peu efficaces.
Marie-Sophie Olivera, responsable du CEDRE, indique qu’elle a tenté de joindre le Centre de contact citoyen (CCC). Après 50 minutes d’attente, elle a pu parler à une personne qu’elle n’entendait pas bien et qui lui a demandé d’envoyer un mail.
Concernant le Point d’accès numérique, cette bénévole indique qu’il ne vaut guère mieux que le CCC. Elle explique que les PAN sont souvent tenus par des jeunes qui ne connaissent rien aux procédures dématérialisées. « Personne n’est formé à l’ANEF, tout le monde se tire les cheveux », s’attriste-t-elle.
« Un mur numérique »
Face à ce « mur numérique » infranchissable, les bénévoles du Secours Catholiques tentent parfois de joindre la préfecture pour trouver des solutions, mais les services de l’Etat sont souvent injoignables.
C’est ce qu’a essayé de faire Mahaud Tomassini pour régler la situation d’un étranger qui demande un duplicata de son titre de séjour volé mais qui n’arrive pas à se connecter à son espace ANEF. La bénévole tente d’appeler le service de l’Etat à plusieurs reprises, mais sans aucune réponse. « On est face à un mur », concède-t-elle.
Dans son rapport, le Défenseur des droits appelle les autorités à faire évoluer l’ANEF de manière à ce que les renouvellements des attestations de prolongation d’instruction se fassent automatiquement mais surtout à mettre en place un « canal dématérialisé» pour chaque démarche.