Hommage. Un rare émoi s’est emparé mercredi du petit village Ait-Hamsi, dans la commune d’Akbil, à une cinquantaine de kilomètres de Tizi Ouzou. Accablés par une chaleur qui brûle la colline, les villageois ont dû affronter dès l’aube une terrible nouvelle. L’une des leurs a décidé, sans avoir émis de signal d’alerte, de leur faire ses adieux.
Lila a mis fin à ses jours dans la maison familiale, située à l’écart du village, dans un champ planté de figuiers et de cerisiers, sur la route grimpant vers les Aït-Sellane. Son corps sans vie a été découvert par une jeune cousine, levée tôt comme d’habitude, dans cette campagne où les habitants profitent de la fraîcheur matinale pour effectuer leurs courses ou récolter des légumes dans leurs petits vergers.
La nouvelle parcourt vite le village et se répercute de colline en colline dans cette montagne où sa famille est très connue. Son grand-père était un notable généreux. Son père, un retraité de l’hydraulique, septuagénaire, a brûlé sa vie à épancher la soif des villageois. Lila, elle -même, avait sa petite notoriété. Indépendante, elle a monté un atelier de couture qui lui attirait des clients de toute la région, faisant vivre les couleurs chatoyantes de la robe kabyle aux formes revisités, tissant des napperons, brodant sur toutes les étoffes. Elle était d’ailleurs de toutes les expositions sur l’artisanat . À juste 51 ans, elle laissait transparaître beaucoup d’énergie, heureuse parmi ses parents et ses frères.
Quand la nouvelle de sa pendaison a retenti, c’est à un mur d’incompréhension qu’elle s’est heurtée, car rien ne pouvait laisser entrevoir cette terrible fin. Lila a connu des problèmes de santé par le passé. C’était il y a plus de 20 ans. Mais tout cela semblait enfoui dans l’armoire des mauvais souvenirs. Elle a eu une récente crise d’angoisse, mais elle a trouvé le réconfort auprès de sa famille. Alors quand ses parents ont été réveillés par cette funeste aube, la surprise a envahi leur âme. Lila a emporté son secret à tout jamais. Ce qui est sûr, avéré et démontré c’est qu’elle n’a pas fait cela pour se soustraire aux griffes d’un vieillard auquel sa famille l’aurait promise. Assassinée par des calomniateurs après s’être suicidée. Avant même de rejoindre pour l’éternité son lit de terre !
Non, ses parents ne l’ont pas promise à un vieil « émigré » pour égayer ses vieux jours. C’est plutôt pour le crépuscule qu’ils auraient voulu garder la lumière de leur fille. Le père de Lila et ses oncles auraient pu faire le choix de la France où leur propre père tenait commerce prospère. Ils se sont relayés à Paris. Mais ils ont préféré l’un après l’autre revenir au village. Jusqu’au dernier d’entre eux, rentré en ayant pris sa retraite. « Ses doigts iront ailleurs là-haut loin dans le ciel, aux confins des étoiles aux éclats de joaillerie », a écrit le poète et journaliste Nadir Bacha dans un exceptionnel hommage.