En décembre 2015, le général Toufik, fraîchement débarqué de son poste de chef du DRS qu’il avait dirigé pendant 25 ans, s’exprimait publiquement pour la première fois. C’était pour défendre son ancien subordonné, le général Hassan, condamné à une lourde peine de prison pour manquement aux instructions de l’armée.
Dans sa déclaration écrite remise à la presse, Toufik avait assuré que, dans l’opération où il est mis en cause, le général Hassan avait suivi la procédure légale à la lettre et qu’il n’était coupable d’aucune entorse à la réglementation. Autrement dit, il a été injustement condamné.
Les Algériens n’en revenaient pas. Toufik, celui dont la toute-puissance a fini par lui valoir le titre de « Rab Dzaïr », le dieu de l’Algérie, celui qui a fait et défait les présidents, découvrait subitement la justice injuste et ses dégâts. Comme s’il n’avait pas grandement contribué à la façonner et à banaliser ses pratiques. Comme si tous les procureurs et juges du pays ne tremblaient pas à la simple évocation de son nom. Lorsqu’il tenait ces propos, il n’était plus chef du DRS, le président Bouteflika l’ayant dégommé d’un trait de plume trois mois plus tôt.
Plus de trois ans après cet épisode, c’est lui-même qui se retrouve devant un juge qui l’enverra peut-être pour de longues années à l’ombre. Toufik, de son vrai nom Mohamed Mediene, général de corps d’armée à la retraite, le plus haut grade de l’armée algérienne, a été arrêté ce samedi 4 mai 2019 en compagnie du général-major Bachir Tartag, son successeur à la tête des renseignements, et de Saïd Bouteflika, le frère du président déchu. Toufik ne s’exprimera peut-être pas cette fois, mais s’il aura à le faire, directement ou par le biais de ses réseaux, il criera sans doute à l’injustice et au règlement de comptes clanique des nouveaux maîtres du pays.
Saïd Bouteflika est dans la même situation. Officiellement simple conseiller à la présidence, il a néanmoins été le véritable président de l’Algérie depuis au moins 2013, date de l’AVC qui a amoindri son frère. Ses pouvoirs étaient illimités, dit-on. On lui a prêté la paternité de toutes les grandes décisions, les nominations aux hautes fonctions et les limogeages, les privilèges accordés à certains hommes d’affaires et le blocage d’autres, les « redressements » au sein des partis politiques… Il lui suffisait de prononcer la phrase magique : « khouna lkbir dit… » (notre grand frère dit… ») pour faire passer tout ce qu’il souhaite.
Dans les derniers jours du règne de sa famille, il allait, pour le sauver, décréter l’état de siège avant de songer à limoger le chef d’état-major de l’armée. Sans rien voir venir, il est mis au trou et il risque une lourde peine. Il criera sans doute son innocence, mais qui l’entendra ?
Les trois hommes sont soupçonnés d’avoir versé dans un vaste complot visant au moins à peser sur la transition politique en cours. Un complot dénoncé par le chef d’état-major de l’ANP et corroboré par des témoignages publics d’anciens hauts responsables, dont un ex-président de la République.
Le propos ici n’est pas de préjuger de la culpabilité des uns et des autres ni des intentions de ceux qui ont ordonné leur arrestation, mais de souligner que Toufik et Saïd ont régné pendant 25 et 20 ans respectivement et n’ont rien fait pour instaurer une justice impartiale, une administration neutre, bref un état de droit. Quoi qu’ils diraient, aucun Algérien ne va les pleurer. Ils sont au moins coupables d’avoir fait du pays une jungle sans loi ni morale.
Avant eux, un autre gros personnage supposé tout-puissant sous Bouteflika s’est retrouvé devant un juge. Il s’agit de l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia qui, il y a tout juste deux mois, menaçait les manifestants des pires représailles et brandissait les scénarios les plus catastrophiques. Comme les deux autres, sa puissance n’était qu’illusion, car ne reposant sur aucune légitimité populaire. Said Bouteflika et Ahmed Ouyahia n’ont jamais été élus. Toufik et Tartag étaient des généraux qui se sont attribués des rôles politiques qui auraient dû être réservés à des élus.
Leur déchéance est survenue suite à une énorme pression populaire et cela est suffisant pour donner à réfléchir à tous ceux qui auront un rôle à jouer dans cette période de transition pour la définition de l’Algérie de demain.
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