Politique

Tout ce que les Algériennes et Algériens ont célébré ce 8 mars

Les Algériennes et Algériens ont marché, pour le troisième vendredi consécutif, contre le 5e mandat pour Bouteflika et le système qu’il incarne. Partout en Algérie, les marches de ce vendredi 8 mars ont été plus impressionnantes que les précédentes, par leur ampleur, inédite, et surtout leur côté joyeux et festif.

Dans toutes les manifestations, slogans contre le pouvoir, scandés à gorges déployées ou inscrits sur des pancartes à l’humour percutant, chants patriotiques, traditionnels et du répertoire populaire, rires, applaudissements et sons de trompettes et de derboukas ont fait oublier aux marcheurs la grisaille de cette journée.

A Alger-centre, pendant de longues heures, les chants, nés dans les stades, entonnés par les jeunes ont été ponctuées par les youyous poussés par les femmes très nombreuses.

Les couleurs vives, celles des ballons des enfants, des drapeaux algériens et amazighs – eux aussi nombreux – des fanions des clubs de foot, des fleurs échangées entre manifestants, ont inondé les rues du pays et les klaxons rythmés des automobilistes qui ont achevé de donner à cette journée l’allure d’une célébration populaire et d’une protestation festive.

La femme et sa reconquête de l’espace public

Les Algériens ont en effet, beaucoup à fêter et à célébrer. La première revendication des manifestants, le renoncement d’Abdelaziz Bouteflika au cinquième mandat n’a pas encore été atteint, ce dernier étant, selon les dires de son Directeur de campagne, Abdelghani Zaâlane, encore candidat et il a même adressé, jeudi 7 mars, une lettre aux femmes à l’occasion du 8 mars.

Mais déjà, plusieurs victoires ont été arrachées par les Algériens et la plus importante est la reconquête de la rue, de l’espace public, en y restituant sa place à la femme.

Les précédentes manifestations, du vendredi 22 février et du premier mars ont permis au peuple algérien de se réapproprier la rue, de reconquérir le droit de manifester qui est théoriquement garanti par la Constitution, mais en pratique longtemps bridé par “la gestion démocratique des foules”.

Les femmes étaient présentes aux deux derniers marches mais en des nombres bien inférieurs à ceux d’hier. Presque aussi nombreuses que les hommes, les femmes de toutes les catégories sociales et de toutes les orientations politiques ou idéologiques qui ont marché ce vendredi, sont venus réclamer leur part de la rue et du changement en cours. “Pas de démocratie sans égalité des sexes”, avaient inscrit de nombreuses femmes sur leurs pancartes.

Éjectées de l’espace public depuis l’irruption de l’islam politique en Algérie, surtout depuis les années 90, les femmes Algériennes peinaient à trouver leur place dans les villes, que ça soit dans les manifestations ou même sur les terrasses de cafés.

A l’occasion de la journée internationale de la femme et de la protesta nationale contre le pouvoir, elles ont “remarché”, aux côtés des hommes. La mixité, dénuée de tensions, de gestes déplacés, hormis quelques exceptions, constatée ce vendredi est déjà un début de victoire pour la femme algérienne qui laisse entrevoir une société moins rigide à l’avenir sur la question de la présence de la femme dans l’espace public.

Des couples, mariés ou non, manifestant en se tenant par la main ou bras dessus, bras dessous, au milieu d’une foule immense, les slogans féministes affichés en grand par les manifestantes qui les ont mêlés à ceux appelant au départ du pouvoir, les échanges chaleureux entre parfaits inconnus des deux sexes et tant d’autres phénomènes du même genre révèlent aussi une évolution de la société jusque-là invisible et peut-être, le début d’un virage sociologique que personne ne voyait venir.

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La parole libérée

Le mouvement de protestation populaire a aussi libéré la parole des Algériens. Des sujets, auparavant tabous, sont maintenant abordés publiquement par les citoyens, souvent face caméra et visages découverts.

“Maladie de Bouteflika”, “changement de système”, “chute du régime”, “corruption généralisée”, “collusions entre argent et politique”, sont autant d’éléments de langage qu’il étaient, jusque là presque impossible à prononcer sur une chaîne de télévision, même privée.

Cette parole retrouvée par les citoyens, mais aussi par les médias, puisque même l’ENTV, la radio publique et l’APS ont fini par parler des manifestations, est elle aussi à célébrer.

Mieux encore, alors que dans l’ordre “naturel” des choses, les élites inspirent et provoquent le changement avant que la population ne l’adopte, on assiste en Algérie, depuis trois semaines, au phénomène inverse. Les manifestations, d’inspiration purement citoyenne, “venues d’en bas”, ont libéré la parole et la rue et ont entraîné dans leur sillage les élites, intellectuelles et politiques, obligeant celles-ci à régler leurs pas sur ceux des foules de marcheurs anonymes.

Le consensus national, dont la quête est vainement poursuivie par les partis de l’opposition depuis longtemps, est en train de naître dans la rue, par la seule force de l’initiative citoyenne et, encore une fois, anonyme. Ce consensus populaire, réalisé par les manifestants, presque aux dépens des partis politiques, est l’autre victoire du mouvement anti-cinquième mandat.

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La confiance retrouvée

Abdelaziz Botueflika est encore candidat à l’élection présidentielle et le pouvoir, malgré l’effritement de ses soutiens, ne donne pas de signes indiquant une prochaine soumission à la volonté populaire.

“Je n’ai pas peur…”

Malgré cela, il souffle sur l’Algérie un vent de renouveau, de changement, d’abord sociétal, ensuite politique. La confiance semble revenir, entre Algériens, comme s’en sont réjouis de nombreux manifestants ce vendredi à Alger. ” Je suis venu avec ma femme, mes enfants, le plus jeune a deux ans et je n’ai pas peur pour eux, j’ai confiance en ces manifestants”, a dit un père de famille lors du début du rassemblement à la place du 1er mai.

“Des manifestants aussi nombreux en ville mais regardez les cafés et restaurants ouverts, les boutiques, la confiance règne !”, s’est réjouie une dame un peu plus loin. Cette sérénité qui s’abat d’on ne sait où sur les Algériens est perceptible même en dehors des manifestations.

Cette confiance et cette sérénité retrouvées ne sont pas perturbées par les avertissements annonçant un chaos à la syrienne ou à la libyenne qui toucherait l’Algérie à cause de la protestation.

Les Algériens démontrent à chaque manifestation que, même sans organisation centrale, sans directives “venant d’en haut” et sans même un itinéraire fixé d’avance pour les marches, il arrive à manifester d’une façon pacifique rarement, ou jamais, vue ailleurs.

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“Nous sommes vaccinés contre le chaos”

“Nous sommes vaccinés contre le chaos”, a inscrit sur sa pancarte un manifestant quinquagénaire vu sur la rue Didouche Mourad.”Eh Ouyahia, l’Algérie n’est pas la Syrie”, scandent encore les manifestants, plus d’une semaine après l’intervention à l’APN du Premier ministre à l’occasion de laquelle il avait mis en garde contre la répétition du scénario dramatique syrien en Algérie. Ces slogans résument à eux seuls les leçons que les Algériens ont appris de leurs dramatiques expériences et le bon usage qu’ils font de ces douloureux apprentissages.

Même si un changement radical de système politique et de régime n’est encore pas acquis, il est certain que la situation ne sera plus jamais la même pour les Algériens.

Les avocats et les juges qui se rebiffent, la presse, y compris la publique, qui réclame plus de liberté, les sections syndicales de l’UGTA et les élus des partis au pouvoir qui rejoignent le mouvement de protestation, les diverses corporations, telles que celles des architectes ou des médecins qui s’opposent au cinquième mandat, les partis politiques ne faisant pas partie du gouvernement qui ne se posent plus comme leaders de l’opinion publique mais comme des éléments qui lui sont soumis, en “rejoignant le mouvement”, sont autant d’éléments qui confortent les citoyens dans leur dynamique d’émancipation en amorçant un changement concret sur la scène politique.

Des changements irrémédiables. Et c’est aussi ça, qu’ont fêté les Algériennes et Algériens en manifestant aussi joyeusement, ce vendredi 8 mars, ils ont célébré l’impossibilité d’un retour en arrière.

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