CONTRIBUTION. Dans une lettre à la teneur invraisemblable, rendue publique et mise en ligne le 10 janvier, courant par l’ONG Western Sahara Resource Watch (WSRW), le Commissaire européen aux Affaires économiques, le socialiste français Pierre Moscovici, confesse au grand jour sa compromission avec Rabat. Il a, en effet, reconnu que le Maroc a refusé la proposition de la Commission européenne visant à mettre en place un mécanisme de « traçabilité » des produits importés du Sahara Occidental, dans le cadre de la mise en œuvre du projet d’accord UE-Maroc (accord agricole) visant à étendre les préférences tarifaires au Sahara occidental.
Plus grave, au lieu de se montrer un minimum « ferme » face aux caprices de Rabat en lui rappelant notamment les exigences de la Cour de justice européenne et la législation de l’UE en la matière, le Commissaire européen confirme sa soumission au dictât du Makhzen en révélant que le Maroc a proposé une « approche alternative » que la Commission européenne a accepté. Or, cette proposition « bancale » n’est autre que la mise à disposition de l’UE, par les autorités marocaines, de statistiques concernant ses exportations vers l’Union européenne et le recours à des « procédures de coopération administrative et douanière prévues dans l’accord d’association avec le Maroc ».
Confirmant ses accointances avec Rabat et poussant le cynisme plus loin, Moscovici avoue dans cette même lettre datée du 6 décembre 2018, qu’il a adressé au président de la Commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, Bernd Lange, que ce système (proposition marocaine) « n’est pas notre solution préférée ». Mais estime, sans avoir peur de se contredire et dans une acrobatie langagière invraisemblable, que ledit mécanisme devrait « répondre aux préoccupations exprimées par le Parlement européen concernant la mise en œuvre de l’accord avec le Maroc ». Il a, en outre, exprimé le souhait que la Commission INTA donne son consentement pour la conclusion de l’accord avec le Maroc.
Comble de l’impudence, et en appui à son simulacre, M. Moscovici a joint à sa lettre un échange de correspondances daté également du 6 décembre 2018, entre Sabine Henzler, directrice à la Direction générale de la fiscalité et l’Union douanière (DG TAXUD, une structure qui lui est directement rattachée), et l’Ambassadeur du Maroc auprès de l’UE, Ahmed Reda Chami.
En effet, le Commissaire européen a qualifié abusivement et sournoisement ces correspondances « d’échange de lettres » pour leur conférer un caractère solennel et formel, par lesquelles les deux parties, l’UE et le Maroc, étaient censées convenir des contours concernant ce soi-disant mécanisme de « traçabilité ». Or à lire de près, la lettre de la DG TAXUD, ne fait aucune mention ni du territoire du Sahara occidental ni des produits qui y sont issus. Pire : elle reprend à son compte la phraséologie marocaine (qui recourt au terme « régions » pour qualifier le Sahara occidental) en affirmant que ce mécanisme donnera « un accès direct à des données statistiques précises sur les produits des régions couvertes par l’accord d’association ».
Aussi, il convient de noter que cet échange de correspondances entre la mission du Maroc à Bruxelles et les services de M. Moscovici, ainsi que la lettre de ce dernier au président de la Commission INTA, sont intervenus à la veille du vote par la Commission INTA, le 10 décembre dernier de l’amendement de l’accord UE-Maroc.
Ce simulacre « d’échange de lettres » n’a été échafaudé que pour s’assurer un vote favorable au niveau de cette Commission du Parlement européen, notamment à la suite des pressions et multiples interpellations de plusieurs eurodéputés notamment des Groupes des socialistes (S&D), des écologistes (Verts/ALE), de la Gauche unitaire (GUE/NGL) et des Libéraux (ALDE), qui avaient conditionné l’approbation de l’accord au niveau du Parlement par la mise en place d’un mécanisme de traçabilité clair des produits originaires du Sahara occidental, comprenant un étiquetage précis et des codes postaux, à l’instar de celui appliqué aux colonies israéliennes en Palestine, au lieu d’un simple mécanisme d’échanges d’informations.
Cette énième parodie, orchestrée principalement par le Commissaire Moscovici, a le mérite de révéler au grand jour les agissements de ce dernier et la stratégie perfide suivie par la Commission européenne au lendemain des arrêts de la CJUE, et qui n’avait d’autre objectif que celui de contourner sournoisement les décisions de la Cour de justice de l’UE et de fouler aux pieds sa propre législation au nom de la « realpolitik » et d’intérêts bassement « mercantiles ».