Économie

Transport maritime : comment l’Algérie « favorise » les transporteurs étrangers

Cinq milliards de dollars. C’est à peu près le montant de la facture du transport maritime de marchandises que paie l’Algérie annuellement aux transporteurs étrangers qui détiennent 96% du marché algérien du fret maritime.

Les armateurs algériens, principalement la CNAN et ses filiales, ne représentent que 4 % du marché. Ces chiffres ont été annoncés par le président de l’Association professionnelle des agents maritimes algériens (Apama), Abdellah Serai, qui s’est exprimé lors d’une émission sur Canal Algérie.

« Il faut faire la différence entre un armateur qui possède ses propres bateaux et un transporteur », précise M. Serai.

Il a appelé par la même occasion à amender l’article dans le Code maritime de 1998 interdisant aux opérateurs algériens de faire du fret maritime. « La loi le permet à celui qui possède un navire (pour faire du fret), ce qui est une aberration que nous ne retrouvons qu’en Algérie. Or, normalement vous n’avez pas à posséder un navire pour l’affrètement maritime », s’offusque le représentant des agents maritimes algériens.

« En tant que professionnels, nous avons appelé depuis une vingtaine d’années pour que cela change, en vain. On continue d’engraisser les étrangers et on laisse de côté les Algériens qui peuvent améliorer le fret », s’emporte M. Serai.

Ce dernier met en cause un autre volet relatif à l’organisation du complexe portuaire, inchangée depuis quatre décennies, et qui rend les coûts portuaires beaucoup plus élevés que ceux pratiqués en Méditerranée.

« Malheureusement je dois dire que notre complexe portuaire n’a pas évolué au niveau organisationnel depuis 40 ans y compris sur le volet infrastructures », déplore le président de l’Apama.

« Ce qui fait qu’aujourd’hui, les coûts portuaires en Algérie sont beaucoup plus élevés que dans le reste des pays de la Méditerranée », avance-t-il. Selon M. Serai, la chaîne logistique, et les coûts portuaires qui en font partie, ne permettent pas la commercialisation de certains produits algériens à l’étranger. « Ça il faut qu’on le comprenne », assène le président de l’Apama. « Il n’y a pas que le retour à vide des conteneurs qui plombe le coût du fret, explique-t-il, le séjour des navires à quai par exemple. En Algérie, il est de 2,5 jours contre une moyenne mondiale de moins d’une journée. Pour les navires portes conteneurs, il est de 3,5 contre une moyenne mondiale de moins d’une journée (…) L’armateur va compter ce temps dans le fret. Fatalement, le prix du fret ne va pas être le même ».

Des surcoûts logistiques de plus d’un milliard de dollars

Serai a donné un autre exemple : « Les produits secs, en Algérie c’est sept jours contre deux jours dans le monde ». Les ports algériens sont les moins compétitifs de la région Mena. « Une fois tous les documents sont prêts, les marchandises mettent quatre jours pour sortir des ports en Algérie, contre une moyenne de 3 heures en OCDE et trois jours dans la région Mena. Pour les coûts, ils sont de 400 dollars en Algérie, 250 dollars dans la région Mena et 24 dollars en OCDE. Ce sont des coûts qui doivent nous parler ». M. Serai évalue les surcoûts au niveau de la chaîne logistique portuaire à un peu plus d’un milliard de dollars.

Surestaries : mettre fin à l’hémorragie de devises 

Pour stopper « l’hémorragie de devises » induite par les surestaries, le ministre des Transports Lazhar Hani a décidé de sévir en promettant d’instaurer une amende pour tout opérateur qui dépasse un délai de 30 jours pour récupérer ses marchandises. Le ministre considère que le délai de 30 jours « est largement suffisant » pour les opérateurs afin de procéder à la récupération de leurs marchandises.

L’annonce en a été faite le 2 novembre dernier lors de la 1ère édition du Forum des transports, dont le thème a pour intitulé le “Transport maritime de marchandises… Quels mécanismes et solutions pour stopper l’hémorragie de devises ?”.

Les surestaries correspondent aux frais en devises liés à l’immobilisation des bateaux avant déchargement. « Les surestaries sont des dépenses anormales, parce qu’il n’y a pas de contrepartie » pour l’Algérie, a jugé M. Hani au micro de Canal Algérie. Le ministre a déclaré que le transport des marchandises vers l’Algérie était le plus coûteux en Méditerranée, soit 9,7 milliards de DA induits par les surestaries. « L’armateur est dans son droit d’exiger les frais d’immobilisation de ses conteneurs, mais pour l’économie algérienne il n’y a pas de contrepartie. Le gouvernement a la volonté de réduire cette dépense à un niveau acceptable », a-t-il explicité, alors que le pays est confronté à une crise économique majeure.

En réaction à l’instauration de cette amende, l’économiste et membre du think tank Care, Mohand Touazi, émet des réserves. Il considère qu’il y a un certain nombre de « problèmes multiples et variés » qui font que l’inspection des marchandises prend « beaucoup plus de temps que prévu ».

Toujours sur Canal Algérie, M. Touazi, pointe le retard dans le déchargement de la marchandise qui ne « peut se faire à l’extérieur de l’enceinte portuaire, mais à l’intérieur ». L’économiste qualifie de « court » le délai de 30 jours accordé aux opérateurs pour lever leurs marchandises.

Selon lui, l’ensemble des étapes avant le retrait des marchandises peut durer jusqu’à une année. « Lorsque vous avez un litige avec l’administration des douanes ou la direction de la concurrence et des prix, eh bien en Algérie il vous faut beaucoup de temps pour le régler, beaucoup de palabres et de dossiers à fournir et de rendez-vous », expose l’économiste qui considère que l’instauration d’une amende à l’encontre des opérateurs retardataires reviendrait à en infliger à « quelqu’un qui n’est pas responsable du retard ».

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