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Tunisie : tensions au sommet de l’Etat à cause de la Libye

La vidéo est devenue virale en Tunisie : la dirigeante du Parti destourien libre (PDL) Abir Moussa qui s’en prend avec virulence au président du Parlement, le chef du mouvement Ennahda, Rached Ghannouchi.

Au cours d’un débat houleux de plusieurs heures mercredi au Parlement tunisien sur les positionnements diplomatiques du chef islamiste, la députée du PDL l’a accusé en demi-mot d’appliquer un agenda inspiré par la Turquie et le Qatar.

« Vous avez violé le protocole en vous rendant en Turquie », a accusé la députée en référence à une rencontre entre Erdogan et Ghannouchi au mois de janvier alors que le chef de l’Etat Kais Saied, élu trois mois plus tôt, ne s’était pas encore rendu à l’étranger.

Dans la vidéo, la députée accuse également Ghannouchi d’avoir profité de la pandémie de nouveau coronavirus Covid-19 pour se pencher sur des projets de coopération avec le Qatar et la Turquie.

« Le 25 avril, vous aviez appelé Erdogan sans en informer les Tunisiens (…) Vous mentez au Parlement », a-t-elle chargé avant que Ghannouchi ne l’invite à « soigner son langage ».

« Ce que vous avez fait n’est ni une erreur, ni un oubli, vous appliquez votre agenda », peste-elle en lui reprochant de mener une « diplomatie » parallèle notamment par rapport au conflit en Libye dans lequel la Tunisie observe une « neutralité ».

M. Ghannouchi a suscité la polémique après une conversation téléphonique fin mai, révélée par des dirigeants libyens, dans laquelle il a félicité le chef du gouvernement d’union nationale (GNA) en Libye, Fayez al-Sarraj, pour la conquête d’une base détenue par les forces du maréchal Khalifa Haftar alors que la diplomatie est du ressort du président de la République.

« On dirait que la guerre en Libye se déroule en Tunisie », a déclaré Ghannouchi jeudi à l’aube, au terme de longues heures d’échanges vifs entre députés, regrettant que des députés se battent « au nom de la Libye ».

Ghannouchi dont les propos sont repris par l’AFP, déplore également une « diabolisation » de toute opinion contraire dans le débat politique tunisien, un « mal » qui « représente un danger pour la démocratie », selon lui.

Concernant la Libye, « nous n’avons pas à être dans un camp ou un autre », a-t-il ajouté, assurant qu’« il n’y a pas de place pour la concurrence ni le conflit » au sein de la diplomatie tunisienne, d’après la même source.

« Au vu de vos observations, je vais réexaminer mes positions » et « identifier les lacunes pour les corriger », a-t-il toutefois concédé en fin de séance non sans reprocher à ses détracteurs, au premier rang desquels le parti anti-islamiste PDL, dont la première responsable est une figure du régime déchu de Ben Ali, d’avoir « instrumentalisé » cette conversation protocolaire à l’occasion de ramadan pour s’en prendre à la jeune démocratie tunisienne ».

« Leur but annoncé est de cibler le chef du Parlement, mais en réalité ils ciblent le Parlement et donc l’expérience démocratique tunisienne », a-t-il contre-attaqué.

Mardi, le chef islamiste a exprimé son penchant pour une diplomatie « positive » en Libye, en estimant que la neutralité passive de la Tunisie au sujet du conflit libyen ne bénéficiera en rien à son pays.

Il a appelé à mettre en place une politique étrangère bâtie sur ce qu’il qualifie de « neutralité active », rapporte le média tunisien Webdo. « La neutralité passive n’a pas de sens, nous devons opter pour la neutralité positive de manière à pousser les protagonistes libyens à trouver une solution politique à leur conflit », a déclaré M. Ghannouchi dans un entretien accordé à l’agence de presse turque Anadolu.

La Turquie est pour rappel partie prenante du conflit en Libye, apportant son soutien militaire au gouvernement d’union nationale (GNA). « Les voisins de la Libye ne peuvent pas vivre dans l’insouciance. S’il y a un incendie chez votre voisin, vous ne pouvez pas être neutre ; éteindre le feu est un devoir et une nécessité, donc la neutralité passive n’a aucun sens », a-t-il soutenu en outre, cité par African Manager.

« Notre vision est qu’une solution politique en Libye est le moyen le plus sûr de surmonter l’insécurité et le chaos », a également estimé Rached Ghannouchi.

« Rached Ghannouchi n’a jamais caché faire partie de l’axe Turquie-Qatar, mais il est désormais président du Parlement et les institutions tunisiennes se retrouvent entraînées dans cet axe », explique dans ce contexte Hamza Meddeb, expert pour le centre Carnegie, cité par TV5 Monde.

Une telle prise de position en faveur du camp du GNA a été vue par ses adversaires comme un empiétement des prérogatives garanties au président de la Tunisie, Kais Saied, la Constitution tunisienne stipulant que c’est à lui qu’appartient de déterminer les politiques générales de la diplomatie du pays.

Or, le président Saied a officiellement opté pour la neutralité diplomatique. En réaction, le président tunisien a souligné dans un discours prononcé à la fin du mois dernier que la Tunisie n’avait « qu’un seul président, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur ».

« Le président du Parlement doit respecter la Constitution et les prérogatives accordées au président de la République et il n’a pas le droit d’intervenir dans les affaires diplomatiques ou d’impliquer la Tunisie de quelque manière que ce soit dans le conflit libyen », a dénoncé Haykel Mekki, député tunisien du bloc démocrate cité par Businessnews.

« Tout ceci doit être clarifié aux Tunisiens, et Rached Ghannouchi est condamnable légalement car il a violé la Constitution et le règlement intérieur de l’ARP », a-t-il souligné.

En réponse à la polémique, Rached Ghannouchi s’est justifié en affirmant que l’appel téléphonique au chef du GNA « n’a pas enfreint les us de la diplomatie tunisienne », précisant que la Tunisie et son président Kais Saied sont en contact avec le gouvernement al-Sarraj « parce qu’il est le dépositaire de la souveraineté selon la légitimité internationale ».

« Ceux qui protestent contre notre entretien téléphonique sont les personnes qui proposent une alternative à la légitimité, comme par exemple contacter des organisations non reconnues, ce qui est préjudiciable aux intérêts de l’Etat et du peuple tunisiens », a estimé Ghannouchi.

Dans un contexte de crise économique, cette polémique risque de provoquer une nouvelle crise politique dans ce pays.

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