C’est l’escalade, verbale pour le moment, en Méditerranée orientale. Analystes et politiques se demandent jusqu’où iront les tensions entre la Turquie et la Grèce au lendemain de nouvelles menaces explicites de Recep Tayyip Erdogan à l’égard du pays voisin et ennemi historique de la Turquie.
Les déclarations incendiaires se font simultanément aux manœuvres militaires qui s’apparentent à des démonstrations de force de la Turquie d’une part, et de la Grèce et ses alliés, notamment la France, de l’autre.
« Ils vont comprendre que la Turquie est assez forte politiquement, économiquement et militairement pour déchirer les cartes et les documents immoraux. Ils vont comprendre, soit par le langage de la politique et de la diplomatie, soit sur le terrain via d’amères expériences », a menacé samedi M. Erdogan.
La menace intervenait la veille du début de cinq jours de manœuvres militaires en République turque de Chypre du Nord, un État non reconnu par la communauté internationale.
Les anciennes inimitiés entre les deux pays se sont réveillées après la découverte en Méditerranée orientale d’importants gisements gaziers ces dernières années, la Turquie voulant étendre ses frontières maritimes qu’elle estime tracées d’une manière inéquitable.
Le 10 août, elle avait envoyé un navire de prospection sismique accompagné de navires de guerre dans la zone située entre la Grèce et Chypre. Le 26 août, le président Erdogan a exhorté la Grèce à se garder de commettre toute « erreur » qui mènerait à sa « ruine ».
La Turquie peut-elle réellement mettre ses menaces à exécution et, surtout, l’Europe et les grandes puissances laisseront-elles faire ? Pour le moment, seule la France a pris une position tranchée, envoyant même des forces, une frégate et des rafales, dans la zone de conflit.
L’Allemagne, qui compte une importante communauté turque sur son territoire, demeure réticente quant à une action commune ferme face à la Turquie.
Au lendemain de ses dernières menaces en date à l’égard de la Grèce, le président Erdogan a eu un entretien téléphonique avec le président du Conseil européen, Charles Michel, au cours duquel il a exhorté l’Union européenne à rester « impartiale » dans le conflit.
Michel a souligné de son côté l’importance d’une désescalade et appelé la Turquie à cesser les activités pouvant alimenter les tensions.
Pour le moment, rien ne laisse entrevoir une désescalade immédiate et les analystes commencent à échafauder les scénarios et à s’interroger. La Turquie pourra-t-elle passer à l’acte, a-t-elle réellement les moyens de « ruiner » la Grèce, qu’elle sera la position de l’OTAN dont les deux pays sont membres, l’UE pourra-t-elle rester « impartiale » dans un conflit qui engage un de ses pays membres, les grandes puissances resteront-elles loin de tout cela ?
Beaucoup écartent, du moins pour le moment, l’éventualité d’un affrontement armé. Ce n’est pas parce que, il y a deux ans, le journal français le Point avait comparé Erdogan à Hitler, que c’est vrai. On estime que le président turc est conscient qu’il lui sera impossible de sortir vainqueur d’un conflit armé dans lequel les grandes puissances ne resteront pas « impartiale », y compris la Russie.
Dans le meilleur des cas, Vladimir Poutine pourrait s’attribuer le beau rôle en jouant les intermédiaires. La Turquie est déjà directement impliquée dans deux conflits.
Ses soldats occupent une partie du Nord de la Syrie et ses drones bombardent les forces du général Khalifa Haftar en Libye. Ouvrir maintenant un troisième front pourrait s’avérer lourd de conséquences pour la Turquie, y compris dans les conflits syrien et libyen. C’est pourquoi on estime que le bras de fer actuel pourrait se jouer sur les leviers de pression dont disposent la Turquie et l’UE : les flux migratoires, la diaspora et l’économie.