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Turquie : les enjeux des présidentielles anticipées pour Erdogan

Turquie : les enjeux des présidentielles anticipées pour Erdogan

Les électeurs turcs se rendent aux urnes ce dimanche 24 juin pour des élections législatives et présidentielles anticipées qui seront tenues dans un contexte d’état d’urgence, de baisse de la valeur de la livre, la monnaie turque, et d’instabilité régionale sur fond d’implication militaire turque en Syrie.

Ces élections feront suite à un référendum tenu en avril 2017 qui a transformé la démocratie parlementaire de la Turquie en un régime présidentiel, après que Recep Tayipp Erdogan ait été élu président de la République au suffrage universel en août 2014, une première en Turquie.

Les élections législatives et présidentielles anticipées ddimanche auront donc lieu sous un nouveau système politique qui donnera au nouveau président des pouvoirs exécutifs accrus.

Erdogan a annoncé en avril dernier que la Turquie organiserait des élections parlementaires et présidentielles anticipées en juin, alors qu’elles étaient initialement prévues en 2019. Les analystes estiment que trois raisons principales ont conduit le président turc à avancer la date des élections.

La première est qu’il a besoin de ces élections pour activer ses nouvelles prérogatives présidentielles conférées par l’amendement constitutionnel voté par referendum en avril 2017.

La deuxième est qu’en 2019, la Turquie sera très probablement installée dans une crise économique qui commence déjà à prendre forme, et pour Erdogan, la meilleure façon de ne pas risquer une perte du pouvoir est d’organiser des élections anticipées.

La troisième est que la Turquie est engagée dans une offensive militaire dans le nord de la Syrie, et Erdogan a voulu mettre à profit les succès de ces opérations militaires pour accroître sa popularité.

Malgré cela, Erdogan et son Parti de la Justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis le début des années 2000, ont en face d’eux une opposition plutôt unie, rendant l’issue des élections très incertaine.

Des élections anticipées pour consolider le pouvoir présidentiel

En avril 2017, un référendum constitutionnel remporté de justesse par le «oui» du gouvernement a transformé le système parlementaire turc en un système présidentiel avec des pouvoirs exécutifs élargis.

La nouvelle constitution abolit le poste de premier-ministre et permet au président turc de nommer les vice-présidents, ministres, hauts fonctionnaires et hauts magistrats. Le président peut aussi dissoudre le parlement, émettre des décrets exécutifs et imposer l’état d’urgence, chose qui était du ressort du parlement auparavant.

Il faut rappeler que ce référendum est intervenu moins d’un an après une tentative de coup d’Etat, dans la nuit du 15 au 16 juin 2016, contre Erdogan qui avait dû faire appel au peuple pour faire barrage aux officiers insurgés de l’armée, causant 290 morts.

Depuis, Erdogan utilise ce coup d’Etat comme un prétexte pour asseoir son pouvoir sur le pays. Il a ordonné des purges dans l’armée, la police, l’enseignement et l’administration qui ont visé des personnes accusées d’appartenance à la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen qu’Erdogan a rendu responsable du coup d’Etat manqué.

Même la presse n’a pas échappé à la colère du « Reis », comme l’appellent ces partisans. Accusés d’être proche de la confrérie, de nombreux journalistes d’opposition ont été condamnés à de la prison ferme.

Ces purges ont entrainé l’arrestation de 50 000 personnes et le limogeage de 140 000 fonctionnaires.

Les élections anticipées de dimanche font partie de cette stratégie de consolidation et de préservation du pouvoir.

Conserver le pouvoir avant la crise économique

La Turquie traverse une mauvaise période sur le plan économique qui ne fera que s’aggraver dans les mois à venir, selon les experts.

Le gouvernement turc tente désespérément d’arrêter l’effondrement de sa monnaie, la livre, qui pourrait déclencher une crise économique. Depuis le début de l’année, la livre a plongé d’environ 20% par rapport au dollar américain, pénalisée par un mouvement plus général des investisseurs visant à faire sortir les capitaux des marchés émergents vers les États-Unis.

La crise monétaire s’est intensifiée rapidement en mai et en juin après que le président turc ait indiqué vouloir prendre le contrôle de la fixation des taux d’intérêt, qu’il a décrit comme « la mère et le père de tous les maux ».

Alors que les investisseurs continuaient à se retirer du pays, la banque centrale turque a annoncé en mai une hausse d’urgence des taux d’intérêt de 13,5% à 16,5%. En juin, ce taux a été porté à 18%.

Les experts s’inquiètent que cela ne cause une hausse de l’inflation qui pourrait freiner la croissance économique et accélérer le retrait des capitaux et de l’investissement du pays.

Dans un pays où pratiquement toutes les entreprises sont endettées, en raison d’un recours accru aux crédits, l’économie turque maintient son fonctionnement grâce la dette à court terme.

La Turquie a aussi un besoin crucial en capitaux étrangers pour compenser son déficit commercial, supérieur à 5% du PIB, en raison d’un niveau d’importation supérieur à celui des exportations.

Erdogan, qui a occupé le poste de premier ministre de 2003 jusqu’à son élection à la présidence en 2014, s’est toujours vanté de ses réalisations économiques, qui ont profité à sa base électorale à revenus faible et moyen et ont permis de faire entrer la Turquie dans le club des 20 pays les plus riches du monde.

Cependant la crise économique à venir pourrait vraiment causer du tort à Erdogan sur le plan électoral car les électeurs pourraient être amenés à remettre en question sa gestion économique.

Les experts estiment que la crise économique qui se profile est la principale raison pour laquelle Erdogan a décidé d’organiser ces élections anticipées, afin d’éviter une très probable défaite en 2019.

La politique étrangère à la rescousse

Lorsque le président Erdogan a convoqué des élections anticipées en avril 2018, il a cité les préoccupations de politique étrangère comme une des raisons principales de sa décision. Il avait estimé que les développements internationaux rendaient « urgent » le passage à un nouveau type de système exécutif afin de « prendre des mesures pour l’avenir de la Turquie d’une manière plus forte » avait-il déclaré en mai dernier.

Au nombre des questions internationales qui présentent une importance capitale pour la Turquie, se trouvent l’extradition de Fethullah Gülen qu’Ankara accuse d’avoir orchestré la tentative de coup d’état de 2016, l’arrêt des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, l’influence iranienne dans la région, le conflit non résolu sur l’île de Chypre et ses relations tendues avec l’Egypte, Israël, la Libye et le Yémen.

La question palestinienne est aussi un sujet de préoccupation pour la Turquie. Le président turc a fait preuve d’un grand activisme sur cette question après son opposition à la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël. Cela a donné au président turc l’occasion de se poser en leader du monde musulman et de tirer sur une corde sensible de son électorat de base.

Mais la question la plus urgente pour la Turquie reste la situation en Syrie dans laquelle la Turquie a joué un rôle pour le moins trouble. Après les soulèvements populaires de 2011, et le soutien de la Turquie à l’opposition syrienne, y compris à des groupes extrémistes en laissant des armes et des djihadistes transiter par son territoire, les relations entre les deux pays se sont totalement dégradées.

Pourtant lors de son accession au pouvoir en 2002, l’AKP avait pour ligne directrice, en matière de politique étrangère, le fameux « zéro problème avec les pays voisins ». Ce concept avait amené la Turquie à avoir des relations très étroites avec son voisin syrien qu’elle avait même amené à lancer des négociations indirectes avec Israël.

Aujourd’hui la Syrie reflète à la fois les préoccupations sécuritaires externes et internes de la Turquie.

Après avoir lancé en février 2017 une offensive dans le nord de la Syrie contre l’organisation terroriste de l’Etat islamique (EI) qui avait commis de multiples attentats en 2016 en Turquie, l’armée turque a lancé, en janvier 2018, une opération militaire baptisée « Rameau d’Olivier », dans la région d’Afrine, avec l’appui des rebelles syriens de l’Armée syrienne libre (ASL).

Cette offensive était dirigée contre les Kurdes du Parti de l’Union démocratique (PYD) syrien et son aile armée, les Unités de protection du peuple (YPG), alliés des Etats-Unis dans la guerre contre l’EI, mais que la Turquie considère comme terroriste car liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avec lequel Ankara est en conflit depuis les années 1980.

Après une farouche résistance de la part des Kurdes, l’armée turque, grâce à un armement bien supérieur, a réussi à chasser les YPG de la région d’Afrine.

Cette offensive militaire turque couronnée de succès a permis à Erdogan d’atteindre deux objectifs dans la consolidation de son pouvoir. Le premier était la réaffirmation de son autorité sur un appareil militaire réticent à une intervention en Syrie et dont une partie avait été impliquée dans le coup d’Etat de 2016.

Le second était de soigner son image d’homme fort auprès de son électorat traditionnel et d’augmenter sa côte de popularité au sein des milieux ultra-nationalistes turcs, notamment ceux du Parti d’action nationaliste (MHP) avec lequel son parti, l’AKP, a conclu un pacte en vue des élections législatives anticipées.

Des élections législatives et présidentielles à l’issue incertaine

En annonçant des élections anticipées, le président turc pensait prendre ses adversaires politiques de vitesse, en leur donnant un minimum de temps pour s’y préparer.

Seulement, pour les législatives, Erdogan et son parti AKP, ne s’attendaient pas à ce que l’opposition, d’habitude divisée, unisse ses rangs. Son parti, majoritaire à la Grande assemblée nationale (chambre basse), l’y a même aidé en supprimant l’interdiction des alliances électorales dans une nouvelle loi électorale votée en mars qui permet aux partis, non seulement de former des alliances, mais aussi d’envoyer des députés à la Grande assemblée même s’ils n’atteignent pas le seuil électoral de 10%.

Alors que cette loi devait profiter aux ultranationalistes du MHP, allié à l’AKP pour ces législatives, l’opposition a saisi l’occasion pour former une alliance composée des sociaux-démocrates du Parti républicain du peuple (CHP), des islamistes du Parti de la félicité (Saadet), des ultranationalistes du Bon Parti et des conservateurs du Parti démocrate, à l’exclusion des pro-kurdes du Parti démocratique des peuples (HDP) qui ne font pas partie de cette alliance.

Mais si les pro-kurdes du HDP arrivent à obtenir au moins 10% des votes et l’alliance de l’opposition arrive à capter les votes des déçus de l’AKP, ce dernier pourrait perdre la majorité absolue qu’il détient actuellement à la Grande assemblée nationale, d’autant plus que les législatives se joueront à un seul tour.

Erdogan ne peut pas non plus jouer, selon les analystes, sur sa stratégie habituelle du clivage culturel en accusant l’alliance soit d’être à la solde de l’étranger ou de soutenir le terrorisme. Ces accusations qui visent habituellement les laïcistes et les pro-kurdes ne sont plus valides dès lors que cette alliance comprend les islamistes et que les pro-kurdes en sont exclus.

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