Si on veut faire discréditer la parole de l’État et provoquer un effet repoussoir auprès des investisseurs étrangers déjà forts récalcitrants à s’implanter chez nous, on ne s’y prendrait pas autrement.
L’éventuelle réinstauration d’une TVA de 19% pour les véhicules montés en Algérie après avoir accordé bien des avantages, dont l’exonération de la TVA, aux porteurs de projets dans le secteur de l’automobile est un parfait exemple de cette propension du gouvernement algérien à revenir sur des engagements pris.
Dans le projet de Loi de finances complémentaire pour 2018, le gouvernement algérien propose de revenir et de façon unilatérale sur une décision importante qui a été pour beaucoup dans le lancement d’usines de montages de véhicules par les concessionnaires automobiles.
Le plus grave, les investisseurs qui ont construits des usines de montage ne sont ni informés et encore moins consultés, eux qui pourtant ont pris sur eux d’accompagner le gouvernement dans son ambition de doter le pays d’une industrie automobile pour soulager les caisses de l’État des pertes sèches en devises (la facture a atteint les 7,33 milliards de dollars en 2013 !) occasionnées par les importations tous azimuts de véhicules.
Ils sont bien payés en retour ! Le hic est que la réinstauration d’une TVA de 19% s’est faite alors que la majorité des constructeurs automobiles ont revu à la baisse les prix de leurs véhicules suite, il est vrai, à une campagne de boycott des voitures montées en Algérie menée sur les réseaux sociaux au lendemain de la publication, le 14 mars dernier, par le ministère de l’Industrie les listes des prix de sortie d’usine des véhicules légers montés ou fabriqués en Algérie.
Le gouvernement aurait pu trouver d’autres solutions et attendre la fin de la durée (05 ans) de cet avantage qu’il a lui-même accordé aux acteurs d’une industrie automobile balbutiante pour réinstaurer cette TVA tout en fixant de concert avec ces derniers le seuil de leur marge bénéficiaire même si on est dans une économie de marché où les prix sont normalement libres.
Et pour éviter de travailler à perte, les concessionnaires n’auront d’autre choix, si bien évidemment cette mesure est maintenue, que d’augmenter les prix des véhicules déjà bien prohibitifs, en encourant le risque d’une chute drastique du volume des ventes qui peut bien compromettre leurs investissements. Vraie quadrature du cercle !
Cette instabilité juridique est un signal des plus négatifs lancé auprès des investisseurs, surtout étrangers, qui se trouvent ainsi confortés dans leur frilosité à investir en Algérie qui renvois l’image d’un pays instable sur le plan de la réglementation au point que ce qui semble acquis aujourd’hui peut être remis en cause du jour au lendemain.
Petite illustration : pas moins de 20 modifications ont été apportées au code de l’investissement en 17 ans. On se souvient du débat qui avait précédé l’adoption de la Loi de finances complémentaires pour 2009 sur l’introduction de la règle 49/51 et sa rétroactivité. Il fallait l’arbitrage du président Bouteflika pour supprimer le caractère rétroactif de cette règle. Neuf ans après, le gouvernement récidive en proposant de supprimer un avantage fiscal accordé à des investisseurs.
Mais cette instabilité juridique chronique est contreproductive. Elle a un coût pour l’économie et l’image du pays auprès des investisseurs nationaux et étrangers.
Pour preuve, en 2017 le volume des investissements directs étrangers (IDE) en Algérie a été de 1,2 milliard de dollars, en baisse de près de 400 millions de dollars par rapport à l’année précédente. Ces chiffres ont été rendus publics dernièrement par la Conférence des nations unis pour le commerce et le développement (CNUCED).
Et ce n’est pas hasard si l’Algérie a dégringolé de 10 places (166e) dans le dernier rapport « Doing business » de la Banque mondiale qui analyse l’environnement des affaires chaque année dans 190 pays.
Dans un rapport publié en juillet 2017, le Sénat français pointait le problème de l’instabilité juridique en Algérie pour les entreprises européennes.
Cette instabilité juridique a aussi un coût politique, notamment la dépréciation de la parole de l’État. Les partenaires étrangers du pays verront dans ces changements fréquents dans les textes de loi un manque de sérieux du législateur algérien.
Ce qui n’est pas, bien entendu, sans conséquence sur la crédibilité de l’État qui en prend ainsi un sale coup surtout que le gouvernement algérien n’est pas à son premier rétropédalage.
À croire que les décideurs économiques algériens ne sont toujours pas revenus du dirigisme mortifère qui a été de rigueur lors des années de plomb avec les incommensurables dégâts économiques que l’on sait.
Ils donnent l’air de gérer l’économie algérienne sans se donner la peine de consulter les acteurs économiques ni se soucier de l’impact de leurs décisions sur ces derniers comme sur l’image du pays. À coup sûr, la mère des réformes à mener absolument et en premier lieu en Algérie est celle de la gouvernance.
Article 06 du projet de loi de finances complémentaire 2018 :
« Les exonérations de la TVA accordées en vertu des dispositions de l’article 61 de la loi de finances complémentaire pour 2009 et de l’article 18-2 de la loi n° 16-09 du 03 août 2016 relative à la promotion de l’investissement, au titre de la commercialisation des véhicules fabriqués localement, cesseront de produire leurs effets à compter de la promulgation de la présente loi ».
L’article 18-2 de la loi n°16-09 du 03 août 2016 :
« Le conseil national de l’investissement est habilité à consentir, selon des modalités fixées par voie réglementaire et pour une période qui ne peut excéder cinq (5) années, des exemptions ou réductions des droits, impôts et taxes y compris la taxe sur la valeur ajoutée appliquée aux prix des biens produits entrant dans le cadre des activités industrielles naissantes ».
Article 60 de la loi de finances complémentaire de 2009 :
« Art. 60. – L’ordonnance n° 01-03 du 20 aout 2001, modifiée et complétée, relative au développement de l’investissement est complétée par les articles 9 bis et 9 ter rédigés comme suit : ´ Art. 9 bis. – L’octroi des avantages du régime général est subordonné à l’engagement écrit du bénéficiaire à accorder la préférence aux produits et services d’origine algérienne. Le bénéfice de la franchise de la taxe sur la valeur ajoutée est limité aux seules acquisitions d’origine algérienne. Toutefois, cet avantage peut être consenti lorsqu’il est dûment établi l’absence d’une production locale similaire. Le taux de la préférence aux produits et services d’origine algérienne ainsi que les modalités d’application du présent article sont fixées par voie réglementaire ».
« Art. 9 ter. – Les investissements dont le montant est égal ou supérieur à 500 millions de dinars ne peuvent bénéficier des avantages du régime général que dans le cadre d’une décision du conseil national de l’investissement ».