Société

Un Algérien raconte son voyage au cœur de l’apartheid israélien

Le récit d’Akli Ourad, ingénieur algérien installé en Angleterre, sur son voyage de Londres à Jérusalem, qui vient de paraître aux Éditions Casbah en Algérie, est bouleversant. Captivant, bouleversant et poignant, il met à nu un système abominable.

Dans ce livre intitulé « De Londres à Jérusalem, Terreur Promise », l’ingénieur-écrivain y raconte son voyage dans les territoires de la Palestine occupée en juin 1999.

« Je vous emmène avec moi au cœur d’un système d’apartheid bien plus cruel que celui subi par les concitoyens de Madiba, qui a commencé paradoxalement aussi en 1948, à une époque où un État artificiel a été au cœur de la Palestine historique par les puissances orientales… », explique à TSA Akli Ourad qui vient de participer au Salon international d’Alger (Sila 2024) qui s’est tenu du 6 au 16 novembre.

Vingt-cinq ans après ce voyage, la situation de la Palestine occupée est toujours aussi dramatique et ce sujet toujours d’actualité.

Alors qu’il résidait et travaillait à Londres comme ingénieur des travaux publics, Akli Ourad est missionné par la Banque mondiale pour un projet qui s’inscrit dans le cadre des accords d’Oslo.

Une mission d’une semaine, durant laquelle il aura l’occasion de visiter Tel-Aviv, Naplouse, Ramallah, Jérusalem, Jaffa… En quelques jours, Akli Ouarad a pu observer le visage hideux d’un colonialisme dégradant et déshumanisant qu’il nous raconte dans ce récit émouvant. Contacté par TSA, l’écrivain nous en dit un peu plus sur cette expérience.

Cette mission est arrivée par surprise dans la vie professionnelle d’Akli Ourad. À l’époque, l’ingénieur en travaux publics travaillait pour un bureau d’études anglais, Sir Alexander Gibb & Partner, situé à Birmingham. C’était en juin 1999.

« Je suis parti dans le cadre du renforcement des accords d’Oslo entre Israël et l’Autorité palestinienne en vue de la mise en œuvre de la solution à deux États soutenue par la commune internationale. Ma mission était sponsorisée par la Banque mondiale avec pour mission d’assister l’Autorité palestinienne dans la gestion et la mise à niveau de la partie du réseau routier de la Cisjordanie qu’Israël a cédée à l’Autorité palestinienne », raconte-t-il à TSA.

Méfiance et suspicion à l’aéroport de Londres

Voyageant avec son passeport anglais, l’expert international subit un interrogatoire musclé à l’aéroport de Heathrow. Avant de pouvoir mettre un pied dans l’avion, à destination de Tel-Aviv, il passe sous le gril des services douaniers.

« Il y a deux choses qui m’ont valu une investigation approfondie au départ de Heathrow (Londres). Le premier réquisitoire était ma filiation avec mon nom et prénom pas du tout européens ainsi que mon lieu de naissance : Tizi-Ouzou. La deuxième diatribe était ma destination, à savoir les territoires occupés. Le régime sioniste a toujours cherché à prévenir la visite de ses territoires usurpés par des personnes venant du monde qu’il considère hostile, même si elles sont porteuses de passeport de leurs pays amis » ? souligne-t-il.

Pour un Algérien, se rendre en Palestine occupée est une gageure. Pourquoi tant de méfiance à l’égard de nos compatriotes ? Pour Akli Ourad, la réponse est claire.

« Nous Algériens sommes abreuvés de soutien aux mouvements de libération, et notamment à la question palestinienne. Beaucoup ne le savent pas, mais durant notre guerre d’indépendance, la population palestinienne a participé massivement aux collectes de fonds pour aider notre révolution malgré le fait qu’ils étaient (ils sont toujours) sous occupation israélienne et venaient de subir la Nakba avec le nettoyage ethnique touchant 60 % de leur population. Un Algérien visitant la Palestine n’est jamais comme un autre citoyen ».

Politique d’effacement

Ce voyage a été une expérience bouleversante pour Akli Ourad. Dans son récit, il écrit que la politique sioniste a effacé l’identité palestinienne. Lors de notre entretien, il nous donne plus de détails en convoquant l’histoire.

« L’effacement des traces palestiniennes est au cœur du projet sioniste depuis sa constitution en 1895 par Theodor Herzl, son encouragement par la déclaration de Balfour en 1917 et sa concrétisation en 1948 avec l’aide de l’Occident colonial. La devise du sionisme qui est « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », qui résume à elle seule la motivation derrière cette politique d’effacement de toute race rappelant l’existence d’un peuple autochtone sur la terre de Palestine, et ce, depuis plusieurs millénaires », développe Akli Ourad.

Et d’insister : « Tout ce qui rappelle le peuple palestinien est effacé, y compris les noms des villes, des villages, des régions, des rivières, des mets, des habits… ».

Mesures de sécurité extrêmes

Le premier choc, Akli Ourad se le prend de plein fouet, à l’approche de Tel-Aviv. Alors qu’il s’était assoupi, il est réveillé en sursaut par un vrombissement tonitruant.

Par le hublot, il croit rêver en apercevant deux avions de chasse arborant sur la carlingue de petits drapeaux israéliens. Une scène surréaliste qui l’a profondément marquée.

« Quand j’ai vu ces deux avions qui ont surgi de nulle part avec un bruit assourdissant venant voler de chaque côté de l’avion de transport de passagers dans lequel j’étais, j’ai compris à quel degré Israël était devenu paranoïaque en matière de sécurité », explique-t-il.

« Il faut rappeler qu’Israël a introduit un certain nombre de mesures de sécurité pour sécuriser sa compagnie aérienne El Al. Ils ont fait cela après avoir subi deux piratages aériens par des militants palestiniens, dont un a été détourné vers Alger un jour de juillet 1968 », ajoute-t-il.

À sa descente de l’avion, Akli Ourad est longtemps interrogé par les services du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien. « Le système d’apartheid instauré par Israël a transformé son plus important aéroport international en un tribunal avancé où les individus de la partie la plus sombre de la palette des couleurs sont jugés sur leur comportent à priori, humilié, condamnés, interdits de territoire, et remis dans le premier avion les retournant à l’envoyeur », témoigne-t-il.

La mort, Akli Ourad la verra de très près. Une nuit, il est tiré de son sommeil à Naplouse et a tout juste le temps de rejoindre l’abri anti-bombe de l’hôtel pour échapper à un bombardement destructeur.

Palestine : des prisons à ciel ouvert

Lors de ce voyage, l’ingénieur algérien découvre les injustices infligées à la population palestinienne : expropriation, assassinat, humiliations, barrages routiers, déshumanisation…

Tel-Aviv, Naplouse, Ramallah, Cisjordanie, Jérusalem, Jaffa… il entend et voit tout. Son récit est glaçant.

« Quand on visite les territoires occupés en Cisjordanie, on est tout de suite frappé par la multitude de colonies israéliennes écumant tous les sommets de toutes les collines de ce minuscule territoire et entassant le reste de la population palestinienne dans leurs villes devenues des prisons à ciel ouvert comme l’est Gaza depuis 18 ans », dit-il.

« J’ai observé en une seule semaine, toutes les caractéristiques d’un régime raciste basé sur la domination politique, sociale, économique et militaire exercée par une minorité importée du fin fond de l’Europe de l’Est sous dictature stalinienne ou de l’Afrique du Nord sous Crémieux (décret Crémieux qui a accordé la nationalité française aux Juifs d’Algérie en 1870). J’ai été surpris par la perversion de la notion de nationalité par l’apartheid israélien, que même celui de l’Afrique du Sud des ténèbres n’a pas réussi à mettre en œuvre », poursuit-il.

Akli Ourad nous rapporte par le menu toutes les étapes de son voyage. Il partage avec nous des anecdotes inattendues comme le jour où il a dû prouver qu’il était musulman en récitant la ‘fatiha’ afin d’avoir accès à la mosquée El Aqsa à El Qods occupée.

Parti pour raisons professionnelles en Palestine, l’ingénieur a ressenti le besoin de partager son expérience en publiant ce récit.

« Mon voyage en Palestine m’a permis d’être témoin de la mise en pratique de la politique du grand remplacement, chère aux faussaires de l’histoire, devenue pur produit Crémieux. J’ai été abasourdi par le phénomène du morcellement des espaces, déjà réduits de ce qui reste de la Palestine mandataire, en camps de concentration que seule la décence permet d’appeler toujours villes palestiniennes. Les Palestiniens sont les Juifs XIXᵉ siècles, victimes d’une immense souffrance, de persécutions brutales et de génocides de masse perpétrés par les gouvernements sionistes successifs », conclut-il.

Un regard implacable sur l’apartheid israélien livré avec maestria dans le récit d’Akli Ourad à lire dans « De Londres à Jérusalem ».

Né à Ouadhias (Tizi-Ouzou) le 12 janvier 1962, Akli Ourad obtient son baccalauréat en 1982 et intègre l’École nationale des travaux publics d’Alger (ENTP) où il poursuit des études d’ingéniorat.

Akli Ourad a également fait du théâtre en compagnie de grands comédiens de la trempe de Kateb Yacine, Medjdoubi, Sonia et Benguettaf.

Installé en Angleterre en 1993, il rejoint l’université de Birmingham. Après un master, il est recruté en tant que chercheur associé et devient un expert international en économie routière.

« De Londres à Jérusalem. Terreur Promise ». Akli Ourad. Casbah Éditions. 158p. 1000 DA.

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