A 19H55 ce dimanche 29 janvier 2017, fusil à la main, un homme pénètre dans la mosquée de Québec et ouvre le feu sur les fidèles rassemblés pour la dernière prière de la journée. Des tirs pleuvent, six musulmans sont tués, quatre autres blessés.
Un an après, le Canada reste sous le choc de cette tuerie perpétrée par un étudiant aux idées nationalistes, qui doit être jugé au printemps. Son acte, la première attaque contre une mosquée au Canada, a cristallisé les tensions dans un pays qui compte un million de musulmans, et où les actes xénophobes se multiplient.
“Je n’oublierai pas les cris, +il y a des morts, il y a des morts!+ (…), j’étais criblé de balles, j’ai perdu beaucoup de sang”, se rappelle Aymen Derbali qui est aujourd’hui paraplégique après deux mois de coma et un long séjour à l’hôpital.
L’assaillant âgé désormais de 28 ans, Alexandre Bissonnette, compose le numéro d’urgence à 20H11 pour confesser son geste meurtrier. Il attend les forces de l’ordre dans sa voiture, à 20 km à l’est de la mosquée.
Introverti, éduqué, sans histoire particulière, l’étudiant d’une université toute proche du lieu de culte affiche des idées nationalistes sans être affilié à un mouvement. Son procès doit s’ouvrir au début du printemps.
“Je n’ai jamais eu de haine ou de colère envers l’agresseur”, confie à l’AFP Aymen Derbali, conscient qu’il revient lui-même “de très loin” après ses blessures. “C’est l’ignorance extrême qui l’a poussé à avoir une telle haine. Il avait plein de préjugés, il n’a pas essayé de côtoyer des musulmans et il s’est renfermé sur lui-même.”
Même son de cloche chez Thierno Mamadou Barry, qui “n’arrive toujours pas à croire que c’est arrivé”. Lui veut une réponse à la question qui le hante: pourquoi son frère Ibrahima, 39 ans, est décédé en allant à la mosquée ?
Les six victimes canadiennes étaient binationales: deux Algériens, deux Guinéens, un Marocain et un Tunisien. Epicier, informaticien ou professeur d’université, ils étaient tous intégrés à la vie québécoise.
– Réveil brutal –
“On ne s’y attendait pas. Pas à Québec”, explique Mahédine Djamaï à l’AFP. A 50 ans, et après des années en France, il avait décidé de poser ses valises à Québec avec sa femme et leurs trois enfants pour “justement éviter tout ce qui se passe en France”.
Le réveil a été brutal à Québec et dans l’ensemble du Canada, un pays qui accueille des réfugiés par milliers et qui est bercé de discours d’ouverture et de liberté.
Cependant, les clivages entre communautés sont bien réels et ces dernières années, les actes racistes ou les profanations de mosquées ou de synagogues se multiplient.
L’accueil de 40.000 réfugiés syriens, une bonne part de confession chrétienne, et l’afflux de migrants à la frontière sud depuis l’arrivée du président Donald Trump à la Maison Blanche a aussi décomplexé les groupuscules d’extrême droite.
Installé au Québec depuis son enfance, Tarik, qui a refusé de donner son patronyme, songe à quitter la capitale de la province francophone car “le climat actuel n’est pas propice à bâtir une famille”. Le jeune homme de 23 ans évoque notamment la “plupart des groupes d’extrême droite qui ont leur base à Québec”.
L’unité de tout un peuple et de sa classe politique affichée au lendemain de la tuerie s’est fissurée depuis. L’adoption à l’automne d’une loi québécoise sur la neutralité religieuse, qui a interdit le port du voile islamique dans les services publics, a ravivé les débats sur la laïcité de l’Etat.
La demande du Conseil national des musulmans canadiens d’instaurer une journée nationale contre l’islamophobie divise aussi la classe politique, dont une partie a rappelé qu’une journée est déjà dédiée à commémorer toute forme de discrimination.
Un an après, Québec a décidé quatre jours de commémoration pour “ne jamais oublier ce qui s’est passé”.
Un rassemblement populaire est prévu lundi pour souligner “la date d’anniversaire d’un crime insensé et incompréhensible”, selon le maire de Québec, Régis Labeaume.
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, qui avait condamné cet “attentat terroriste”, est attendu pour saluer la mémoire des victimes.