Le contraste est frappant. Aux interminables immeubles de béton qui rongent petit à petit la Mitidja, succèdent prairies et vallons qui déballent leurs tapis vert à perte de vue. Un sacré coin de paradis où tout n’est que calme, sérénité et beauté.
Le temps est printanier, l’air pur. L’Atlas blidéen se dessine à l’horizon. Des vaches broutent dans les pâturages. Des dizaines de ruches d’abeilles agrémentent les champs. On est au hameau de Boukhlif, à Mahelma, tout près d’Alger.
Au bout de plusieurs kilomètres de pistes et de chemins bitumés, apparait Djeninet Lala Aziza, une ferme atypique, mise sur pied par un couple qui l’est tout autant.
Un concept japonais
Ils s’appellent Anis et Hanifa Saïdoun. Ils se sont mariés le 31 décembre 2020 et ont décidé de se lancer dans l’agriculture biologique en créant leur propre ferme.
« Ce n’est ni une ferme, ni un jardin, ni un champ. C’est une forêt comestible, un concept qui a été développé par un japonais qui prône une agriculture très respectueuse de la nature, c’est-à-dire qu’on rend à la terre ce qu’on lui prend ; et une culture variée », explique Anis.
Dans cette jeune exploitation, poussent citrouilles, courgettes, tomates, fraises, cardes, fèves, épinards. Des arbres aussi : grenadiers, oliviers, pêchers, avocatiers, figuiers. Et un petit élevage de canards et de lapins. Pour ce jeune couple passionné par le travail de la terre, c’est le début d’une belle aventure.
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Ils sont tous les jours dans leur petit bout de paradis. En cette belle journée printanière de mars, ils ne dérogent pas à la règle. Leurs chapeaux de paille les protègent du soleil qui commence à taper un peu fort. Anis raconte son parcours non sans un brin de fierté.
Pharmacien et ingénieure polytechnicienne
Il a 28 ans et il a rangé son diplôme de docteur en pharmacie pour se consacrer à sa passion, l’élevage et l’agriculture biologique. Hanifa, sa jeune épouse de 26 ans, n’est pas moins instruite. Elle est ingénieure polytechnicienne, mais la passion qu’elle partage avec son mari l’a poussée à tout plaquer.
S’aimer et partager la même passion, tout le monde en rêve. « Notre philosophie c’est « s’aimer et semer » » lancent-ils, le regard complice. « Nous disposons d’un terrain agricole de 2,8 hectares. Il appartient à la famille de mon épouse et nous l’exploitons ensemble en faisant tout avec nos mains. Nous nous sommes lancés dans l’agriculture biologique il y a à peine quelques mois. Aucun insecticide, ni fertilisant n’est utilisé. Tout ce qui poussera ici sera certifié bio », résume Anis.
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La visite de la ferme est une véritable évasion. D’abord la serre de semences, avec des rangées de plants de plusieurs variétés. « Nous voulons être complètement autonomes en ce qui concerne les semences. Nous sommes spécialisés dans les cucurbitacées, comme les pastèques et les citrouilles. Nous avons même essayé une variété exotique de citrouille avec des graines bio importées du Canada. Nous refusons d’avoir une agriculture intensive moderne. Nous avons une approche biologique : les fertilisants sont interdits. Place au composte. Les coccinelles et les vers de terre jouent un rôle très important dans cet écosystème. C’est eux qui font le job », ajoute le jeune agriculteur.
Dans le projet du jeune couple, rien n’est dû au hasard. Y compris le nom donné à leur petite ferme. Djeninet Lala Aziza, c’est en hommage à la grand-mère de Hanifa qui avait « la main verte », assure sa descendante.
« Anis et moi avons les mêmes valeurs et la même passion pour la terre. Nous avons tout plaqué pour devenir auto-entrepreneurs. C’est beaucoup de travail et de fatigue mais ça apporte un bonheur incommensurable », dit-elle.
Le bio, une filière d’avenir
Et ça peut ne pas rapporter que du bonheur. Les Algériens sont de plus en plus nombreux à changer leurs habitudes de consommation. Ils prennent conscience que rien ne vaut des produits sains dont ils maitrisent la traçabilité.
Le bio commence à se faire sa petite place et cela, Anis et Hanifa l’ont compris. « C’est très important d’acheter des produits directement chez les producteurs. En allant dans les fermes, on voit de ses propres yeux comment poussent les fruits et légumes. La notion de traçabilité est très importante », explique Anis, qui confirme que leur petite affaire commence à se faire connaitre.
« Nous avons remarqué qu’il y a un retour des Algériens à la terre et à la nature. Nous recevons des dizaines de demandes de consommateurs via les réseaux sociaux ou par téléphone. Tous veulent venir nous acheter des produits de la ferme. Ils sont quelque peu déçus de découvrir qu’on est à peine au début de notre projet et que nous n’avons pas encore de fruits et légumes à leur proposer », révèle-t-il.
Le jeune homme est confiant quant à un avenir radieux pour la filière. « Nous sommes en train de vivre une crise civilisationnelle à l’échelle mondiale. La pandémie de Covid-19 a montré les limites de la civilisation telle qu’on la connait aujourd’hui. Le retour aux sources est inéluctable et cela vaut pour toute l’humanité », analyse-t-il.
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La tournée n’est pas terminée. Dans le clapier, des dizaines de lapins et dans la mare, barbotent des canards aux noms bizarres : Magnum, Butter, Nut, Chafika…
« Nous attendons une éclosion pour très bientôt. La famille va bientôt s’agrandir et nous sommes en train de creuser une seconde mare », dit Hanifa en montrant une cane entrain de couver son œuf.
Des projets plein la tête
Ces jours-ci, Anis et Hanifa ont fort à faire. Tout doit être prêt pour recevoir des visiteurs samedi 20 mars (finalement reporté) pour célébrer le printemps et effectuer une sorte d’inauguration symbolique de la ferme. Un couscous traditionnel sera offert et tout le monde sera le bienvenu.
Mais que pensent les voisins de tout cela ? « Ils ont applaudi. Ils savent qu’en attirant des visiteurs, ils pourront eux aussi vendre leurs produits comme le miel, la galette, les œufs de ferme… », assure Anis.
La création de la ferme est donc une aubaine pour tous. D’autant plus que le jeune couple a des projets plein la tête. Prochaine étape : créer des aires de jeux pour les enfants, des parcours pour des balades en poney, et des parcelles de jardins à louer. « Il y a une forte demande sur le jardinage. Nous sommes en train de préparer des parcelles à cet effet », confie Anis.
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Et encore beaucoup d’idées à développer, doucement mais sûrement. « Tout est à faire, tout est à créer. Nous sommes au début de notre aventure et nous allons avancer pas à pas », projette le couple.