Politique

Un portrait de Zeroual brandi par des « manifestants » : manipulation ou amnésie ?

Un portrait géant de l’ancien président de la République Liamine Zeroual a été accroché sur la façade d’un immeuble ce vendredi 22 mars à la place Audin à Alger. Disons-le d’emblée : marcher pour dégager un système politique et ériger en héros l’un des symboles de ce même système n’est forcément pas une bonne idée. Le nom de l’ancien président a même été évoqué pour diriger la Conférence nationale promise par Bouteflika comme celle qui va asseoir le changement et le départ du système. Il y a sans doute manipulation quelque part, car ce culte rendu à Zeroual ne peut être l’œuvre des jeunes qui manifestent innocemment.

Les moins de 30 ans ne connaissent presque rien de lui. Il appartient certes à l’Histoire de juger son œuvre, de lui accorder peut-être des circonstances atténuantes pour avoir dirigé le pays dans une période cruciale, de lui reconnaître, comparé à Bouteflika, qu’il ne s’est pas accroché au pouvoir d’une manière maladive, qu’il a vécu une paisible retraite en simple citoyen dans sa ville natale, mais sans plus. De là à en faire un chantre de la démocratie et de la liberté, il y a un pas qu’elle ne franchira pas.

Mensonge d’État

Zeroual ne fut pas maire d’une commune de l’Algérie profonde. Il fut président de l’État entre 1994 et 1995, puis président de la République de 1995 à 1999. Il a été désigné suivant les procédés du système en place depuis l’indépendance et parti dans la même opacité qui entoure les moments clé de la vie du régime. Sa démission, annoncée le 11 septembre 1998 mais entrée en vigueur six mois plus tard, demeure à ce jour un mystère. Dans son message à la nation annonçant sa démission « par anticipation », un concept qui n’existait pas dans la Constitution de l’époque, ni dans aucune autre d’ailleurs, il y avait un gros mensonge et une promesse non tenue. Le mensonge, c’est lorsqu’il a expliqué son départ par son souci de passer le relais, estimant « le moment opportun de concrétiser le principe de l’alternance au pouvoir, en tant que principe cardinal de la démocratie ».

Depuis, les langues se sont déliées, sauf la sienne, pour nous apprendre que le président de la République avait rendu le tablier suite à un désaccord avec les chefs de l’armée sur les premiers accords de trêve signés avec des groupes terroristes. Vingt ans après, on ne sait presque toujours rien avec certitude de cet épisode et Liamine Zeroual s’en tient toujours à sa version première que même ses partisans n’osent plus défendre publiquement, car trop farfelue.

Promesse non tenue

Quant à sa promesse non tenue, elle est lourde, très lourde de conséquences. Toujours dans son discours, il s’était engagé à organiser une élection présidentielle propre et honnête. Le résultat, on le connaît et on le subit aujourd’hui encore. Bouteflika est élu président le 15 avril 1999 après que tous les autres candidats ont été contraints au retrait collectif à cause de flagrantes irrégularités constatées la veille, lors du vote dans les casernes.

On le sait maintenant : Bouteflika a été choisi par le système et il a été élu par la fraude alors que Zeroual était président et qu’il s’était engagé à organiser une élection transparente. Les écrits restent, surtout quand ils prennent la forme d’un discours présidentiel. Celui qu’il a prononcé à la télévision au soir du 14 avril, après l’annonce du retrait de six candidats (Hocine Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche, Ahmed Taleb Ibrahimi, Youcef Khatib, Mokdad Sifi et Abdallah Djaballah), Liamine Zeroual le traînera tel un boulet. Morceau choisis.

« Notre pays peut s’honorer d’avoir réussi à réunir les conditions nécessaires au déroulement d’un scrutin répondant aux normes les plus exigeantes en matière de liberté et de transparence, des conditions réunies au prix d’intenses efforts et par la mobilisation d’importants moyens humains et matériels ». « De ce point de vue, la décision particulièrement grave prise par six candidats de se retirer du processus électoral constitue un manquement à ce devoir et a ces responsabilités ».

« Vous aurez certainement relevé, tout comme moi, l’inconsistance et l’extrême fragilité des justifications apportées, justifications dont la faiblesse contraste avec la lourdeur et la gravite de la décision prise ». C’était la réponse du garant d’un scrutin libre à ceux qui avaient peut-être la naïveté d’en appeler à son arbitrage. Dire aujourd’hui que Bouteflika fait partie du bilan de Liamine Zeroual n’est pas totalement faux. Piétiner le portrait du premier et glorifier celui du second relève au moins de l’incohérence, sinon de l’amnésie.

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